5 questions pour comprendre comment fonctionne l’Union Européenne
Le 6ème sommet entre Union africaine et l’Union européenne aura lieu les 17 et 18 février 2022 à Bruxelles, en Belgique. Une occasion de découvrir le fonctionnement de l’UE. Une machine politique et technocratique complexe mais très structurée. Explications.
Au cœur de l’Europe, à Bruxelles, il est impossible d’ignorer la présence de l’Union européenne en tant qu’organisation. Les bâtiments qui accueillent les institutions de l’organisation continentale sont impressionnants par leur taille. « L’UE, c’est plus de cinquante mille fonctionnaires », indique Ken Godfrey, belgo-britannique, directeur de European Partnership for Democracy (EPD), une organisation de la société civile qui milite pour la promotion de la démocratie dans le monde y compris en Europe. Ken a longtemps travaillé pour l’Union européenne par le passé. Ce qui fait qu’il a une bonne connaissance aussi bien de la structure de l’organisation que de son fonctionnement. Il donne les clés, résumé en cinq questions (et dix points) dans cet article, pour appréhender cette organisation dont l’Union africaine semble s’inspirée notamment en termes de cadre institutionnel.
1. Comment est structurée la machine européenne ?
L’Union européenne, « c’est une techno-structure caractérisée par une bureaucratie assumée ». Les institutions qui font marché l’Union européenne n’ont pas été créées au même moment. Aujourd’hui, la structuration de l’organisation ressemble à cette sorte d’organigramme.
2. Comment fonctionne cette organisation ?
Comme la plupart des organisations de ce type, il y a des jeux de pouvoir important et, parfois, il y a des risques de marcher sur les plates-bandes de l’autre. Théoriquement, les rôles sont repartis entre les institutions piliers de l’organisation. Et comme l’affirme Edouard Gaudot, ancien ancien conseiller politique européen, fin connaisseur du fonctionnement de l’UE, « théoriquement, mais théoriquement seulement, les rôles sont partagés et chaque institution a une portion de pouvoir. En pratique, c’est parfois compliqué. Il n’est pas toujours évident que chacun se tienne à sa place et surtout à son rôle théorique ».
- Le Conseil européen
C’est l’antre des dirigeants. Au Conseil européen (comme au Conseil des ministres ), « On représente son pays ». Les présidents et chef de gouvernement défendent leurs intérêts et essaient d’influencer les décisions en faveur de leur pays. Chaque Etat essaie de défendre ses intérêts et souhaite que les autres le suivent dans cette vision. La présidence du conseil de l’Europe comme pour tous les postes est tournante. Tous les deux ans et demi, les chef d’Etat élisent un Président, qui devient une sorte de porte-parole notamment dans les relations avec les partenaires de l’Union européenne. Le conseil est actuellement présidé par l’ancien premier ministre belge, Charles Michel.
Le conseil, c’est parfois la loi du plus fort aussi. Sur un certain nombre de sujets, les plus forts mettent des pressions énormes pour faire bouger les lignes. Ces intimidations ou ces marchandages se déroulent parfois, dans des discussions à huis-clos. Et c’est ce huis-clos que l’on a surnommé la black-box.
- La black-box, instrument de tractations informelles de haut niveau
Vous ne verrez aucune mention relative à ce conseil dont le nom est d’ailleurs évocateur dans les documents officiels de l’UE. Mais, selon M. Gaudot, « c’est la réunion qui a permis de résoudre les crises importantes. C’est là que les pays riches de l’organisation peuvent user de pression, marchander avec d’autres membres moins nantis pour suivre tel ou tel position. Car, pour prendre certaines décisions par exemple sur la politique étrangère, il faut la règle de l’unanimité ».
Ce conseil dont la création a été inspirée par l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing tend de plus en plus « à supplanter la commission qui pourtant est le bras exécutif de l’organisation ». C’est en grande partie grâce à ce qu’on appelle ici la « black-box ». Lors des grandes crises qui ont secoué la construction européenne, les choses bougent lorsque les dirigeants s’enferment et ne sorte que lorsqu’ils trouvent un accord.
- La commission européenne, l’exécutif de l’Europe
La commission est en quelque sorte le gouvernement de l’Union européenne. « C’est elle qui met en musique la politique de l’organisation » indique Edouard Gaudot. Comme il ne faut frustrer aucun Etat, cette commission est composée de 27 membres appelés « commissaires européens », exactement le nombre de pays membres. Vous l’avez compris, il y en a un pour chaque pays. Mais à la différence du conseil où chaque président ou chef de gouvernement représente, défend l’intérêt de son pays, à la commission européenne, les commissaires représentent l’intérêt de l’Union européenne indépendamment de leur nationalité.
