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Hôpital mère-enfant de Bingerville : un exemple de privatisation (opinion)

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Strass et paillettes de rigueur ! L’hôpital mère-enfant de Bingerville (Côte d’Ivoire), qui appartient à la Fondation Children Of Africa de la Première dame Dominique Ouattara, vient d’être inauguré en présence d’un parterre de stars et au milieu des dithyrambes sur « l’Afrique qui gagne ». Et pourtant, cet établissement sanitaire est à plusieurs titres un motif d’indignation.

Hôpital mère en enfant de Bingerville est inauguré quelques semaines après la publication d’un rapport de la Banque mondiale qui nous apprend que, dans une liste de vingt pays pauvres ou émergents, la Côte d’Ivoire est celui qui dépense le moins pour la santé de ses populations si l’on excepte le Mali et la Guinée Bissau.

Ce n’est pas une surprise : 22ème pays africain en termes de PIB par habitant, la Côte d’Ivoire est 37ème en termes d’indice de développement humain. Dans un post précédent, je mettais en cause le siphonnage de la richesse nationale, majoritairement agricole, par une bourgeoisie parasitaire urbaine.

  • Pour télécharger le rapport sur le développement humain 2016

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Cet hôpital est un exemple quasiment caricatural de « privatisation » de l’Etat et d’utilisation des impôts de tous au profit des plus nantis. Il est la propriété de la Fondation Children Of Africa, une entité privée, mais selon les articles de presse publiés à la faveur de son inauguration, des « fonctionnaires » font partie de son équipe médicale, paramédicale et administrative.

Pourquoi ? Parce que Children Of Africa, en contrepartie, assurera des « missions de service public ». Il faut noter que depuis le 7 mars 2012, l’ONG de Dominique Ouattara a le statut d’association d’utilité publique, ce qui donnera à son hôpital des avantages fiscaux par rapport aux cliniques privées de la place. Et ce qui permettra à ses donateurs d’obtenir des déductions d’impôt. Très clairement, une partie des emplois publics et des ressources destinées à la fortune publique lui seront concédés. Or la contrepartie est plus que douteuse.

  • L’hôpital mère-enfant de Bingerville en chiffres

5 choses à savoir sur l’hôpital mère-enfant de Bingerville

« L’Hôpital Mère-Enfant Dominique Ouattara de Bingerville accueillera 75% d’assurés et de patients directs, 25% de cas sociaux », nous apprend ainsi Fraternité Matin. Sachant que la fraction de la population disposant d’une assurance maladie et/ou capable de payer des soins dans un établissement privé n’atteint pas 10% de la population, il va de soi que cet hôpital dernier cri, destiné à être financé par de l’argent public ou qui aurait pu l’être, est d’abord destiné à la bourgeoisie abidjanaise.

Alassane Ouattara avait promis à ses électeurs une couverture maladie universelle, sa femme s’offre un hôpital de luxe au sein duquel elle pourra faire de la « charité » pour des pauvres triés sur le volet. Qui, en effet, choisira les cas sociaux dignes d’être prise en charge après paiement d’un ticket modérateur avec 1000Fcfa pour la consultation, 3000 fcfa pour les analyses médicales et l’imagerie et 5000 fcfa pour les interventions chirurgicales et l’hospitalisation, mais surtout réception « par le service social de l’Hme qui organisera la prise en charge ? »

Cet hôpital s’annonce comme un instrument clientéliste puissant au profit d’un clan politique qui entend se perpétuer au pouvoir. L’opacité du financement et du fonctionnement de Children of Africa laisse songeur. Officiellement, les 25 milliards nécessaires à la construction de l’Hôpital mère enfant ont été apportés par de « généreux donateurs » lors des dîners-galas de Mme Ouattara.

Qui sont-ils ? Les acquéreurs des objets vendus aux enchères lors de ces événements mondains (et coûteux) sont souvent présentés comme « discrets ». Les rapports annuels de la Fondation Children Of Africa n’évoquent pas les comptes de l’association.

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Le mauvais état du système de santé ivoirien épinglé (étude)

Et pourtant, en France, pays qui inspire les usages administratifs ivoiriens, les associations d’utilité publique sont obligées de faire publier leurs comptes au Journal Officiel. « Children Of Africa » se défend de tout but lucratif. Mais comment le savoir, vu que ses données financières demeurent privées ? De plus, autour d’une structure à but non lucratif, tout un écosystème de fournisseurs et de prestataires à but lucratif peuvent s’enrichir tout à fait légalement.

Tout ceci est d’autant plus important à analyser que le clan familial Ouattara allie depuis plusieurs décennies politique et business et profite très clairement du pouvoir pour se construire un empire financier. Déjà présent dans l’immobilier, le cacao, les médias, ce clan a très clairement des visées dans le business de la santé. Et l’itinéraire de Christian Delmotte, ex-conseiller d’Alassane Ouattara en matière de santé, mérite le détour.

Il a commencé par acquérir en 2012 une clinique, le Groupe médical du Plateau, très vite repris par le groupe marocain Saham, qui a par la suite multiplié les rachats de cliniques pour finalement les revendre en 2015… au même Christian Delmotte, devenu bien riche entre temps ! Et c’est dans la foulée que s’ouvre l’hôpital mère-enfant.

Tout cela se passe deux ans avant une présidentielle à hauts risques. Et il faut bien admettre que les projections financières du clan familial au pouvoir le poussent à vouloir soit se maintenir soit désigner un homme-lige qui saura ménager ses intérêts.

A part ça, vive Children Of Africa, l’humanitaire et autres… fadaises !

Théophile Kouamouo

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