Côte d’Ivoire : les effets du mercure dans l’orpaillage
L’orpaillage clandestin s’est développé à un rythme prodigieux ces dernières années en Côte d’Ivoire. Face aux effets dévastateurs de cette pratique sur l’environnement au travers de l’utilisation des produits chimiques dans cette activité illégale, le gouvernement ivoirien a décidé d’agir.
Le 13 octobre 2014, cinq artisans miniers illégaux, dont des enfants, trouvent la mort dans l’effondrement d’une mine artisanale d’or clandestine à Sakassou, dans le centre du pays. Le gouvernement, qui avait déjà lancé en mars 2014, Le Programme National de Rationalisation de l’Orpaillage (PNRO) en Côte d’Ivoire, prend aussitôt des mesures vigoureuses. Le 22 octobre, moins de dix jours après ces événements, les autorités annoncent la « fermeture immédiate » de 148 sites illicites et clandestins d’exploitation d’or en commençant par ceux localisés dans le nord et le centre du pays.
A l’issue d’une opération en trois phases, dont la dernière s’est déroulée du 17 juin au 6 juillet 2016 dans l’ouest du pays, 429 sites d’orpaillage illicites ont été déguerpis et fermés sur l’ensemble du territoire national. Le programme de rationalisation de l’orpaillage vise à organiser et à encadrer cette activité afin que l’exploitation minière artisanale d’or passe de la clandestinité à un statut légal, et se pratique sans l’intervention des enfants et l’usage de produits chimiques tels que le cyanure et le mercure qui constituent un danger pour l’environnement, la santé et l’agriculture à cause de la destruction des sols, de la pollution des eaux et de la contamination des êtres vivants.
Pour le Directeur Général de l’Environnement, les orpailleurs doivent abandonner les vieilles habitudes datant de la fin du 19ème siècle.
« Aujourd’hui, on est à même de pratiquer l’orpaillage dans des conditions écologiquement rationnelles, c’est-à-dire les conditions qui préservent l’environnement et la santé humaine. Ces techniques, ces méthodologies, ces bonnes pratiques existent », souligne le Pr Georges Kouamé Kouadio.
Parmi ces alternatives, il existe certaines méthodes gravimétriques qui permettent d’améliorer le broyage et le lavage du minerai.
« En utilisant le mercure, ils [les orpailleurs] ne récupèrent que 60% de l’or dans le minerai. Des méthodes n’utilisant pas de produits chimiques tels que le mercure ou encore le cyanure permettent d’améliorer le rendement d’extraction d’or », explique Dominique Bally, Directeur des Programmes à l’ONG Jeunes Volontaires pour l’Environnement Côte d’Ivoire (JVE-CI).
En effet, l’exploitation minière artisanale et à petite échelle de l’or est le secteur le plus important d’utilisation du mercure et le deuxième plus grand rejet anthropique de mercure dans l’environnement. Ce qui représente un danger pour la santé des populations.
« L’augmentation de l’exposition au mercure représente une menace directe pour la santé de 10 à 15 millions de personnes qui pratiquent des activités d’exploitation artisanale de l’or notamment en Afrique et Asie », fait observer Issouf Ouattara, à la représentation de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI) à Abidjan.
En Côte d’Ivoire, l’orpaillage touche 24 des 31 régions du pays et est exercé en toute illégalité sur plus de 1000 sites d’extraction avec plus de 500 000 personnes qui vivent de cette activité. Selon les estimations de 2012, l’orpaillage génère entre 6,5 et 9 milliards FCFA (13 – 18 millions dollars) en chiffre d’affaires.
Tel que pratiqué en ce moment en Côte d’Ivoire avec le mercure, les dangers certains pour la santé et l’environnement seront à juguler dans les prochaines années si certains effets n’ont pas déjà été observés. En effet, le mercure est un élément chimique hautement toxique sous toutes ses formes. Utilisé par les orpailleurs, il est émis dans l’environnement et n’est pas détruit. Dans l’air, il se retrouve sous forme atomique et devient toxique par inhalation d’où il attaque le cerveau et tout le système nerveux central.
