Des graffeurs sénégalais s’engagent contre le coronavirus
Parce que l’art est un puissant canal de communication, les graffeurs du RBS Crew ont décidé de véhiculer des messages de sensibilisation contre le coronavirus à travers des graffitis dans la ville de Dakar.
Le visiteur d’un jour qui découvre la capitale économique du Sénégal sera sans doute frappé par les graffitis multicolores qui à certains coins de rue et points de la ville viennent donner un certain charme à Dakar. Des figures humaines, des représentations d’animaux, des formes géométriques ou encore des expressions ornent ici et là des murs, rappelant que l’art reste un puissant canal de communication. Et c’est par ce moyen que des graffeurs de Dakar ont décidé de contribuer à la lutte contre la maladie à coronavirus, Covid-19.
Ces artistes rompus au street-art ont posé leurs pots de peinture, pinceaux et bombes aérosols pour rendre en image les messages de sensibilisation contre le virus édictés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et relayés par les autorités sanitaires du Sénégal. C’est au pied d’un mur offert comme une toile vierge que l’on peut observer le bon graffeur évoluer et le collectif RBS Crew le sait. RBS pour Radical Bomb Shot, un collectif de graffeurs basé à Dakar qui a décidé de se mobiliser contre le coronavirus.
« Au début RBS Crew était juste un collectif d’artiste-graffeurs qui se réunissait pour peindre ensemble mais il est devenu très vite un mouvement panafricain » précise Serigne Mansour Fall aka Madzoo, un des membres fondateurs de RBS Crew.
L’actualité étant marqué par la pandémie du coronavirus, le collectif a décidé de mettre son savoir-faire au service de la lutte contre la maladie. Ainsi sur des fresques murales d’une dizaine de mètres dans la capitale sénégalaise, les graffeurs rappellent aux passants les règles d’hygiène à observer pour éviter le Covid-19 et protéger ainsi la communauté toute entière.
« Les artistes ont aussi la responsabilité de sensibiliser et nous le faisons à travers les images. Nous traduisons donc en images les instructions données par les services sanitaires pour surtout permettre à ceux qui ne sont pas allés à l’école de pouvoir bénéficier de ces informations qui sauveront leurs vies » nous explique Madzoo.
Dakar sous les bombes
Non loin du stade de l’amitié dans le quartier de Guediawaye, à l’Université Cheick Anta Diop (UCAD), au lycée des Parcelles assainies ou sur le front de mer à Cambérène, RBS Crew a pu peindre dans la ville de Dakar une dizaine de fresques principalement autour des gestes barrières. Le port du masque, les mesures d’éternuement dans le coude ou l’utilisation du gel hydroalcoolique ont été ‘graffés’ avec soin pour sensibiliser les populations. Et parmi ces gestes barrières, un membre du RBS Crew a décidé de matérialiser le lavage des mains.
Pour Ousmane Dieme aka OB Dieme, « le lavage des mains est la mesure la plus accessible pour chaque personne car on peut trouver au moins de l’eau et du savon dans chaque ménage ». « Se laver les mains est la première mesure de protection et d’ailleurs la plus simple et la moins coûteuse de mon point de vue d’où ma volonté de matérialiser ce geste » précise OB Dieme avant de souligner que « la main est la partie du corps qui a tendance à plus toucher les autres organes comme les yeux, la bouche ou le nez ». Se laver les mains est un geste simple pour se protéger et éviter de s’infecter si par mégarde les mains auraient trainé sur une surface contaminée. Se laver les mains, oui, mais que faire quand on n’a pas d’eau ? Ibrahim Maria aka Xalima répond à cette préoccupation via une représentation de l’usage du gel hydroalcoolique qui coule sur une paume ouverte.
« J’ai choisi d’illustrer l’utilisation du gel car c’est aussi un geste important pour se protéger » soutient le graffeur.
En effet dans la ville de Dakar, le petit commerce du gel hydroalcoolique a pris le pas sur de nombreux autres produits de consommation. En flacon individuel ou pour un usage familial, le gel hydroalcoolique est devenu un allié dans la lutte contre le coronavirus, une maladie infectieuse qui touche aussi bien les personnes âgées que les jeunes et les enfants. Les plus exposés sont sans doute les populations les plus démunies et vulnérables parmi lesquelles figure les talibés, les enfants mendiants de Dakar.
« Les petits mendiants sont habituellement exposés dans les rues dehors sans grande protection. Alors que les autres sont en sécurité à la maison lors confinement, la situation des talibés est plus critique » indique le graffeur Serigne Boye aka Zeuss, auteur du portrait de l’enfant talibé.
Le problème des enfants mendiants dont certains proviennent des pays limitrophes (notamment la Guinée et la Gambie) se pose principalement à Dakar mais on compte aussi dans les localités de Saint-Louis, M’bour et Kaolack. En 2010, le nombre de talibés au Sénégal était estimé à 50 000 par l’ONG Human Rights Watch et à plus de 100.000 enfants en 2019. Pour Zeuss, il ne faut pas négliger le talibé dans la lutte contre le Covid-19 au risque de les laisser à la merci du virus mais aussi d’exposer les personnes qui leur font l’aumône au quotidien. Ils doivent avoir accès aux bornes d’eau et au savon pour le lavage des mains, aux programmes de sensibilisation contre le coronavirus mais aussi aux masques faciaux.
Le port du masque étant devenu obligatoire dans tous les lieux publics du Sénégal, Serigne Mansour Fall aka Madzoo a décidé de l’immortaliser sur la fresque murale. Pour pousser les sénégalais à adopter le masque comme moyen de protection, il a opté pour le masque avec le motif africain. « J’ai peint le masque comme un moyen de se protéger en protégeant les autres. Une attitude responsable avec le choix du motif africain pour parler aux africains que cette pandémie est bien présente en Afrique et touche aussi les africains contrairement aux fake news qui font croire que les africains sont immunisés contre le Covid-19 ».
De l’art utile
Des centaines de Dakarois admirent au quotidien le travail de RBS Crew. Un message grandeur nature qui rappelle l’urgence de se protéger contre une maladie qui depuis plusieurs mois défie la communauté scientifique qui se bat pour trouver un vaccin efficace et accessible à tous. D’ici là, les gestes barrières restent la seule option crédible de protection. Pour Fatoumata Sarr étudiante l’Université de Dakar (UCAD) « le savoir-faire du RBS Crew est de l’art utile au service de la communauté ». « Je pense que ces graffitis sont là pour nous rappeler l’urgence de la situation et la nécessité de nous protéger contre le Covid-19. Chaque voit que nous les voyons, nous savons que ces gestes peuvent nous sauver et sauver d’autres personnes ».
Dakar est connue pour sa longue tradition des graffitis avec plusieurs teams de graffeurs qui rivalisent de créativité. Ousmane Ndao et Tapha Diop, deux fonctionnaires réaffirment que ces images sont – après les messages radios en langue – le « deuxième moyen le plus efficace de communiquer sur le Covid-19 ». « Avec une image il n’y a plus de barrière linguistique. Peu importante la langue que vous parlez et comprenez, vous saisissez automatiquement le message véhiculé par ces images dès que vous les regardez » affirme Tapha Diop. Ousmane Ndao estime pour sa part qu’il faut mieux accompagner « les initiatives citoyennes contre le Covid-19 comme celle de RBS Crew ». « Ils mettent leur art au service de la communauté : il faut que les décideurs reconnaissent leur mérite et leur apporte l’aide dont ils ont besoin pour inonder Dakar et le Sénégal de ses images de sensibilisation ».
Ebony T. Christian