C’est la commission qui a l’initiative des lois. Mais en pratique, « encore une fois, c’est le conseil qui mène la danse. » soutien Edouard Gaudot. Selon lui, le conseil influence énormément les choix de la commission.
- Le parlement européen
Pour Edouard Gaudot, « L’union européenne est une construction de droit. C’est l’idée qu’on remplace le droit de la force par la force du droit ». Et le parlement est la matérialité de cette idée. Le parlement européen est le lieu d’expression des peuples européens à travers leurs députées. Mais son champ de compétence est limité à légiférer pour les européens. Il n’est en principe pas compétent en matière de politique étrangère de l’Union relève du conseil.
Sauf que : « La présence de groupes de pression auprès du parlement européen montre bien que cette institution a du pouvoir ». Avec 20 à 30.000 lobbyistes dans la capitale européenne, il y a un lobbysiste pour deux fonctionnaires à Bruxelles. Le parlement élu actuellement compte 705 députés. Le nombre de député par pays est déterminé en fonction du nombre d’habitant. Les pays les plus peuplés ont donc plus de députés que les moins peuplés.
Mais, les votes sont tellement fragmentés par famille politique qu’aucun groupe ne dispose de la majorité absolue actuellement. Une situation qui impose un travail de consensus entre différents groupes qui ne partage pas les mêmes valeurs. Pour former un groupe, il faut au moins 7 nationalités différentes et 25 députés.
- Conseil des ministres de l’Union européenne
Cette institution européenne représente les États membres et exerce, sur un pied d’égalité avec le Parlement européen — qui représente les intérêts des citoyens — la fonction législative de l’Union européenne. Il est composé des ministres des États membres, qui se réunissent plusieurs fois par an dans leurs domaines respectifs afin de modifier, d’adopter ou de rejeter une proposition de législation de la Commission. Le Conseil de l’UE ne doit pas être confondu avec le Conseil européen.
Le conseil des ministres est un organe puissant. Il décide du budget de l’Europe et défini aussi la politique étrangère et sécuritaire de l’Union. La présidence de ce conseil des ministres est tournante, chaque 6 mois. La France vient de prendre la présidence pour 6 mois.
- La cour de justice de l’UE
27 juges, un pour chaque pays. Leur rôle : défendre la loi européenne et arbitrer les conflits. La cour contrôle la légalité des actes des institutions, veille au respect des traités par les Etats membres et interprète le droit à la demande des juges nationaux.
3. Comment le choix des sièges des institutions européennes a été fait ?
Selon Edouard Gaudot, le choix du siège des institutions européennes n’a pas été de tout repos ». Chaque pays voulant tirer le drap sur lui. D’ailleurs, « les Etats ont échoué à avoir un accord sur le sujet en 1952 au moment de la communauté du charbon et de l’acier » fait remarquer Ken Godfrey. Mais en 1992, « ils ont finir par trouver un accord dans un traité à Amsterdam ». Sur le papier, les institutions gouvernantes de l’Union européenne ne sont pas concentrées dans une seule capitale, mais dans quatre villes et quatre pays.
- Bruxelles, le cœur de la machine
A Bruxelles, on trouve la présidence du conseil européen. Mais aussi, une miniature de toutes les autres institutions piliers de l’organisation.
- Luxembourg, le gardien du droit
Avec moins d’un million d’habitant, le Luxembourg abrite tout de même l’une des 4 institutions piliers. Sans doute le fruit de compromis politique dont seule l’UE a le secret.
- Francfort, nerf de la guerre
En matière d’argent, les Allemands rigolent rarement. Et pour s’assurer qu’on ne fera pas n’importe quoi avec leurs sous, la banque centrale européenne a posé ses valises à Frankfort. Pouvait-il en être autrement ?
- Strasbourg, l’expression de la démocratie représentative
En matière de spectacle, il est difficile d’imiter les Français. Aussi, la tambouille politique, ils savent faire. Et comme les parlements sont connus pour être un lieu qui ne manque pas de spectacle et de tambouille politique, c’est la ville française de Strasbourg qui a été choisi pour accueillir le parlement. « Il n’y a pas de hasard » a dit l’autre ! Même si le choix strasbourgeois, c’est d’abord une question de symbole, celui de la réconciliation franco-allemande.
