Imbroglio sur le nombre de décès enregistrés lors des manifestations en lien avec la présidentielle ivoirienne de 2025
De nombreuses informations sont relayées sur les réseaux sociaux et parfois par les acteurs politiques et des institutions sur les différents incidents qui ont émaillé le processus électoral en vue de la présidentielle du 25 octobre 2025 en Côte d’Ivoire. En l’absence d’une communication officielle précise, il est difficile de se retrouver dans ces chiffres qui sont avancés. Éclairage sur ces incidents rapportés, en particulier sur le nombre de décès enregistrés.
Anderson Diedri, Eburnie Today
En début de soirée du 25 octobre 2025, le jour du scrutin, alors que les populations attendaient les premiers résultats de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, le président de la Commission électorale indépendante (CEI), Ibrahime Coulibaly-Kuibiert, livrait ses premières analyses sur les antennes des télévisions nationales. Il a expliqué que le scrutin s’est globalement bien déroulé dans l’ensemble malgré des incidents signalés dans certaines localités du pays. Il a exprimé sa satisfaction d’avoir dénombrer moins de pertes en vie humaines lors de cette élection, alors que les périodes électorales sont généralement des périodes de tensions socio-politiques en Côte d’Ivoire.
« Voyez-vous à chaque fois, qu’à l’occasion d’une élection, il y a mort d’hommes, nous prenons ça pour notre compte, même si ce n’est pas directement lié à la Commission électorale indépendante parce que nous on ne tue pas. Mais c’est toujours regrettable que l’occasion de l’opération dont vous avez la responsabilité constitue une cause mortifère au point d’affecter la vie des citoyens. Il y a, à un moment donné, un regret. Donc, aujourd’hui, je suis un homme plus ou moins heureux parce qu’en dehors du cas malheureux dans la zone de l’Agneby-Tiassa où l’un de nos frères d’armes a perdu la vie, je crois qu’on n’a pas dénombré de mort sur toute l’étendue du territoire. Ce qui est une bonne chose pour nous. Nous sommes satisfaits de cela », a déclaré Ibrahime Coulibaly-Kuibiert, comme le rapporte cette publication de la chaîne de télévision ivoirienne NCI à partir de la 13ème minute (13’45).

Le président de la CEI fasaiit référence au décès, survenu le 20 octobre 2025, du Sous-lieutenant Klenon Lassina Daniogo, un officier de gendarmerie en service à l’escadron d’Agboville au cours d’une mission de sécurisation.
Ce décès est-il effectivement le seul enregistré au cours des manifestations en lien avec la présidentielle ivoirienne de 2025 ?
Décompte des chiffres réels des incidents
Si, au moment de la mise en ligne de cet article, il n’y avait pas encore eu de communication officielle précise et détaillée faisant le bilan de l’ensemble des incidents, en particulier sur le nombre de décès, un recensement a été effectué par la Coalition Anti Dohi sur la base des communiqués et déclarations de la justice, de la police, de la gendarmerie, d’institutions étatiques, des partis politiques et des témoignages sur le terrain. Ce décompte fait état d’une dizaine de morts.
Dans un contexte marqué par des manifestations de l’opposition, et alors que le Front Commun, une coalition de partis politiques de l’opposition dirigée par le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), a annoncé une marche, le 11 octobre 2025, pour réclamer « (la) démocratie, (la) justice et (la) paix ».
En réponse, Andjou Koua, le préfet du département d’Abidjan, a publié un arrêté interdisant « toute marche le 11 octobre 2025 sur toute l’étendue du territoire du département d’Abidjan » pour « la préservation de l’ordre public en cette période particulière de la campagne électorale pour l’élection présidentielle ». Puis, un arrêté conjoint, pris le 17 octobre 2025 par les ministres de la Défense Téné Birahima Ouattara et de l’Intérieur et de la Sécurité Vagondo Diomandé, a ajouté que « les meetings et manifestations publiques des partis ou groupements politiques sont interdits sur toute l’étendue du territoire national, à l’exception de ceux qui s’inscrivent dans le cadre de la participation au processus électoral relatif à l’élection du Président de la République du 25 octobre 2025 ».
Cependant, le Front Commun a maintenu son mot d’ordre, ouvrant la voie à des interventions des forces de l’ordre. Plusieurs incidents ont été enregistrés.
Dans une déclaration faite le 27 octobre 2025 par sa présidente Namizata Sangaré, le Conseil national des droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDH) a dressé un bilan de la situation préélectorale entre le 11 et le 21 octobre 2025. Il fait état de six morts survenus lors des manifestations de l’opposition. « Suite aux interventions des forces de l’ordre, plus de 700 personnes ont été interpellées selon les autorités et contre lesquelles des procédures judiciaires ont été ouvertes. Six autres ont perdu la vie dont deux dans la région du Sud-Comoé, une dans la région de l’Agneby-Tiassa (Grand Yapo), une à Daloa et deux à Yamoussoukro », a annoncé le CNDH, sans plus de détails.
Selon un communiqué du procureur de la République de Toumodi, une personne nommée Paul Kacou Konan (46 ans) est décédée, le 21 octobre 2025, d’un traumatisme crânien, après avoir reçu une pierre à la tête alors qu’il aidait la gendarmerie à lever des barricades dressées par des « individus » dans le village de Kami (commune de Yamoussoukro).
En outre, comme l’a indiqué le président de la CEI, la gendarmerie nationale a confirmé, dans communiqué, la mort du Sous-lieutenant Klenon Lassina Daniogo, le 20 octobre 2025, après avoir reçu des tirs « à l’épaule et à l’abdomen » lors d’une patrouille de sécurisation à Grand Yapo sur l’axe Agboville-Azaguié. Une enquête a été ouverte pour « élucider les circonstances de ce drame ».
Le 19 octobre 2025, un homme du nom de Marc Géraude Kprohi (34 ans) a également perdu la vie. Selon le communiqué du procureur de la République de Daloa, il a été arrêté ce jour-là avec huit autres personnes à l’occasion d’une opération de démantèlement de barricades érigées entre les villages de Bla et Tchébléguhé sur l’axe Daloa-Issia. Il est mort lors de son évacuation au Centre hospitalier régional (CHR) de Daloa, après avoir constaté un « état d’essoufflement » au cours de son « interrogatoire » à la brigade de gendarmerie de Daloa. Une enquête a été ouverte pour connaître les « causes » du décès.
Selon cet article du média ivoirien Linfodrome, daté du 21 octobre 2025, sur des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, la mort de Marc Géraude Kprohi s’inscrit dans le cadre d’« incidents (survenus) dans un climat politique particulièrement tendu, à quelques jours de la présidentielle du 25 octobre 2025 ».

Autre décès signalé en lien avec ce contexte électoral, celui d’Ernest Christophe Allouan (22 ans), le 13 octobre 2025. La Police nationale a expliqué, dans un communiqué, qu’il a été atteint à la mâchoire par une balle tirée par « des individus non identifiés circulant à bord d’un véhicule 4×4 », lors d’une manifestation à Bonoua. Il a succombé à ses blessures dans la soirée au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville à Abidjan où il avait été évacué.
Une enquête a été ouverte par la direction de la Police criminelle « afin de faire toute la lumière sur les circonstances de ce drame et d’identifier les auteurs ». Dans une dépêche de l’Agence ivoirienne de presse datée du 14 octobre 2025, « des manifestations de jeunes dans les rues de Bonoua visant, selon eux, à s’opposer à protester contre un quatrième mandat du candidat du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) à la présidentielle, Alassane Ouattara, et la réaction des forces de l’ordre ont paralysé les activités dans certains quartiers de la ville de Bonoua, lundi 13 octobre 2025 ».

Dans un communiqué daté du 15 octobre 2025, le PPA-CI dirigé par Laurent Gbagbo, dressant un bilan « provisoire » des événements, a indiqué « deux personnes décédées » dont Ernest Christophe Allouan et « un bébé de deux ans, qui a été étouffé par les gaz lacrymogènes d’une grenade lancée par les forces de l’ordre dans une cour dans le village d’Abié dans le département d’Adzopé ».
