Me Prosper Farama : « Blaise Compaoré peut s’attendre à être jugé »
C’est l’un des avocats les plus célèbres du Burkina-Faso. Me Prosper Farama est au cœur des dossiers à la fois sensibles et chauds du pays : coup d’Etat de septembre 2014, mort de Thomas Sankara ou encore du journaliste d’investigation Norbert Zongo… Ce 1er juin 2018, dans son cabinet situé à Ouaga 2000, quartier huppé de Ouagadougou, la voix ferme et déterminée, Me Farama passe en revue pour Eburnie Today l’affaire Norbert Zongo (il a été assassiné le 13 décembre 1998) et l’impact de la modification du code pénal sur l’extradition souhaitée par la justice burkinabé de François Compaoré – ce dernier a été interpellé à Paris le 29 octobre 2017 suite à un mandat d’arrêt international lancé par la justice burkinabé en mai 2017 pour « incitation à assassinats ». Il évoque aussi l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara dans laquelle Blaise Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire depuis sa chute, est soupçonné d’être impliqué. Si l’ancien homme fort de Ouagadougou bénéficie de la bienveillance d’Abidjan, l’avocat prévient que « la roue tourne » et il sera tôt ou tard emmené à répondre de ses actes. Entretien !
Le parlement burkinabé a adopté ce 31 mai une loi qui abolit la peine de mort dans le code pénal. Quel peut-être l’impact de cette modification sur la décision d’extradition de François Compaoré attendue à la mi-juin ?
Avant cette modification, notre position était la suivante : c’est que contrairement à ce qu’on entend dire et soutenir par les avocats de François, même l’existence de la peine de mort dans la législation burkinabé n’empêche pas l’extradition de François Compaoré. Ce d’autant plus que nous avons dit et cela avec preuve à l’appui qu’il y a eu des condamnations à mort au Burkina mais que la dernière condamnation date d’il y a près de 40 ans. En France, c’est arrivé. La France a déjà extradé plus d’une fois des ressortissants américains aux Etats-Unis dans des Etats où il existe la peine de mort, où la peine de mort est appliquée. Donc juridiquement, comment on explique cela ?
C’est par le simple fait que les juridictions françaises admettent que lorsque soit l’Etat s’engage à ne pas appliquer la peine ou de facto en considérant que même la peine étant prononcée n’est jamais appliquée, ça n’interdit pas l’extradition. Or, dans notre cas, non seulement l’Etat a dit qu’il entend même sauter cette disposition relative à la peine de mort. Donc c’est plus qu’un engagement. Mieux, la dernière exécution d’une peine de mort date de plus de 40 ans. On n’exécute plus la peine de mort au Burkina. Déjà pour nous, ça c’était des arguments largement suffisants. Outre le fait que l’avocat de François parle également de raisons politiques.
Effectivement, parmi les conditions d’extradition, il y a l’aspect politique que le juge va prendre en considération… Pensez-vous que ce dossier-là est politique ?
Mais pour être honnête, du point de vu de la configuration générale, sociologique de l’affaire, oui, il y a du politique dedans. Mais quand on revient à sa sphère uniquement juridique, il n’y a rien de politique. François Compaoré c’était qui ? François Compaoré n’était rien d’autre qu’un homme d’affaires, petit frère du président, se disant conseiller du président. Personne ne lui reproche un acte politique quelconque. On lui reproche d’être impliqué dans l’assassinat d’un journaliste. Dites-moi en quoi c’est politique ? J’aurais compris que la victime eut été une personnalité politique et qu’elle eut été assassinée dans l’exercice de ses activités politiques parce qu’étant rentrée en confrontation politique avec la partie adverse qu’on aurait dit : « même système d’assassinat, c’est toujours des règlements de comptes politiques », donc on peut dire toujours qu’il y a quelque chose de politique. Mais non, la victime c’était un journaliste et un journaliste dans l’exercice de ses fonctions qui est assassiné, on nous dit que c’est politique. Mais je veux voir qu’elle est la relation politique dans cette affaire.
Ce que la défense dit c’est de dire qu’on cherche en fait par François Compaoré en vérité à atteindre Blaise Compaoré. Comme si on a attendu que Blaise ait des difficultés pour demander à ce que François soit jugé. Non ! Depuis 1998, ça fait 20 ans qu’on marche pour dire qu’il faut que François soit jugé. Si par là on voulait atteindre Blaise Compaoré, pourquoi on s’adresserait à François alors que Blaise était là. Blaise avait ses problèmes à lui. Dans l’affaire Thomas Sankara, on demande à ce que Blaise soit entendu. Quand vous écoutez les discours sur le plan juridique, sur le plan même de l’opinion publique, les gens font un distinguo très clair. L’affaire Thomas Sankara, on n’a jamais parlé de François Compaoré là-bas.
L’affaire Norbert Zongo, on parle de Blaise mais en tant que premier responsable du pays, en tant que frère aîné de François et qu’il l’a couvert. Mais vous n’avez jamais entendu un burkinabé dire qu’on doit juger Blaise Compaoré parce qu’il a assassiné Norbert Zongo. Est-ce que vous avez déjà entendu ça ? Nous, on ne dit pas ça en tout cas. Mais nous disons que c’est son frère qui est impliqué dans son assassinat et il était au courant et de ce point de vue il doit en répondre parce que c’est de sa responsabilité.
Avec les nouveaux développements qui viennent d’intervenir, parce qu’il y a décision qui doit être rendue d’ici mi-juin, êtes-vous optimiste ?
Là maintenant vous voyez bien que surabondamment nous disions, puis avec ce qui vient de se passer, on ne peut plus avoir un argument quelconque pour refuser l’extradition. Maintenant, je suis d’accord qu’il y a du politique dans l’extradition. C’est pas tant que la demande d’extradition de François soit d’un motif politique mais surtout que les décisions d’extradition sont toujours soutenues par le politique. C’est plus, à mon avis, de la diplomatie que du droit.
Lorsque les Etats-Unis arrivent à faire extrader leurs ressortissants de la France vers des Etats qui appliquent la peine de mort, mais on sait bien que c’est pas le droit, plus des pressions d’ordre politico-diplomatiques, ce que moi j’estime que notre Etat ne fait pas suffisamment. Sinon d’un point de vue purement juridique, moi j’estime qu’il n’y a aucun obstacle à ce que François soit extradé puisqu’aujourd’hui il ne pourra pas dire que je risque la peine de mort.
Il y a plusieurs personnes qui sont présumées impliquées dans cette affaire d’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Pourquoi aujourd’hui tout est focalisé sur François Compaoré ?
Pour deux raisons essentielles : parce que d’abord François c’est un personnage clé dans l’affaire dans le sens que tout est parti de l’assassinat de son chauffeur David Ouédraogo. Par qui ? Par les éléments de la garde présidentielle. Il est important de rappeler que c’est lui et son épouse qui ont requis l’intervention des éléments de la garde présidentielle pour régler un problème civil. Vous et moi nous perdons de l’argent tous les jours, c’est pas la garde présidentielle qui résout ces problèmes.
Donc de ce point de vue, il est impliqué. C’est par la mort de David Ouédraogo qui a emmené l’intervention [l’enquête] donc de Norbert Zongo sur le dossier qu’ils se sont crus obligés d’assassiner Norbert Zongo pour qu’il n’ébruite pas ce qui pour moi est un scandale d’Etat. Parce que quand on fait intervenir la garde présidentielle dans des affaires domestiques, civiles, qui aboutit à la mort d’un chauffeur et à bruler vif un des employés – parce qu’on a dû l’évacuer en France pour qu’on lui fasse une greffe et même après la greffe quand vous voyez la photo, on l’a grillé.
Quand c’est François Compaoré qui est à l’origine de ça, il est normal que ce soit lui qui soit au centre. Maintenant, ce n’est pas lui seul parce qu’on parle de François, on parle de suspects sérieux. Puisque dans nos revendications, on n’a pas parlé que de François. Pourquoi on se focalise sur lui ? La deuxième raison c’est parce que c’est lui qui n’a pas été mis en cause. Les autres, militaires, ont été mis en cause. Certains ont même été emprisonnés, d’autres malheureusement sont décédés. Mais lui, jamais il n’a été mis en cause. Pourquoi les autres sont mis en cause et pas lui alors que son nom ressort constamment et de façon irrévocable dans cette affaire. Donc voilà la raison pour laquelle on se focalise sur François parce qu’on estime qu’il jouit d’une protection qui ne se doit pas dans une république, enfin, du temps où son frère était président.
Et aujourd’hui, combien de personnes sont arrêtées ou en détention concernant cette affaire ?
En détention… Je ne me souviens plus qu’il y ait une personne en détention encore dans cette affaire. Plusieurs militaires avaient été inculpés. Le dernier est décédé, c’était Yaro [Banagoulo, un sergent de l’ex-RSP], il est décédé il y a quelques années.
Finalement, c’est monsieur François Compaoré seul qui reste ?
Qui aujourd’hui est l’un des hommes clés survivants restant dans cette affaire.
Si la justice française décide de l’extrader, quelle sera la suite ?
La suite c’est qu’il sera entendu, qu’il s’expliquera, ce qui n’induit pas qu’à la fin de la procédure d’instruction, il soit retenu par le juge pour être conduit devant une chambre de jugement. Parce qu’après l’enquête, on peut décider qu’il n’ait d’aucune implication pénale dans l’affaire ; ce que nous ne pensons pas. Mais c’est ça la procédure. D’ailleurs, quand on entend ses défenseurs clamer que c’est une chasse aux sorcières, on a bien envie de rappeler que dans une république la justice a quand même le droit, c’est le minimum, d’entendre quelqu’un. On n’est même pas à la phase de jugement de François.
C’est de l’entendre comme personne impliquée dans l’affaire et qui a le droit de se défendre. Donc s’il est retenu qu’il était impliqué, il sera passé en jugement. S’il est passé en jugement et qu’il est reconnu coupable, c’est en ce moment qu’il sera condamné. Mais ce que les gens recherchent, c’est qu’il puisse nous expliquer parce qu’il est au cœur de cette affaire, c’est qu’il puisse nous expliquer ce qui s’est passé.
Donc jusque-là, il n’a pas encore été entendu ?
Non, il n’a pas été entendu.
Mais là, vous dites qu’il est au cœur de cette affaire. Comment ? Qu’est-ce que l’enquête a démontré jusque-là ?
Pour nous, il est au cœur de cette affaire. L’enquête a démontré ceci de très précis que tout part de l’affaire David Ouédraogo où François Compaoré fait appel aux éléments de la garde présidentielle et que ces éléments de la garde présidentielle auxquels il fait appel qui ont assassiné David Ouédraogo – ça c’est établi puisqu’ils ont été jugés, condamnés – ont brulé un des domestiques, ces mêmes éléments sont ceux qu’on retrouvent dans l’affaire Norbert Zongo et qui rendaient compte à François Compaoré de leurs actions puisque c’est lui qui leur avait demandé d’enquêter sur la disparition supposée de sommes d’argent à son domicile.
Donc à partir de ce moment, est-ce qu’il n’est pas logique et légitime qu’on se pose la question, de se dire si vous avez requis des gens pour enquêter chez vous et qui en sont arrivés dans cette enquête à assassiner des gens, et que ces mêmes personnes sont retrouvées dans l’assassinat du journaliste qui parlait de cette affaire, qui commençait à gêner votre frère, est-ce qu’il n’est pas normal qu’on puisse vous soupçonner d’être informé, d’être au courant de quelque chose ? Parce que quand vous requérez le service de quelqu’un le minimum c’est qu’il vous rend compte.
Et que s’il vous a rendu compte, ce qui intéresse la justice c’est de savoir quel est le compte rendu qu’ils ont fait et qu’est-ce qui a pu s’échanger entre vous pour que la mission déborde à assassiner le journaliste qui a ébruité l’affaire. Voilà tout simplement la logique qui fait qu’aujourd’hui on demande à François Compaoré que d’avoir à répondre et dire ce qu’il en sait.
Donc s’il est entendu, il pourrait avoir éventuellement un procès ensuite…
S’il est entendu et que le juge décide que son implication est suffisante comme pour tous les autres, il pourrait avoir un procès et il pourra se défendre et démontrer qu’il n’y ait pour rien et puis les juges apprécieront.
Cette affaire dure depuis 20 ans. Pensez-vous qu’on connaitra la vérité un jour ?
Oui absolument. Vous savez, je fais toujours le parallèle avec le départ de Blaise Compaoré même si ce n’est pas du même ordre. Personne ne croyait il y a 27 ans qu’un jour Compaoré partirait. Quand on en parlait, les gens disaient il ne partira jamais ce monsieur. 27 ans après, il est parti comme vous savez. Donc pour moi la justice, tout le temps, elle se sait toujours. Quand je prends le cas des nazis que la justice a poursuivi pendant pratiquement un demi-siècle avant d’en juger certains. Moi je pense que tant que des hommes existent et croient en la justice, oui, on connaitra un jour la vérité.
Tout comme dans le dossier Thomas Sankara ?
Voilà qu’aujourd’hui dans l’affaire Thomas Sankara, on en est à des inculpations, on en est à des expertises. Les langues commencent à se délier.
Mais là Blaise Compaoré est en Côte d’Ivoire. Il est ivoirien maintenant. Pensez-vous qu’il va comparaitre dans cette affaire ?
Pour le moment, tout laisse à croire que non puisque l’Etat ivoirien et même les autorités ici ne sont pas prêts à faire le nécessaire pour sa comparution. Mais je l’ai toujours dit, vous savez, ce n’est que pour le moment. Il a la chance d’avoir des amis en Côte d’Ivoire, c’est tant mieux pour lui pour le moment. Mais la roue tourne. Il viendra un jour où comme les nazis qui ont été cachés par des amis pendant quasiment un demi-siècle s’en sont retrouvés à une situation où plus personnes ne voulait les cacher. Tant qu’il sera vivant, moi je pense qu’il peut s’attendre à être jugé un jour ou l’autre dans cette affaire Thomas Sankara.
Propos recueillis à Ouagadougou par Anderson Diédri