Sénégal : un contexte tendu avant les élections présidentielles de 2019
Si le système électoral a jusque-là favorisé la stabilité politique du Sénégal, les élections présidentielles de 2019 approche un contexte politique tendu.
Les législatives du juillet 30 2017 ont mis à mal le système électoral. Sur un fichier de plus de 6 millions d’électeurs, plus de 800 000 cartes n’ont pu être fabriquées. Certaines cartes produites n’ont pu être distribués (ou retrouvées par leurs propriétaires). La refonte du fichier électoral, avec le couplage de la carte d’identité et de la carte d’électeur, à six mois du scrutin a créé ces dysfonctionnements du 30 juillet 2017, qui pour certains, rappellent l’organisation « chaotique » des locales de 1996, il y a 20 ans.
« La plupart des problèmes rencontrés lors de la révision de 2016 sont majoritairement liés à la nature ‘exceptionnelle’ de l’ampleur de la tâche accomplie dans des délais extrêmement courts mettant à rude épreuve les moyens logistiques associés (la collecte des données numériques sans moyens de télécommunication), la formation des différents personnels et vacataires et la communication n’ont pas toujours pu suivre le rythme imposé », écrit la mission internationale d’audit du fichier électoral dans son rapport de février 2018, évoquant « 119.000 » cartes non distribuées.
« Il a été constaté que globalement, la chaine qui amène un pétitionnaire depuis l’enrôlement jusqu’à la figuration de ce dernier comme électeur sur la liste électorale est maitrisée et cohérente. Les moyens de contrôle mis en place par la DAF assurent cette cohérence qui permet de rectifier la grande majorité des erreurs humaines introduites lors des opérations comme en atteste le faible taux d’anomalies constatées. Le fichier, bien que perfectible, est cohérent, de bonne qualité, et constitue une base solide pour l’organisation de prochaines élections ».
De son côté, l’administration plaide des « erreurs ». Pour le directeur de la formation et de la communication à la direction générale des élections, Bernard Casimir Cissé, « il y avait des difficultés mais cela n’a pas entamé la sincérité du scrutin ».
« Sur ce plan-là, ma conviction est que la volonté du gouvernement n’était pas de saboter. C’est simplement que le défi majeur était de créer les conditions pour que les électeurs soient enrôlés au maximum », estime NDiaga Sylla, expert électoral, qui pense qu’il fallait « décaler » ces élections de deux ou trois mois.
Des difficultés à gerer avant l’heure
Face aux difficultés, le gouvernement a obtenu un avis du Conseil constitutionnel pour permettre aux électeurs de voter avec leurs récépissés d’inscription, là où le code électoral exige la carte d’électeur et la carte d’identité. La Commission électorale nationale autonome, chargée de superviser et de contrôler le processus électoral, est justement critiquée pour n’avoir pas usé de son pouvoir d’injonction pour obtenir les mesures de corrections appropriées. Issa Sall, membre de la CENA, justifie cette prudence : « On évite de créer un problème sur un autre. Il faut faire quelque fois preuve de sagesse (…) Quand tu es dans le processus, tu peux parfois faire preuve de compréhension ».
Autre point de discorde : l’instauration du parrainage. Si cette mesure concernait uniquement les candidats indépendants, elle vient d’être étendue à l’ensemble des prétendants à la présidentielle qui doivent recueillir 0,8 à 1% des électeurs inscrits pour faire acte de candidature. Alors qu’une sorte de « doctrine du consensus » s’est instaurée depuis le code électoral de 1992, cette mesure ne fait pas l’unanimité.
« Depuis 2012, on a observé une rupture du dialogue politique entre l’opposition et le pouvoir. Et on a remarqué des modifications importantes de la loi électorale qui ont été faites sans consensus », se plaint Dr Cheick Dieng, Secrétaire national chargé des élections du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition).
Il réclame notamment la nomination d’une personnalité neutre à la tête du ministère de l’intérieur comme l’ont fait Wade en 2011 et Diouf en 1998.
En plus, les condamnations par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) créée par le président Macky Sall, de Karim Wade (candidat du Parti démocratique sénégalais) et du maire de Dakar Khalifa Sall, sont perçues comme des moyens « visant à éliminer [l]es deux challengers les plus sérieux » du président sortant. Un virage pour le Sénégal ? Dans de telles conditions de tension politique, le pays peut-il aller en février 2019 à des élections présidentielles apaisées ? Le « Masla », observe Dr Dione, a prévalu jusque-là :
« On a comme l’impression que la démocratie sénégalaise est une œuvre décisive, c’est un éternel recommencement (…) C’est un peu si on jouait à se faire peur et qu’on faisait une sorte de danse au bord du précipice mais qu’au dernier moment, cette politique du bord du gouffre, les acteurs savent se ressaisir à temps ». Pour Dr Dialo Diop, ancien Secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND), parti fondé par le professeur Cheick Anta Diop, mouvance panafricaniste, lui, pointe du doigt un système qui reste imparfait et qui mérite d’être amélioré. « La démocratie sénégalaise est un leurre », juge-t-il.
Anderson Diédri et Suy Kahofi