Contactée par la Coalition Anti Dohi, le 28 octobre 2025, Augustine Asseuhin Agoua, la grand-mère a témoigné que le bébé de « trois mois » (et non deux ans comme annoncé par le PPA-CI) est décédé après avoir inhalé du gaz lacrymogène lancé par les forces de l’ordre lors d’une intervention au petit matin du 14 octobre 2025. L’enfant étant malade, il n’a pas supporté le gaz lacrymogène, estime-t-elle : « Je n’ai pas l’argent. Quand ça s’est passé, je n’ai eu personne pour venir à mon aide. Donc je ne suis pas partie à l’hôpital. La maman du bébé est actuellement malade ».
S’agissant des événements survenus le jour du scrutin, le 25 octobre 2025, le CNDH a indiqué que ses observateurs « ont rapporté avoir été informés de pertes en vie humaine à Nahio, dans la région du Haut-Sassandra et des violences contre des personnes, y compris des éléments des forces de l’ordre et des agents électoraux ». Sans plus de précision.
Dans une déclaration faite le 26 octobre (ici et ici), le Front Commun a dit avoir noté « trois morts et vingt-neuf blessés » à Grand-Nahio, « quatre morts, 67 blessés graves et 5 maisons incendiés », à Niamayo et dans le village de Didakouadioblé à Toumodi. Le « jeune N’Guessan Kouadio Richard, 13 ans seulement, tué par balle alors qu’il n’était pas mêlé d’aucune manière à une quelconque manifestation », a rapporté le Front Commun.
Après vérification, plusieurs habitants assurent qu’il n’y a pas de village nommé Didakouadioblé à Toumodi, mais plutôt Didakouadiokro et Didablé. Contacté le 28 octobre 2025, le chef intérimaire du village de Didablé, Yao Kra, a expliqué à la Coalition Anti Dohi qu’ « il n’y a rien eu à Didablé. Il n’y a pas eu d’incident. Rien ne s’est passé ici. Le vote s’est passé tranquillement ».
Franck Abel Kouamé, le président des jeunes Didakouadiokro, joint également, suite aux incidents dans le village, quatre jeunes ont été interpellés le 25 octobre 2025 en fin de journée par la police (trois de Didakouadiokro et un de Didayaokro). Un blessé « grave » a été évacué à Toumodi, puis à Bouaké pour des soins. Lorsque les « lacrymogènes ont été lancés, ça l’a tapé sur la tête », a-t-il rapporté.
Selon Edouardo Kouadio, un membre de la famille, il s’agit de Romaric N’Goran, 17 ans. « On était ici. Les forces de l’ordre ont lancé des lacrymogènes. Il était à la maison et ça l’a tapé au niveau de la tête. Il a été évacué d’abord au centre de santé de Didablé. Vers minuit-1h du matin, ça n’allait pas, donc on l’a envoyé à Toumodi. C’est de Toumodi qu’on l’a envoyé à Bouaké. Ça va un peu chez lui », a-t-il témoigné.
Concernant les événements à Nahio, contacté les 27 et 28 octobre 2025, un fonctionnaire et un habitant sur place, Zirihi Onané, ont confirmé la mort de trois personnes. Il s’agit de Digbeu Gouaméné Faras (ancien ambulancier de Nahio), Douamé Zely Guimos (un chef de quartier) et Micheline Ballié. Un bilan également rapporté par le site d’information ivoirien Linfodrome. Ces témoignages font état de 21 blessés et 25 maisons incendiées. Les autorités administratives se sont rendues à Nahio au lendemain des événements pour appeler à l’apaisement. Zirihi Onané, dont la maison a été aussi « calcinée », explique que ces affrontements violents ont eu lieu le jour du scrutin, lorsqu’un groupe de jeunes a tenté d’empêcher le déroulement des votes.
Cet article a été réalisé par le média ivoirien Eburnie Today, membre de la Coalition Anti Dohi – une initiative qui œuvre pour l’intégrité de l’information dans le cadre de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2025. La Coalition Anti Dohi est soutenue par le projet Renforcer la fiabilité de l’information en Afrique de l’Ouest de la GIZ, dans le strict respect de l’indépendance journalistique et éditoriale qui régit la Coalition.
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