L'actualité ivoirienne sans coloration politique

Prostitution en Côte d’Ivoire : la ruée des filles de plus en plus jeunes

0

Elles envahissent de plus en plus le ’marché’ de la prostitution. Mineures ou parfois très jeunes, certaines filles choisissent davantage ce métier, poussées en général par la misère. Enfermées dans cette course au gain, elles ont du mal à s’arrêter. Reportage dans les communes d’Abidjan où le phénomène est bien implanté.

Sur les trottoirs, dans les bars et boites de nuit, ou encore dans des espaces spécialement aménagés, le plus vieux métier du monde se pratique allègrement. Le profil de ces filles qui s’adonnent à la prostitution est aussi divers que varié : déscolarisées, orphelines, chômage ou manque d’opportunité d’insertion socioprofessionnelle, familles démunies… Tout se résume à la pauvreté, ou presque. Mais le métier attire de plus en plus de mineures.

Ces jeunes filles exercent dans les différentes communes d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, où le phénomène est enraciné. Parmi elles, Sarah. 17 ans, inscrite en classe de 4ème, elle officie à Yopougon quartier Bel Air. Ce 5 janvier, à 20 heures, dans la chambre où elle nous reçoit, elle estime qu’il est « dur » d’expliquer comment elle est arrivée à la prostitution.

Sanglée dans une robe bleue moulante qui arrive à peine au genou, avec un décolleté qui laisse apparaître le soutien-gorge, silhouette élancée, teint clair, Sarah, qui peut valablement prétendre à la couronne de Miss Côte d’Ivoire, saute le pas : « Quand je partais à l’école, j’avais des problèmes d’argent. Souvent je n’avais pas de transport, je n’avais rien pour payer mes petites choses ».

Initiation à la prostitution

Sarah arrive dans ce métier par l’entremise d’une amie. Celle-ci l’emmène à cet endroit à Bel Air, lui demande de patienter quelques instants et avant de se quitter lui tend 10 000 francs Cfa. Sarah n’a aucune idée de l’origine de l’argent.

« J’ai demandé où elle a eu l’argent aussi rapidement. Elle dit mais quand tu étais dehors sur le banc, tu as vu qu’il y a des garçons qui venaient et qui repartait non ? C’est eux qui ont donné. Je ne voulais pas croire. Elle m’a tout expliqué ».

Certes abasourdie, la jeune fille venait d’être initiée. Puis que son premier réflexe, lorsqu’elle traverse des difficultés financières, c’est de se lancer elle aussi dans la prostitution. « Un jour c’était chaud sur moi mal même. Je l’ai appelé pour savoir si c’était possible de l’accompagner dans le coin de la dernière fois. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas prévu d’aller là-bas ce jour-là mais à cause moi on s’est croisé et on est parti. Elle m’a demandé si je veux rentrer avec elle. Je suis rentré. Les autres filles étaient dans le couloir. Elle leur a dit que j’étais sa petite. Elles m’ont bien accueilli et d’autres m’ont donné des conseils », relate-t-elle, souriante.

Dans le milieu on n’aime pas les voleuses de clients

C’est le début d’une aventure qui dure déjà 8 mois. « Je me disais que j’allais fait ça un ou deux jours mais souvent quand c’est chaud je viens », précise-t-elle, assurant qu’elle met tout en œuvre pour ne pas éveiller les soupçons de sa tante chez qui elle vit, en lui en lui signifiant qu’elle est chez sa copine alors qu’elle est à Bel Air.  Souvent entrainées par une amie, ces filles sont ensuite prises dans un engrenage.

Autre lieu, même pratique. Dans la commune huppée de Cocody, à côté du Rond-point de la Riviera Palmeraie, les filles arpentent la rue. Ce 30 décembre 2018 en soirée, dans une rue desserte, peu éclairée, l’ambiance est calme. Au bout d’une rue mal bitumée se dresse un impressionnant bâtiment insalubre de 3 étages. Aux pieds de cet immeuble, des filles attendent les clients. Certaines assises sur des chaises, d’autres debout. Les tenues sont assez osées : les robes sont scintillantes malgré l’obscurité. L’odeur de la cigarette fait office de bienvenue. Regard fixe, démarche hésitante, l’une d’entre elle lance aussitôt :

« c’est comment, tu es de passage ? Il n’y a plus route ici hein, de l’autre côté est fermé. Mais comme je sais que tu n’es pas venu ici pour ça, je te dis en même temps clair-clair : pipe rapide, 2000 ; pipe plus pénétration 5000 ».

