Le président ivoirien et candidat, Alassane Ouattara, s’exprime lors de son meeting de clôture de campagne, à Abidjan, le 23 octobre. © Sia KAMBOU / AFP
Une vidéo virale publiée sur Facebook par le cyberactiviste ivoirien « Le Général Bob Le Mannequin », illustre comment, en politique, certaines paroles, même dites sous le sceau de la parabole, peuvent être instrumentalisées pour légitimer l’intimidation et la violence en période électorale.
Valdez Onanina, Africa Check
« Vous savez, on dit souvent : »Les chiens aboient, la caravane passe ». Mais ne vous en faites pas, la caravane est déjà passée. (…) La campagne s’arrête ce soir à minuit, je vous demande d’être vigilants, de bien surveiller vos différents quartiers, parce que, vous savez, les chiens peuvent toujours passer mais nous, nous devons être prêts à protéger la Côte d’Ivoire ». Lors de son meeting de clôture le 23 octobre 2025 à Abidjan, Alassane Ouattara ne se doutait peut-être pas que son allusion aux »chiens », visant ses opposants, serait récupérée par certains partisans pour nourrir un discours violent et stigmatisant envers d’autres Ivoiriens.
Ouattara, dans le même discours, s’est dit fier d’une campagne « apaisée, civilisée, ouverte, (qui) va conduire à des élections démocratiques ».
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Il a finalement remporté cette élection présidentielle et va diriger (tous) les Ivoiriens pour un quatrième mandat consécutif. Mais si le scrutin présidentiel s’est achevé, le climat politique est resté tendu. Deux jours après la proclamation des résultats, les deux principaux partis d’opposition ont continué de contester la légitimité du processus électoral et ont appelé à une grande manifestation pour le 8 novembre 2025.
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« Le 8 novembre, tous les chiens qui vont sortir seront matés »
C’est à cet appel de l’opposition à manifester que le cyberactiviste Sidibé Karamoko, dit Le Général Bob Le Mannequin, a réagi à travers une vidéo virale dans laquelle il traite ouvertement de « chiens » les partisans de l’opposition ivoirienne. Il appelle à « mater » ceux qui oseraient manifester, « sans pitié ni sentiment », exhortant les « guerriers » du RHDP à aller « au contact à outrance ». Cet épisode violent, qui met en scène une animalisation de l’adversaire, est un cas typique de discours de haine.
| Note : la manifestation prévue le 8 novembre 2025 par l’opposition ivoirienne a été reportée à une date ultérieure par celle-ci, d’après un communiqué du PPA-CI, le parti dirigé par Laurent Gbagbo. Quelques heures avant, le préfet d’Abidjan avait rappelé que l’arrêté interministériel n°0755/MIS/MEMD du 17 octobre 2025 interdisait pour deux mois les réunions et manifestations publiques des partis politiques sur l’ensemble du territoire national. |
Une rhétorique violente et incendiaire
Sidibé Ibrahim Karamoko, alias »Bob le Mannequin », est un cyberactiviste ivoirien se revendiquant militant du RHDP, (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix), le parti au pouvoir dirigé par Alassane Ouattara. Karamoko vit en France et s’est fait connaître par des vidéos provocatrices et incendiaires. Dans l’une d’elles, publiée en mars 2025, il avait appelé les militants du RHDP à se préparer à un « combat offensif, engagé » contre les opposants qui descendraient dans la rue et avait revendiqué des actes violents commis lors de crises post-électorales : « Tous les partis politiques qui vont se mettre dans la rue en Côte d’Ivoire, je demande à tous les militants RHDP nordistes d’aller au combat, à la violence à outrance. Aucune pitié pour un militant PPA-CI qui va se retrouver dans la rue (…) Vous savez, quand moi j’étais au pays, avant d’achever une personne, je cherchais à couper tous ses deux pieds, les nerfs qui sont derrière ses deux pieds, je prenais (une) machette pour couper », avait-il déclaré.
Ces propos incendiaires du « cybermilitant du RHDP » intervenaient après que, dans le même mois de mars 2025, l’opposition ivoirienne s’était organisée autour de la coalition CAP-Côte d’Ivoire annonçant des actions publiques, dont une marche. Mais ces initiatives ont été confrontées à des restrictions gouvernementales, certaines étant annulées ou interdites. L’épisode a valu à Bob Le Mannequin les sobriquets de »Coupeur de tendons » et »Tendonnier », ainsi que plusieurs plaintes pour incitation à la haine et aveux de crimes contre l’humanité.
Face à la polémique, la section RHDP France s’était désolidarisée de Bob Le Mannequin, affirmant que ses propos ne reflètent pas les valeurs du parti.
Sur les réseaux sociaux, des internautes avaient appelé les autorités ivoiriennes à se saisir de l’affaire, certains évoquant même la thèse de crimes de guerre imputés au RHDP. D’autres ont critiqué le fait que Bob Le Mannequin continuait d’être accueilli en héros dans des événements publics du parti, comme en octobre 2025 lors d’un meeting de campagne.
