Quelle synergie d’action entre les différents acteurs pour lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux en Côte d’Ivoire ? La société civile veut jouer sa partition et plaide pour plus de transparence et de justice sociale dans le recouvrement des avoirs criminels.
Depuis octobre 2024, la Côte d’Ivoire a été placée sur la ‘’liste grise’’ du Groupe d’action financière (GAFI). Ce qui signifie que le pays fait l’objet d’une ‘’surveillance renforcée’’ du GAFI car des insuffisances ont été identifiées dans le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT).
« Ce n’est pas une sanction », tempère Romain, directeur des affaires juridiques de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels (AGRAC). Il s’exprimait le 19 août 2025 lors d’un atelier de sensibilisation sur l’importance et les mécanismes de recouvrement des avoirs pour les organisations de la société civile organisé par Social Justice à Abidjan.
Pour ce spécialiste de la lutte anti-blanchiment, l’évaluation de la Côte d’Ivoire a porté sur deux aspects : l’intégration des 40 recommandations du GAFI dans les lois nationales (conformité technique aux normes) d’une part et d’autre part l’efficacité des textes et des institutions mises en place d’autre part. « Et c’est sur ce [dernier] point qu’on a estimé que la Côte d’Ivoire n’était pas efficace », explique ce magistrat hors hiérarchie.
Redoubler d’efforts
En clair, les résultats obtenus par le pays sont faibles pour l’instant. L’objectif de la Côte d’Ivoire est de sortir de la liste grise du GAFI en mettant en œuvre les recommandations formulées par cet organisme intergouvernemental, à travers un plan d’action. « La Côte d’ivoire doit corriger 14 actions recommandées par le GAFI pour corriger son dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme », explique Chantal Bodet, analyste à la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF). Il s’agira notamment du renforcement du cadre légal, du contrôle des assujettis et du recouvrement des avoirs criminels.
« Je voudrais inviter le pays à redoubler d’efforts », exhorte Djaratou Traoré Tohé, responsable de la communication au Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA). Selon elle, chaque partie prenante doit apporter sa contribution dans cette lutte car un système financier intègre permet d’attirer les investissements et de favoriser le développement.
Pour Julien Tingain, président de Social Justice, « le défi est d’autant plus important qu’il est nécessaire de nous unir pour accompagner le gouvernement à sortir de la liste grise ». Il estime que le rôle de la société civile est indispensable dans cette croisade sur le continent africain. Car la corruption et le blanchiment de capitaux constituent des fléaux qui « privent nos Etats de ressources vitales, freinent notre développement et creusent les inégalités ». Accentuer la lutte permettra « de mobiliser les ressources internes pour financer notre développement », notamment d’actions sociales. « Ensemble nous pouvons renforcer la transparence dans la restitution des avoirs », exhorte Julien Tingain, qui plaide pour plus de transparence et de justice sociale dans le recouvrement des avoirs criminels. Pour ce faire, la société civile a adopté un plan d’action.
De nombreuses saisies
S’agissant de la gestion et du recouvrement des avoirs criminels, plusieurs biens ont été saisis depuis la création de l’AGRAC en 2022. A ce jour, on enregistre un navire de plus de 100 mètres de long, 800 véhicules (voitures, engins de TP, moto, tricycles), 116 biens immeubles bâtis et non bâtis à Abidjan et à l’intérieur du pays, du bétail (69 bœufs, moutons, cabris), 73 bijoux, 5316 téléphones portables et tablettes, 9305 pièces détachées, plus de 283 410 tonnes de produits agricoles (café, cacao, farine de manioc, noix de cajou, igname, produits phytosanitaires), 9 restaurants, hôtels et boites de nuit, 228 comptes bancaires…
Malgré ces efforts, des défis subsistent. L’étude nationale sur l’analyse des risques en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en 2019 a révélé que les principales menaces sont la corruption, le trafic de stupéfiants, la cybercriminalité, les crimes environnementaux et la fraude fiscale.
En outre, l’évaluation de la Position africaine commune sur le recouvrement d’avoirs (CAPAR) en Côte d’Ivoire en 2024 réalisée par Social Justice montre qu’il y a des avancées (52% des indicateurs sont satisfaits) mais des efforts sont attendus (17% restent non satisfaits et 31% sont partiellement satisfaits). L’organisation recommande au gouvernement notamment de mettre en place un cadre tripartite national (gouvernement, société civile, médias et secteur privé) et de favoriser la participation de la société civile dans la gestion des avoirs récupérés. L’installation d’un point focal CAPAR en Côte d’Ivoire est également préconisée.
Anderson Diedri
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