La pollution maritime et lagunaire a un double impact sur les populations. Le premier concerne le cadre de vie et la santé des riverains et le second porte sur les activités génératrices de revenus. Les villages de Béago et d’Abréby font face à deux cas typiques de pollution qui contribuent non seulement à la détérioration du cadre de vie mais aussi à appauvrir les populations.
La capitale économique ivoirienne, Abidjan, est connue pour porter le surnom de Perle des lagunes. La ville est sortie de terre autour d’un plan lagunaire de 120.000 hectares dont le principal cours d’eau est la lagune Ebrié longue de 130 km. Cette lagune sert de voie de navigation mais est aussi le lieu où des populations riveraines pratiquent la pêche. C’est le cas pour les habitants de plusieurs petits villages qui sont restés sur les bords de la lagune malgré le développement de la capitale économique ivoirienne. Parmi ces villages qui ont été littéralement absorbés par la ville d’Abidjan, figure le village de Béago situé à Yopougon, la plus grande commune de Côte d’Ivoire.
Le village de Béago compte un peu plus de 3.000 habitants qui font face à une pollution lagunaire liée à la mauvaise collecte et au mauvais traitement des déchets domestiques et industriels. L’eau saumâtre de la lagune qui coule le long des berges du village est couverte de nombreux déchets solides qui forment par endroit de véritable îles flottantes ! Ici l’odeur qui se dégage de la lagune est insupportable.
« Les eaux de ruissellement charrient les déchets de nombreux quartiers de Yopougon et de sa zone industrielle vers notre village. Il s’agit bien de déchets domestiques issues des ménages que des eaux polluées libérées par les usines. C’est un problème pour le village » se désole Abé Paul, chef du village de Béago. L’eau de la lagune est si polluée que les populations de Béago ne peuvent plus s’y baigner encore moins l’utiliser pour la lessive et la vaisselle.
Le comble de l’impact environnemental de cette pollution est la raréfaction du poisson et la disparition de certaines espèces de poisson qui jadis foisonnaient dans le cours d’eau. « Il n’y a plus rien à prendre : les filets sont endommagés par les déchets de la lagune et le poisson se fait rares. Par le passé cette eau était très poissonneuse et les pêcheurs du village gagnaient bien leur vie. