Le nombre de femmes élues députées à un petit peu progressé. Mais ce qui est frappant, c’est que la présence des femmes à des postes de responsabilité a nettement reculé. Incursion dans un Hémicycle très dominé par les hommes à tous les niveaux.
La Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus mal classés au niveau des indicateurs sur l’équité des genres dans les assemblées élues. 43ème sur 52 pays africains selon la Banque africaine de développement et 171ème sur 188 pour les Nations Unies. Si les 11% d’élues au parlement sont loin de la parité, c’est la représentativité accordée aux femmes qui suscite la curiosité. Le contraste est saisissant !
Dans la précédente législature, le premier vice-président était une femme (Sarah Sako Fadiga) contre un homme qui occupe le poste de vice-président actuellement. Même si on a 4 vice-présidentes contre 3 auparavant. Des femmes présidaient 3 commissions permanentes sur les 6 : Affoussiata Bamba-Lamine (RDR) à la Commission des affaires générales et institutionnelles avant d’être nommée ministre en novembre 2012, Emilienne Boby Assa (PDCI) à la Commission des relations extérieures et Clarisse Kayo (UDPCI) à la Commission de la recherche, de la science, de la technologie et de l’environnement). Il n’y a aucune femme à cette responsabilité aujourd’hui.
« Quand on fait la proportionnelle, 29 femmes sur 255 députés, quelle représentation on veut des femmes, quelle égalité on veut ? », s’interroge Abdoulaye Sidibé, président de la Commission des affaires générales et institutionnelles (CAGI).
Pourtant, le nombre de femmes parlementaires a progressé. On est passé de 25 élues en 2011 à 29 en 2016. Le constat est clair : c’est un retour en arrière difficile à expliquer au moment la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une constitution en novembre 2016, soit un mois avant les dernières élections législatives, qui stipule que l’Etat œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d’accès à la représentation dans les assemblées élues.
L’emprise des partis politiques
A l’Assemblée, les femmes qui ne représentent que 11% des 255 élus tentent tout de même de se faire une place. On enregistre 4 femmes (36%) sur les 11 vice-présidents, 4 femmes (33%) sur les 12 secrétaires et une femme (33%) sur les 3 questeurs. En somme, le bureau de l’Assemblée nationale (présidé par le chef du parlement Guillaume Soro) montre une représentativité des femmes relativement acceptable. Mais quand on observe les différents organes du parlement, on constate que les postes clés sont dévolus aux hommes.
Une situation orchestrée par les partis politiques. « Un parti qui est au pouvoir a pour ambition, s’il a la majorité à l’Assemblée nationale, de contrôler tous les organes stratégiques de l’Assemblée nationale », fait observer Bakayoko Losseni, administrateur au parlement, assistant depuis 2011 du groupe parlementaire RDR, le Rassemblement des républicains.
Ainsi, le parti présidentiel (avec 129 députés) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, avec 90 élus) manœuvrent pour s’arroger les postes les plus importants à l’Hémicycle. Avec 55% des élus, le RDR préside 3 commissions sur les 6 : la Commission des Affaires générales et institutionnelles (CAGI), la Commission des affaires économiques et financières (CAEF) et la Commission de la Sécurité et de la Défense (CSD).
Le PDCI préside 2 commissions : la Commission des relations extérieures (CRE) et la Commission des affaires sociales et culturelles (CASC). L’UDPCI, l’autre allié de la coalition RHDP au pouvoir, préside la Commission de la recherche, de la science, de la technologie et de l’environnement (CRSTE). Par le jeu de l’alliance, ces partis se partagent les postes des bureaux des différentes commissions.
Le critère du genre royalement ignoré
Dans cette répartition, le critère du genre n’est pas privilégié. Non seulement il n’y a pas de femme présidente de commission mais il n’y a également aucune femme dans le bureau de 4 commissions permanentes ; chaque bureau est pourtant composé de 6 membres : un président, un vice-président, un rapporteur général et son adjoint et 2 secrétaires.
Ce sont la CAGI, la CAEF, la CRSTE et la CSD, composée chacune de 2 à 4 femmes. A l’inverse, il y a une femme dans le bureau de la CRE. Plus surprenant, 11 femmes (soit près de 40% des élues) sont membres de la CASC. Dans cette commission, les femmes ont presque tout le pouvoir. On enregistre 4 femmes dans le bureau : la vice-présidente (Touré Aya Virginie, ancienne présidente des femmes du RDR), le rapporteur général et les deux secrétaires. Mais cette commission en apparence très féminine est présidée par…un homme.
Tous les six groupes parlementaires sont également dirigés par des hommes. A l’instar des grands partis, les groupes parlementaires créés de manière circonstancielle n’ont pas échappé à cette pratique. C’est le cas de Vox Populi dans lequel se trouve la charismatique Yasmina Ouégnin, députée de Cocody pour la deuxième fois consécutive. Pourtant, fait valoir Brigitte Gbadi, sociologue et consultante en genre, au regard du profil des élues, « il y a des femmes d’un certain poids qui peuvent diriger un groupe parlementaire » ou présider une commission.