Son nom, Chantha, 30 ans. Directe et sans langue de bois, elle reprend : « Ici, c’est toi qui est important. Parles de ce que tu veux et je m’occupe de toi ».

Les mineures perçues comme une menace

Celle-ci affirme être arrivée dans ce lieu il y « 7 ans ou 8 ans » après avoir « beaucoup de travail avant », sans donner de détails. Elle interrompt la conversion lorsqu’elle aperçoit un client : « Ah, je dois m’occuper de quelqu’un oh, ce n’est pas ma faute. C’est l’argent ». Elle monte dans un taxi avec l’homme et part. Non sans avoir expliqué auparavant quand nous expliquons à Chantha que nous souhaitons échanger avec des mineures, sa réaction est systématique :

« Mais tu n’as pas de chance hein, on a chassé les petites filles qui viennent ici voler nos clients. Elles n’ont plus cœur de venir ici ».

Elle se souvient qu’il y avait des filles souvent âgées de 17 ans qui arrivaient accompagnées de garçons qui venaient les déposer en voiture et passaient les récupérer vers 3 heures du matin chaque jour. Mais l’arrivée de plus en plus de mineures et de jeunes filles, souvent prisées par les hommes, dans le plus vieux métier du monde n’est pas très bien appréciée par les carriéristes qui les voient comme une menace à leur business.

Justement, quelques mètres plus loin, non loin de la fondation Marie Rose Guiraud, dans un endroit en peu caché, peu après 22 heures, quelques passants s’arrêtent brièvement, observent et continuent. Visiblement, des clients à la recherche de prostituées. Parmi eux, Thomas, la trentaine et vulcanisateur de profession. Et il observe : « il y a deux coins. Il y a ici [où les filles sont plus jeunes] et un coin où il y a les filles âgées. Si tu veux on peut aller là-bas ».

Marcory, l’épicentre de la prostitution

Aucune commune à Abidjan n’échappe à la prostitution. La Commune de Marcory est considérée comme « l’épicentre » du phénomène dans la capitale économique du pays. Zone 4, samedi 5 janvier. Il est minuit. Devant le bar « Piment Rouge », dont l’enseigne lumineux frappe si fort, de grosses cylindrées sont stationnées. Beaucoup de filles sont alignées sur le trottoir devant le bar à l’affut d’éventuels clients.

Un blanc gentil, ça paye mieux !

« Passage, dormir ? », questionne Ange, 19 ans, teint clair, robe plaqué blanche, longs mèches roux. « Passage, c’est 20 000 f-20 000 f », complète-t-elle, en s’adressant à nous (deux journalistes). S’engage une négociation. « Vous allez payer la chambre d’hôtel. L’hôtel c’est 2000 f », poursuit la jeune fille. Des jeunes, appelés « rabatteurs » ou « managers », sont là pour négocier leur marge aussi sur les clients. « Taxi, c’est 500 f », ajoute un jeune (la trentaine) qui a nous cueilli à la descente du taxi. L’autre fille, Natacha, 20 ans, teint noir et de petite taille, vient épauler sa collègue. Seuls clients en bordure de voie à cette heure-là, nous attirons très vite l’attention. Deux autres jeunes s’avancent également pour tenter de superviser la négociation. « Chéri, il faut parler », s’impatiente Ange. « Bon, payez le taxi, on s’en va », coupe Natacha qui veut en finir avec cette discussion qui dure. Un accord est finalement trouvé : payer 15 000 f chacun, on dirait hors taxe (non compris le coût de l’hôtel et taxi qui sont à notre charge).

La bataille aux clients

Deux autres filles arrivent. Une sorte de bataille aux clients s’engage. Les deux premières n’apprécient guère cette tentative de leur voler leurs clients. « Tu penses que j’ai peur de toi ? Je reviens, on va s’affronter. Il y a longtemps que je la guette ici », soupire Natacha, furieuse, assise finalement dans un taxi. Deux « managers » s’accrochent au taxi et veulent connaitre les prix fixés afin de mieux négocier leur marge au retour des filles. « C’est 15 000 f-15 000 f ? », s’enquiert l’un deux. « On s’est déjà entendu, on vient », répond une des filles, Natacha. « C’est 15 000 f – 15 000 f. Donc on gère avec vous ! ». Traduction : on prend notre part à votre retour. « Ne prenez pas 10 000 f. S’ils parlent de 10 000 f, prenez vos taxis, vous allez venir », insiste un des managers – ces derniers (qui aident leurs voitures à se garer) reçoivent en général entre 500 et 2000 f, selon ce que chaque fille veut donner. « Pardon », souligne Natacha, un peu agacée.

« C’est ton c… il s’en va baiser ? On a déjà fini de causer avec eux, tu es là tu parles », poursuit-elle, vulgaire.

Agressions sexuelles : année macabre pour les mineurs

Le taxi quitte enfin cette ambiance un peu tumultueuse. Sur le trajet, elles continuent sur l’épisode qui vient de se dérouler en envoyant des phrases assassines à leurs collègues. Tu peux te battre ? « Si je ne pouvais pas me battre, moi je vais m’arrêter pour parler quoi ? Je reviens non ? On va s’affronter. Ma chéri, dans la vie, si quelque chose est pour toi, connerie va quitter, il va tourner-tourner seul, si c’est pour toi, c’est pour toi. La fois dernière, c’est comme ça mon chéri blanc là il a gbè [recadré] la fille. Il dit quitte-là. Je t’ai appelé ici ? Quittes-là. Il dit bébé, on peut partir, je dis oui bébé », Natacha, se souvient-elle.

Les mineures de plus en plus présentes

Dans un hôtel à proximité du carrefour « Ancien Koumassi », les filles acceptent de livrer quelques confidences sur leur vie. Ange a commencé à se prostituer il y a un an. C’est par l’intermédiaire d’une camarade qu’elle est arrivée à ce métier. Tout est parti quand son grand-père, avec qui elle vivait à Yopougon, les a mis dehors, ses sœurs et elle, et les envoyées au village à Man auprès de leurs parents. Revenue à Abidjan au bout d’un mois, sa mère meurt là-bas de façon soudaine. En tout cas, Ange, qui cohabite avec des amies à Yopougon, pratique allègrement la prostitution, tout en faisant croire à son père et ses sœurs au village qu’elle vit avec une tante à Abidjan.

« Je sortais avec des gars. A la fin, ils me donnaient 1 000 ou 2 000 francs. J’ai voulu sortir de ça », justifie-t-elle.

Elle a commencé dans un bar à Gonzague (dans la commune de Port-Bouët) qui était de moins en moins fréquenté. Elle trouvait cela financièrement peu rentable et elle décide de se lancer sur les trottoirs. Aujourd’hui, témoigne-t-elle, elle peut faire deux passes (dont le coût est fixé entre 10 000 et 20 000 f par client) et nuit (entre 30 000 et 50 000 f, voir 100 000 f si c’est un « blanc gentil ») chaque fois qu’elle se rend au travail.

Malgré ce butin, difficile pour elle de réaliser son ambition. « Avec l’argent que je gagne, je ne réussis pas à mettre de l’argent de côté pour arrêter. Je pense que je vais faire ça encore pendant 3 ans peut-être. Sinon, je voudrais monter ma boutique de vente de chaussures et habits pour femmes », espère Ange. Le métier reste tout de même difficile : « Certains client, à peine ils mettent la capote qu’ils éjaculent. D’autres prennent des médicaments pour tenir et nous fatiguent ».

Kaba Fofana : « Nous allons nous saisir des cas de harcèlements sexuels »

La présence de filles de plus en plus mineures dans la prostitution est frappante. « Il y a des filles de 12 ans, 16 ans. Certaines ne sont pas formées au niveau des seins. Cela fait mal. Je me demande ce qui les pousse à se prostituer, ce qu’elles vont chercher dans la rue. Normalement, c’est leurs parents qui doivent s’occuper d’elles », observe Ange, regard inquisiteur, avant de renchérir :

« A partir de 2 h-3 h du matin, heure de pointe, les petites filles sont versées. Elles prennent beaucoup de drogues. Elles fument du cali. Elles sont aussi très impolies, elles nous insultent ».

