Environnement

Au cœur du 6ème rapport de synthèse du GIEC : la justice climatique et l’adaptation aux changements globaux

La parole à… Aïda Diongue-Niang, climatologue et coauteure du 6e rapport de synthèse du GIEC et Benjamin Sultan, directeur de recherche à l’IRD et spécialiste du réchauffement climatique, à propos des notions de justice climatique et d’adaptation, particulièrement centrales pour le GIEC. Publié en mars, ce rapport reprend l’intégralité des connaissances relatives au réchauffement climatique et souligne notamment les inégalités face aux changements globaux.

Le dernier rapport de synthèse du GIEC pointe les inégalités face au changement climatique, aussi bien l’asymétrie des responsabilités que celle des impacts sur l’environnement et les populations, pouvez-vous nous en dire plus ?

Aïda Diongue-Niang : Concernant les émissions, le rapport de synthèse du GIEC a effectivement mis l’accent sur le fait que celles-ci sont distribuées de manière très inégale. Pour 2019 par exemple, si l’on considère les émissions de gaz à effet de serre par habitant des pays les moins avancés, elles ne représentent qu’environ un quart de la moyenne mondiale, qui est de 6,9 tonnes d’équivalent CO2, avec une bonne partie de la population de ces pays, 600 millions en Afrique, qui n’ont pas accès aux services d’énergies modernes. Cette asymétrie est aussi valable à travers les ménages et les individus. Si l’on considère les ménages, on note que 10% des ménages les plus émetteurs, contribuent environ à 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serres, alors que les 50% des ménages les moins émetteurs, contribuent à moins de 15% des émissions mondiales.
Le changement climatique est une menace existentielle pour le bien-être humain, nos moyens de subsistance, l’économie mondiale, et la nature, dont nous dépendons pour survivre et prospérer. Toutes les régions du monde sont impactées, mais les personnes vulnérables, qui ont le moins contribué au changement climatique sont affectées de manière disproportionnée.
Les impacts les plus négatifs sont notés dans certaines parties de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique centrale et du sud, au niveau des îles et de l’arctique.

Benjamin Sultan : Plus de 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes de vulnérabilité élevée en lien avec le réchauffement climatique. Ce n’est pas que les catastrophes climatiques sont plus présentes dans les endroits où elles vivent, mais plutôt que les conséquences de ces aléas vont être plus importantes qu’ailleurs. Cela peut être dû au fait que ces populations aient moins de moyens pour l’adaptation, une plus forte dépendance aux ressources naturelles, combiné à d’autres problèmes, qu’ils soient structurels, économiques, politiques. La composante du risque climatique va donc se rajouter à un certain nombre d’autres risques.
Au début des rapports du GIEC, on parlait beaucoup scénarios futurs issus de simulations climatiques, mais maintenant nous sommes plutôt dans la comptabilisation des dégâts liés à la succession d’événements extrêmes, eux-mêmes liés au réchauffement climatique d’origine anthropique. L’été dernier, par exemple, les inondations au Nigéria ont causé la mort de plus de 800 personnes. Une étude du World Weather Attribution, à laquelle l’IRD a participé, a montré que la probabilité d’occurrence de telles catastrophes a été multipliée par 80 avec le réchauffement climatique d’origine anthropique.

A. D-N. : Il est aussi important de souligner que malgré l’évidence des impacts du changement climatique et les risques futurs que nous encourrons, les flux financiers pour l’adaptation au changement climatique sont insuffisants et freinent sa mise en œuvre, notamment dans les pays en développement.

Les pays du Sud étant davantage vulnérables, mais moins responsables, comment la recherche doit-elle s’organiser autour de l’idée de justice climatique ?

A. D-N. : Je pense que l’idée de justice climatique implique de tenir compte des considérations éthiques dans l’action climatique. Les considérations éthiques entre les pays, mais aussi au sein d’un même pays entre les différentes communautés qui sont impactées différemment du fait de leur vulnérabilité sont essentielles à prendre en compte, de même que l’égalité des genres.
La recherche que l’on mène doit aussi permettre de travailler sur le terrain, au niveau local, pour avoir le maximum de données nécessaires, dans tous les domaines afin de décrire avec détails les changements observés, les activités humaines et leurs impacts dans la nature. Dans nos pays, il y a un manque au niveau des systèmes qui permettent de monitorer les impacts, les pertes, les dommages.

