Monitoring des lieux de détention : le ministère de la justice conteste le rapport de l’OIDH
L’Observatoire ivoirien des droits de l’homme (OIDH) vient de rendre public son rapport de monitoring des lieux de détention dans les juridictions d’Abidjan, de Daloa et de Bouaké. Il ressort de ce rapport que les conditions de vie dans les prisons ivoiriennes sont à la limite inhumaines !
Le monitoring des lieux de détention dans les juridictions d’Abidjan, de Daloa et de Bouaké a été réalisé par l’OIDH avec le soutien financier de la fondation OSIWA (Open Society Initiative for West Africa). La présentation du rapport scientifique a donné lieu à une cérémonie organisée le 22 mars dernier à l’INADES, Abidjan-Cocody. A peine publié, que le rapport suscite le mécontentement du ministère de la justice.
« Le rapport ainsi présenté est en déphasage véritable avec le programme étatique. Nos maisons d’arrêt ne correspondent pas à certaines normes : c’est vrai, c’est une réalité. Il faut faire un clin d’œil à ce qui est train d’être fait » a précisé N’Djoman De Achille, magistrat, par ailleurs conseiller technique au ministère de la justice.
Une réaction à chaud après la lecture du rapport présenté par une équipe d’enquêteur de l’OIDH. L’Observatoire n’est pas à son premier monitoring sur les lieux de détention en Côte d’Ivoire. Et si au fil des mois, certaines observations, critiques et suggestions reviennent sans cesse dans les rapports de l’OIDH, c’est bien parce que les solutions proposées par les structures étatiques interpellées n’ont pas pu résoudre les problèmes identifiés. Ce dernier monitoring en est encore la preuve !
La conduite du monitoring
Les enquêteurs de l’OIDH (8 juristes) ont sillonné au total de 17 commissariats de police, 12 brigades de gendarmerie, 5 maisons d’arrêt et de correction, 3 centres d’observation pour mineurs et 2 quartiers pour mineurs. Ces lieux ont été choisis en fonction de leur situation géographique, de l’ampleur du contentieux pénal, de la population carcérale et de la typologie des infractions récurrentes. L’objectif du monitoring étant « de réduire la détention préventive et d’humaniser les conditions de détention » peut-on lire dans le rapport.
Les juristes avaient pour rôle de surveiller d’une part, le traitement des personnes arrêtées, gardées à vue et en détention préventive et d’autre part, les lieux de détention à l’effet de constater leur conformité aux normes prévues par les Lignes Directrices de Luanda et les autres standards internationaux. Ainsi, du 27 mars au 22 décembre 2017, l’équipe de l’OIDH s’est rendue dans des lieux de détention dans les juridictions d’Abidjan, de Bouaké et de Daloa.
« Nous avons sillonné les lieux de détention, services de police judiciaire et les maisons d’arrêt sur une période de dix (10) mois. Nous avons obtenu des autorisations de la police nationale, de la gendarmerie et de Mr le Garde des Sceaux pour visiter les prisons », a déclaré le Président de l’OIDH, Eric Aimé Semien.
Voici donc une méthodologie qui lève toutes suspicions sur la qualité, la véracité et l’authenticité des données collectées par les enquêteurs. L’OIDH n’a donc pas pour objectif de dresser un sombre tableau de l’univers carcéral et du système judiciaire ivoirien mais plutôt d’aider à les améliorer. L’ONG a pu observer les conditions matérielles de détention. Il s’agit principalement de tous les aspects constituant la prise en charge des détenus.
Les résultats et recommandations
En ce qui concerne les repas, force est de constater qu’ils sont peu fréquents et de moindre qualité. Ils ne prennent pas en compte les exigences diététiques les plus élémentaires. Au niveau de la santé, l’accès aux services d’assistance médicale externes y compris les services psychiatriques restent difficiles. De façon plus spécifique, les personnes souffrant de maladies chroniques transmissibles comme le VIH/ SIDA et la tuberculose n’ont pas accès à un traitement de qualité.
La problématique de la surpopulation carcérale reste également d’actualité et les exemples pour le montrer ne manquent pas dans le rapport de l’OIDH. Dans la localité de Man, la prison prévue pour 145 détenus en accueille aujourd’hui 1500 ! Cela laisse entrevoir une grande promiscuité, des lits que doivent se partager à tour de rôle les détenus sans oublier la violence et les maladies transmissibles qui peuvent facilement se développer.
Au regard de toutes ces problèmes énumérés, l’OIDH a donc fait des recommandations notamment au Gouvernement ivoirien. Il est impératif selon l’ONG de revoir à la hausse la ligne budgétaire du Ministère de la justice et des droits de l’homme en ce qui concerne la prise en charge des détenus. Les moyens destinés aux rations alimentaires et aux soins de santé, à la prise en charge médicale spécifique de certaines maladies, à l’assainissement des prisons (sanitaire) et l’accès à une eau potable doivent être plus conséquents.
Sur ce point, N’Djoman De Achille, conseiller technique au ministère de la justice tient à préciser que le budget alloué au ministère de la justice ne représente que « 0,5% du budget de l’état de Côte d’ivoire et non 1% contrairement à l’entendement populaire ». Une manière à peine voilée pour le magistrat de mettre en évidence la faiblesse des moyens du ministère. Malgré ces difficultés financières évoquées, certaines recommandations ont été faites au ministère de la justice. L’OIDH lui recommande de privatiser les cantines dans les maisons d’arrêt et de correction.
Afin de lutter contre la surpopulation carcérale, il est impératif de construire de nouvelles prisons et réaménager celles existantes en respectant les standards internationaux. Et parce que la privation de liberté ne de doit pas rimer avec stagnation de la vie du détenu, l’Observatoire propose l’installation de centres d’alphabétisation et de formation professionnelle notamment aux métiers de la coiffure, de la couture et de la menuiserie.
A l’heure du développement des TIC, il est capital pour le ministère de dématérialiser le système judiciaire et de veiller à un recrutement de qualité pour les gardes pénitentiaires. A ce sujet, les récentes accusations de racket organisé par les gardes pénitentiaires notamment à la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan) viennent relancer le débat sur le professionnalisme des éléments recrutés pour la sécurité des lieux de détention.
« Les recommandations faites par cette organisation sont les bienvenues mais le ministre a pris de l’avance dans les initiatives. Ce que nous attendons c’est d’avoir des partenaires techniques et financiers pour se disposer véritablement à nous accompagner pour pouvoir aller loin. Tous ses problèmes que vous avez relevés sont des choses qui sont pour nous des préoccupations majeurs » a souligné N’Djoman De Achille s’adressant aux membres de l’OIDH.
Notons que l’Observatoire ivoirien des droits de l’homme s’est engagé depuis 2016 dans la lutte contre les violations qui surviennent au cours des arrestations, de la garde à vue et de la détention préventive. La première phase du projet qu’il a initié avec l’appui de la Open Society Initiative for West Africa s’est déroulée du 30 avril au 30 juin 2016.
Raïssa Yao & SUY Kahofi