Mais, une fois encore, « tout ceci n’est qu’une construction théorique ». Car comme souvent, avec l’Union européenne, il y a la théorie et la pratique. Dans les faits, la capitale belge reste le vrai lieu de pouvoir de l’organisation. Par exemple, le parlement européen est situé à Strasbourg en France. Mais, c’est à Bruxelles que les députés ont leurs bureaux, où vivent et travaillent leurs assistants, où se fait le travail en commission, c’est-à-dire l’essentiel du travail parlementaire. Seul les sessions plénières, douze par an, ont lieu obligatoirement à Strasbourg.
4. Comment l’Union européenne prend les décisions ?
Le mode de prise de décision au Conseil de l’UE est différente selon que l’on soit en politique intérieure ou en politique étrangère. En matière de politique intérieure, c’est simple, c’est la règle de la majorité qualifiée. Même si cela peut donner l’impression que les pays avec plus de populations sont favorisés par ce système, c’est seulement une impression. Puisque, non avare de complication, les Européens ont décidé de faire de cette règle simple, quelque chose de super compliqué. Pour que la majorité soit dite qualifiée, il y a 2 conditions :
- Au moins 55% des États membres expriment un vote favorable. Cela correspond à 15 États sur 27 ;
- Les États membres qui soutiennent la proposition représentent au moins 65% de la population de l’UE.
Dans ce système de vote à la majorité qualifiée, chaque Etat membre dispose d’une seule voix. Et pour couronner le tout, l’abstention n’équivaut pas à une absence de participation au vote mais compte pour un vote négatif. Vous avez dit compliqué ?
En matière de politique extérieure et fiscalité, il y a une règle simple, réellement simple cette fois, c’est règle de l’unanimité. Cela signifie que chaque Etat à une voix et toutes les voix se valent au sein du conseil. Par exemple, la voix du Luxembourg, moins d’un million d’habitant compte autant que celle de l’Allemagne, première puissance économique, plus de 80 millions d’habitants. Si un pays comme le Luxembourg n’est pas d’accord pour une décision sur un sujet de politique extérieure, il faudrait le convaincre ou lâcher l’affaire. C’est le principe d’égalité des Etats membres. Simple, basique !
Mais cette règle n’est pas sans conséquence, « elle symbolise la difficulté de l’Union européenne a évoluer vers une union plus politique, impliquant une diminution de souveraineté des Etats membres. Ça, personne n’en veut pour l’instant. C’est l’une des explications du relatif manque d’efficacité de la politique étrangère de l’UE » déplore M. Gaudot.
5. Qui sont les fameux « Top Jobs » ?
Au sein de l’Union européenne, il y a 5 postes clés que l’on qualifie de « top jobs ». Pour une union à 27 Etats, il y a 5 jobs clés. Il s’agit des postes de président du conseil européen, président de la commission européenne, directeur de la Banque Centrale Européenne et le haut-commissaire européen (chef de la diplomatie européenne), la présidence du parlement européen.
Ces postes sont très convoités par les Etats et chacun lutte pour voir un de ses compatriotes à l’un de ces postes. Pour éviter encore une fois une mainmise des pays riches, l’UE a une façon bien a elle de définir les critères : les nominations doivent respecter un certain nombre d’équilibre notamment la repartie géographique (les top jobs ne peuvent être détenus par des ressortissants d’une zone uniquement), il faut des gros et des petits Etats, un équilibre est-ouest, l’égalité femme-homme…
Aujourd’hui, 3 des 5 top jobs sont occupés par des femmes : la présidence de la commission, par l’allemande Ursella Von der Layen, la direction de la banque centrale, par la française Christine Lagarde (qui a tout de même quitté la direction du fonds monétaire mondiale (FMI) pour ce poste) et la présidence du parlement, par la maltaise Roberta Metsola. Le conseil européen est présidé par le premier ministre belge, Charles Michel, le poste de Haut-commissaire européen est lui, occupé par l’Espagnol, Josep Borell. Mais tout ceci fonctionne sur un mode tournant entre les Etats membres.
La construction européenne est sans doute inachevée. Il y a de nombreux éléments à améliorer pour faire de cette superstructure une vraie machine politique, économique et militaire. Mais, elle a le mérite d’exister et surtout d’être une espérance pour les européens. L’Union africaine peut-elle en dire autant ?
Bakary Traoré à Bruxelles