B. S. : Le rapport du GIEC montre les synergies entre la réduction des émissions, l’atténuation du réchauffement climatique, et la réduction des inégalités, de l’insécurité alimentaire, et les actions préconisées sont plutôt vues à travers le prisme des Objectifs de développement durable (ODD).
Il est important que la recherche adopte une approche holistique pour traiter les enjeux climatiques, et les autres enjeux tels que la préservation des ressources naturelles, la réduction des inégalités et donc, d’avoir une synergie entre solutions.

A. D-N. : Au Sénégal et plus largement, en Afrique, de plus en plus de scientifiques, aussi bien dans le domaine des sciences naturelles, que les sciences mathématiques et sociales, s’intéressent de plus en plus aux questions liées au changement climatique. Mais les gens travaillent plutôt en silos, et ce que je préconise c’est vraiment de pratiquer une recherche collaborative, avec des points de vue différents, une multidisciplinarité, une interdisciplinarité. Et cela passe par une visibilité sur qui fait quoi.

B. S. : La recherche doit s’extraire des laboratoires et des unités de recherche pour devenir transformante, c’est-à-dire qu’elle s’implique aux échelles locales et territoriales, engage un dialogue avec les politiques et les acteurs de l’adaptation et coconstruise des solutions durables pour réduire les risques que fait peser le réchauffement climatique.

Aïda Diongue-Niang et Benjamin Sultan

En quoi le modèle de recherche de l’IRD (partenariats de recherche équitable, science de la durabilité, interdisciplinarité et transdisciplinarité…) s’inscrit dans les conclusions du GIEC ?

B. S. : Le modèle de l’IRD s’inscrit assez bien dans la vision transversale du GIEC en tant qu’établissement supérieur de la recherche. D’abord par son interdisciplinarité qui permet à la fois de mesurer l’évolution du climat, de ses impacts environnementaux, socio-économique et sanitaire dans de nombreux endroits du globe où, justement, le GIEC a montré un manque cruel de données.
Son modèle scientifique se base sur la science de la durabilité, qui vise à appuyer des solutions pour accélérer l’atteinte des ODD, en s’intéressant à la compréhension des phénomènes à échelle globale, mais aussi aux besoins des populations à l’échelle locale.
Et puis le modèle de l’IRD permet de construire des partenariats sur la durée, cela offre une possibilité de dialogue privilégié entre scientifiques, décideurs, bailleurs et populations locales avec des passerelles où les étudiants du Sud deviennent enseignants, professeurs dans les universités, voir même parfois ministres et donc décideurs.

A. D-N. : Le GIEC considère que l’on doit tenir compte de la diversité de nos valeurs, y compris culturelles. L’IRD travaille en ce sens, avec une multitude de chercheurs et différentes visions du monde. Le GIEC préconise aussi de tenir compte de différentes connaissances, pas seulement des connaissances scientifiques, mais aussi des connaissances autochtones et locales. Cette approche permet de faciliter un développement résilient au changement climatique, qui tient compte à la fois de l’adaptation, de l’atténuation et de l’atteinte des ODD, en incluant plusieurs facteurs dont la justice climatique, la gouvernance. Je pense qu’il est bénéfique pour tous que les pays dans lesquels la recherche se fait participent davantage à l’élaboration de l’agenda de recherche.
Je pense aussi que la formation est un aspect important. L’IRD contribue beaucoup à la formation des chercheurs des pays du Sud, à travers les thèses, les tutelles et les séjours à l’étranger.

B. S. : Je pense que les pays du Nord se posent trop souvent comme porteurs de solutions pour le Sud, alors que dans la gestion des catastrophes climatiques, nous pouvons nous retrouver démunis. Au contraire, au Sud, il peut y avoir des façons de gérer les aléas climatiques et environnementaux qui sont extrêmement intéressantes. Ce sont des pays qui font face depuis très longtemps à des crises climatiques, et pouvoir apprendre de ce qui se fait au Sud me parait être un point important.

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