Une fois dans l’eau, il est transformé par les bactéries en méthyl-mercure (qui est sa forme la plus toxique) et devient un contaminant de la chaîne alimentaire. D’où le méthyl-mercure affectera les organes vitaux tels le foie, les reins, les organes reproducteurs et même les muscles afin d’en détériorer les fonctions. A l’instar des énormes ressources financières associées à cette activité, les quantités de mercure utilisées dans l’orpaillage sont alarmantes.
« Les estimations pour 2012, 2013, 2014 et récemment en 2016 avec la dernière investigation que nous avons menée, nous sommes à une utilisation, pour certains sites, à plus de trois tonnes de mercure en l’espace de trois mois, ce qui fait une tonne de mercure par mois. C’est vraiment énorme quand on connait la toxicité du mercure. La quantité la plus infime du mercure est toxique sous toutes ses formes. Ce mercure-là est rémanent dans l’environnement, il est persistant », s’inquiète Dominique Bally qui précise : « Nous avons pensé à former les artisans miniers à l’utilisation de techniques n’utilisant pas de mercure, mais la difficulté est que beaucoup d’orpailleurs ne veulent pas se mettre en règle vis-à-vis de l’administration. Ils préfèrent travailler dans la clandestinité ».
La Côte d’Ivoire souhaite parvenir à une extraction artisanale et à petite échelle de l’or légale et sans utilisation de produits chimiques. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet « Réduction des risques liés au mercure dans l’exploitation minière artisanale et à petite échelle de l’or en Côte d’Ivoire ». Ce projet, d’un montant de 100 millions francs Cfa (200 000 dollars), exécuté par le ministère de l’Environnement et du développement durable en collaboration avec l’ONUDI, est financé par le SAICM/QSP (Approche stratégique internationale pour la gestion des produits chimiques/Programme de démarrage rapide).
Démarré en 2013, il a connu une interruption en 2015. Cette seconde phase qui a repris en avril 2016 – avec une réunion des parties prenantes le 11 août 2016 – s’est achevé en septembre de la même année. Les deux phases d’inventaires permettront de disposer de données suffisantes afin de proposer un plan d’action national pour une gestion rationnelle du mercure dans l’orpaillage et sensibiliser les artisans miniers à l’utilisation des bonnes pratiques.
« Actuellement, nous sommes dans la phase d’inventaire. Après, nous allons recruter un consultant qui va rédiger le plan d’action national de l’orpaillage pour qu’on puisse avoir une bonne visibilité de l’orpaillage en Côte d’Ivoire », explique le Dr Say Venance, coordonnateur du projet.
L’un des objectifs au terme de ce projet est que la Côte d’Ivoire aboutisse à la ratification de la Convention de Minamata sur le mercure signée en octobre 2013 à Kumamoto au Japon. La ratification de cette Convention permettra à l’Etat Ivoirien de bénéficier des fonds suffisants pour parvenir à la gestion écologiquement rationnelle du mercure en proposant des alternatives aux produits contenant du mercure tels que les amalgames dentaires, et aussi éliminant de l’utilisation des thermomètres, lampes, piles et produits cosmétiques contenant du mercure.
Aussi, il sera aisé pour la Côte d’Ivoire de disposer et mettre en application des normes de rejet de mercure dans l’atmosphère liées aux industries pétrolières, cimentières. Pour finir, la ratification de cette convention aidera le pays à en découdre avec la question du mercure dans les sites d’orpaillage et les sites contaminés par le mercure aux fins de réduire l’exposition des populations et la contamination de l’environnement par ce toxique.
Pour le Directeur Général de l’Environnement, la Côte d’Ivoire souhaite « pouvoir aller à cette ratification » avant la prochaine Conférence des Etats-parties aux Conventions sur les déchets et les produits chimiques – qui a lieu tous les deux ans – prévue au premier semestre 2017.
Anderson Diédri