Natacha, sa partenaire, confirme l’arrivée de mineures, surtout à des heures tardives de la nuit.

Economiser pour réaliser une activité

Les deux filles vivent à Yopougon mais préfèrent venir loin de leur commune pour exercer ce métier afin d’éviter les regards indiscrets des proches. Natacha, dont le père est décédé, vit avec sa mère. Coiffeuse à Yopougon, exerce parallèlement le vieux métier du monde. En général, elle se rend en zone 4 les week-ends. Si elle jure qu’elle a commencé à venir sur le trottoir seulement à partir du mois de décembre 2018, elle pense pouvoir arrêter très rapidement :

« Je vais faire quoi ici jusqu’à un an ? Un an c’est trop ».

Son objectif : réaliser des économies avec ce qu’elle gagne pour monter sa propre affaire. « C’est pour faire pour moi-même que je viens ici. Je veux faire mon salon de coiffure. C’est à cause de ça je viens », justifie-t-elle. « J’ai besoin de 600 000 f », poursuit-elle.

Poitrine fraîche pour assouvir ses envies dans la chaleur de la nuit

Mais combien gagne-t-elle par jour, 20 mille, 30 mille, 40 mille ? « Souvent, ça dépasse ». 100 mille ? « On ne sait jamais. Souvent, tu peux avoir un client qui n’est pas de la Côte d’Ivoire. Il peut te donner beaucoup d’argent », fait-elle remarquer.

Pendant la discussion, Natacha reçoit un appel téléphonique. L’échange est très cordial. Extrait : « Je suis vers ancien-Koumassi. Je suis avec ma camarde, on vient. Donc il faut m’attendre. Je vais venir tu vas me donner ‘’Despe’’ je vais boire. Tu es dans le bar ? Donc va t’assoir dans le bar. Il ne faut pas regarder les petites filles là ? Si elles viennent vers toi, il faut faire comme si tu ne les vois pas ». Qui est-ce ? « C’est un ami », coupe rapidement Natacha.

« J’ai utilisé l’argent pour soigner mon fils »

Plus loin, du côté de Marcory « Centre commercial », Chantal vient à peine d’arriver dans un couloir – à l’éclairage sombre et colonisés par des bars et maquis – déjà envahi par plusieurs filles (toutes très jeunes) qui attendent les clients. « Je suis fatigué. Je vais m’assoir un peu », soupire-t-elle. 19 ans, déscolarisée (elle a été arrêté les études en classe de CE2), elle est presque gênée d’expliquer les raisons qui l’ont motivée à embarquer dans la prostitution : « Les questions comme ça, pour répondre, c’est un peu dur », dit-elle. Timide, Chantal, auparavant commerçante, a basculé récemment quand elle a été contrainte d’utiliser ses fonds pour sauver son fils de 4 ans.

« Je faisais déjà mon commerce. Je vendais les fruits. Mon fils est tombé malade. Donc j’ai utilisé l’argent pour le soigner ».

La jeune fille habite à Yopougon avec deux autres amies depuis quelques mois, après avoir quitté sa tante. Avec ce qu’elle gagne, elle arrive à apporter sa contribution pour s’acquitter du loyer mensuel de 15 000 f. Grâce à sa nouvelle activité, elle réussit à obtenir entre 15 000 et 20 000 f par jour, mais « souvent rien » du tout. Mais son objectif est d’avoir un peu d’argent pour offrir en cette période de fêtes de fin d’année des cadeaux à son fils (qui vit avec sa grand-mère) mais aussi et surtout relancer son commerce. Elle ne le cache pas, elle ne fait pas ce métier par enthousiasme :

« Je veux quitter. Après la fête, je ne viens plus. Je suis venu chercher l’argent de commerce. Je veux vendre, les fruits », souhaite-t-elle.

« La fête c’est mardi [1er janvier]. A partir de mardi, je ne vais plus venir ici », s’est engagée Chantal, ce 23 décembre 2018.

Famille démunies, déscolarisées, problème d’emploi, beaucoup de filles sont vulnérables et basculent très tôt dans la prostitution qu’elles trouvent comme seule véritable alternative pour répondre aux besoins quotidiens. Pour elles, c’est une lutte pour la survie. La solution serait de leur offrir une opportunité de réinsertion afin de gagner dignement leur vie.

Traoré Bakary

Comments

comments

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.