Faiblesse de la réglementation
Mais ces choix stratégiques des partis qui dominent le parlement à une autre explication. Au début de la législature, les parlementaires sont invités à s’inscrire dans la commission où ils souhaitent siéger. Généralement, ils s’orientent en fonction de leur profession, leur expérience et leur profil. Mais très vite, il y a un déséquilibre au niveau de la répartition. Les femmes se sont majoritairement inscrites dans la commission des affaires sociales et culturelles qui s’occupe notamment des questions liées à la promotion du genre, de la santé, de la population…
« Je suis enseignante de formation et partout avant l’Assemblée nationale, je me suis intéressée à tout ce qui est du domaine du social. C’est donc avec beaucoup d’empressement que je me suis sentie concernée lors de la législature précédente à être membre de cette commission au sein de laquelle je me sentais à même de contribuer », confirme Marguerite Tanoh, la députée PDCI d’Abengourou. Certaines commissions enregistrent beaucoup plus d’inscrits que d’autres. Alors que chacune doit être constituée d’au moins 42 députés.
« Très tôt, il y a un déséquilibre qui se crée entre le choix des différentes commissions. Mais l’Assemblée a le devoir technique de rééquilibrer les choses », explique Bakayoko Losseni.
Ce travail technique consiste à s’assurer que chaque commission comprend un nombre plus ou moins égal de députés, comme le stipule le règlement de l’Assemblée nationale. Ce bréviaire qui détermine l’organisation et le fonctionnement du parlement précise simplement que la liste des candidats aux différents postes du bureau des commissions est établie par le bureau de l’Assemblée nationale après consultation des groupes parlementaires.
A aucun moment, les partis ou groupements politiques ne sont invités à faire la promotion du genre. Idem pour la désignation des présidents de groupes parlementaires et pour l’élection des membres du bureau de l’Assemblée nationale : vice-présidents, secrétaires et questeurs. Au-delà des critères et compromis politiques qui guident les choix, ce mode de fonctionnement est un obstacle à l’émergence des femmes à des fonctions plus importantes au parlement.
La parité est-elle possible ?
C’est un constat général. Comparativement aux hommes, les femmes occupent moins de postes de responsabilité élevés, nominatifs qu’électifs. Pour réduire ces écarts et promouvoir l’égalité, une loi sur la parité a été élaborée et doit être votée cette année par l’Assemblée nationale. Le parti présidentiel, qui vient de faire une révolution en désignant deux femmes aux postes les plus importants (la présidente Henriette Dagri Diabaté et la Secrétaire générale Kandia Camara), veut se poser en paladin de la promotion du genre. « On va voter la loi parce que nous-mêmes au RDR on a déjà commencé », promet le président de la CAGI, Abdoulaye Sidibé.
La sociologue Brigitte Gbadi relève que « la loi dit justement quand on est dans un scrutin plurinominal, il faut qu’on ait une liste zébrée, alternée homme-femme de sorte que si on doit retenir trois [candidats], il y ait au moins une femme, si c’est quatre c’est deux femmes ». Une réforme qui peut aider à accroître de manière significative le nombre de candidatures féminines, et aussi d’élues. Cette consultante en genre pense que les femmes doivent être accompagnées en matière de formation sur le fonctionnement de l’institution législative mais aussi sur le renforcement de leur leadership au plan politique.
« Les préjugés et la culture ainsi que la peur des femmes d’oser en raison des menaces de toutes sortes peuvent expliquer la sous représentativité des femmes à l’assemblée nationale. La loi sur la parité pourrait contribuer significativement à résoudre progressivement cette question », pense Marie Noëlle Boni épouse Ekponon, membre du RDR mais qui a gagné à les législatives à Tiassalé sous la bannière ‘’indépendant’’ grâce à sa proximité avec les populations et ses actions de solidarité sur le terrain.
Les partis étant guidés par une logique d’avoir le plus d’élus possible, il sera difficile pour ces derniers de positionner coûte que coûte des femmes comme têtes de listes pour les municipales et régionales ou les législatives si celles-ci ne sont pas susceptibles de gagner. Illustration : deuxième personnalité de la législature précédente, la première vice-présidente Sarah Sako Fadiga n’a pas été réélue malgré le soutien du RHDP aux dernières législatives de décembre 2016. L’action des partis politiques notamment reste toutefois déterminante pour une meilleure représentativité des femmes dans les Assemblées élues.
Le bureau du caucus des femmes parlementaires n’a jusque-là pas été mis en place. Cet instrument d’influence, suggère Marguerite Tanoh, « doit faire un plaidoyer objectif et efficace auprès du bureau, des commissions et des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale » en faveur d’un équilibre basé sur le genre. L’institutionnalisation d’un appui financier pour renforcer l’autonomie des femmes pourrait-être envisagée pour encourager les candidatures féminines. A l’instar du soutien financier octroyé aux femmes candidates aux législatives de 2011.
Suy Kahofi