APE : Les effets néfastes d’un partenariat Europe-Afrique
Avec l’Accord de partenariat économique (APE) entre l’Union Européenne et l’Afrique, l’économie et l’agriculture des pays en développement s’embourbent dans les tenailles du libre-échangisme.
Très critiquée par les ONG et certains économistes, l’Accord de partenariat économique suscite autant d’inquiétudes. Mais quelles sont les retombées de ce partenariat Europe-Afrique ? S’il n’y a pour l’instant pas d’accord de partenariat économique (APE) régional, deux pays de l’Afrique de l’ouest, la Côte d’Ivoire et le Ghana, ont déjà signé un APE intérimaire avec l’Union Européenne en vue de la réduction des droits de douanes de part et d’autre sur leurs échanges commerciaux.
« Cette application de cet APE intérimaire est très dommageable d’abord aussi pour la Côte d’Ivoire mais surtout pour l’intégration régionale », s’inquiète l’économiste français Jacques Berthelot.
Les conséquences financières de cette ouverture du marché sont énormes pour les pays africains, notamment en termes de pertes de droits de douanes. « Pour l’ensemble de l’Afrique de l’ouest, ça porte sur 76% de leurs importations. Sur la base de calculs faits en 2015, sur tout ce qui a été importé en 2015 dans l’Union Européenne, à la fin du processus, c’est-à-dire en 2020, pour l’Afrique de l’ouest, ce serait en pertes cumulées ce serait 32 milliards d’euros », fait observer Jacques Berthelot qui qualifie les APE de « partenariat très inégalitaire ».
L’impact sur l’agriculture
L’agriculture africaine est aussi en péril. Ce libre-échangisme béat est également la porte ouverte au dégagisme des produits locaux. Pour Ali Tapsoba, du Collectif citoyen agro-écologie du Burkina-Faso (CCAE), avec l’absence de droits de douanes, les marchés locaux seront « inondés » de produits subventionnés venant de l’extérieur, ce qui ouvrir la voie à une concurrence déloyale aux produits locaux. Conséquences, argumente-t-il, les paysans seront obligés « d’abandonner leurs terres et s’ils abandonnent leurs terres, ce sont les multinationales qui vont les racheter, d’où l’accaparement des terres ».
Ce partenariat jugé déséquilibré menace aussi les semences paysannes qui sont fortement concurrencées par les variétés hybrides ou génétiquement modifiées soumises au brevetage. « Si vous perdrez vos semences, il va de soi que vous n’allez plus maîtriser votre production et quand vous ne maîtrisez plus votre production, les questions de transformation, de commercialisation et de consommation vous échappent et quand ça vous échappe même la gouvernance politique va vous échapper », prévient Ali Tapsoba.
Les partenariats public-privé et les investissements massifs et croissants dans l’agriculture comme la Nouvelle alliance du G8 pour la souveraineté alimentaire et la nutrition (NASAN), qui font la part belle à l’agriculture industrielle ou agro-business, se font souvent au détriment des droits des communautés qui pratiquent majoritairement l’agriculture familiale. C’est ce que dénonce Massa Koné, porte-parole de la Convergence ouest africaine contre les accaparements des terres, l’eau et les semences paysannes.
« L’avancée de ces multinationales et de ces entreprises et même des autres acteurs économiques africains aujourd’hui mettent de plus en plus ces communautés hors de la terre, donc c’est ce qui entraîne beaucoup de chômage », estime-t-il : « aujourd’hui, tout le monde parle de la migration. Mais si ces terres, son seul espoir d’investissement est accaparé, il [le jeune, ndlr] est tenté à aller voir une vie aisée ailleurs », analyse Massa Koné qui pointe là l’une des causes de la migration irrégulière vers l’Europe.
Les APE ont des impacts sur le commerce et la gouvernance des ressources naturelles. « On oublie aussi de présenter comment le système alimentaire contribue à la question du réchauffement climatique. On essaie de mettre cette question de côté parce que globalement le système alimentaire, ce sont de grands lobbys, ce sont de grandes multinationales qui s’accaparent ou qui se sont déjà accaparées la fabrication des semences », décrie Ange Baimey de l’ONG GRAIN.
Au-delà de l’aspect économique, l’accord de partenariat économique ouvre la voie à un système productiviste qui inquiète dans les pays en développement où l’agriculture est prédominante et déterminante pour la survie de millions de personnes.
Anderson Diédri