Les précédents du langage animalier dans le débat politique ivoirien
D’après Harouna Drabo, chercheur et analyste de la désinformation des opérations d’influence informationnelle en Afrique francophone, ce qui apparaît comme une simple boutade du président Alassane Ouattara, en pleine campagne électorale, intervient dans un contexte politique particulièrement sensible. La déclaration du président Ouattara, fait observer Drabo, a rapidement été reprise par les cybermilitants du RHDP comme une contre-offensive narrative face à ceux de l’opposition. « Cette instrumentalisation du propos s’inscrit dans la guerre de communication ou de propagande numérique qui oppose les camps politiques sur les réseaux sociaux. Pour saisir la portée virale de cette expression et son effet psychologique sur le climat électoral – marqué par une montée des discours extrémistes – il est nécessaire de revenir sur les antécédents de l’usage du champ lexical animalier dans le débat politique ivoirien ».
Drabo rappelle que dès le second mandat d’Alassane Ouattara, les militants radicaux de Laurent Gbagbo, connus sous l’appellation « GOR » (Gbagbo ou Rien), avaient introduit des termes moqueurs comme « ADOmouton » ou « Ruminants d’ADO » pour désigner les partisans du RHDP. « Dans l’imaginaire des GOR, la base militante du RHDP est perçue comme issue principalement du secteur informel (commerçants, artisans, cultivateurs, etc.), composée d’individus supposément peu instruits, dénués d’esprit critique et donc facilement manipulables. C’est dans ce contexte que la phrase d’Alassane Ouattara – »attention aux chiens qui rôdent dans vos quartiers » – prononcée durant le mois électoral de 2025, a été perçue comme une aubaine par ses partisans. Ces derniers s’en sont emparés pour mener une »remontada » symbolique dans la bataille de la répartie contre l’opposition, surtout le PPA-CI », analyse-t-il.
Pour Harouna Drabo, on assiste ainsi à une dynamique de polarisation et de fracture sociale : « Nos observations des opérations d’influence informationnelle en Côte d’Ivoire montrent que cette instrumentalisation du langage animalier, à connotation injurieuse, accentue la crispation sociopolitique dans un contexte déjà tendu », souligne-t-il.
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Lire aussi – Côte d’Ivoire : à l’approche de la présidentielle, l’IA et internet font écho aux démons de l’ivoirité
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Au-delà de la joute électorale, constate le chercheur, ce type de discours contribue à l’érosion du tissu de la cohésion sociale et ravive les réflexes identitaires et ethnocentristes entre Ivoiriens, un héritage persistant de la crise de « l’ivoirité », réactivé à chaque échéance électorale. Ces qualificatifs à effet crisogène seront encore plus marquées lors des prochaines élections locales des législatives, prévient-il.
De la responsabilité des acteurs politiques et du rôle des médias
Au-delà des cyberactivistes dont certains diffusent des discours de haine, la responsabilité première incombe aux leaders politiques dont les paroles sont amplifiées et instrumentalisées.
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Lire aussi – Présidentielle ivoirienne de 2025 : du rôle des médias ivoiriens contre la désinformation
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L’épisode de l’allégorie des »chiens » montre comment et les discours de haine fragilisent l’intégrité de l’information, et donc la vitalité même du débat démocratique. Pour ce point de vue, nous considérons qu’en opposant les camps politiques par des insultes ou des caricatures, l’espace pour un débat rationnel et contradictoire est réduit, ce qui mine la qualité de l’information partagée à un moment où les électeurs ont besoin d’arguments basés sur des faits pour fonder leurs choix politiques.
Considérant que le discours politique doit être un lien de médiation entre les membres d’une société civilisée, comme le préconisent les universitaires Alexandre Dorna et Patrice Georget dans leur article intitulé Quand le contexte surdétermine le discours politique, les acteurs politiques doivent adopter une culture de responsabilité dans leurs prises de parole, en privilégiant des discours structurants et apaisés.
En outre, les citoyens, les journalistes et la société civile et les plateformes numériques ont également un rôle à jouer pour dénoncer les dérives et promouvoir un langage respectueux.
Pour plaider pour notre paroisse, celle de la Coalition Anti Dohi, la mise en place de cellules de fact-checking et des mécanismes de veille apparaît dès lors comme une nécessité pour limiter l’impact de la désinformation et des discours de haine dans l’espace public, notamment en période électorale.
Cet article a été réalisé par Africa Check membre de la Coalition Anti Dohi – une initiative qui œuvre pour l’intégrité de l’information dans le cadre de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2025. La Coalition Anti Dohi est soutenue par le projet Renforcer la fiabilité de l’information en Afrique de l’Ouest dans le strict respect de l’indépendance journalistique et éditoriale qui régit la Coalition.
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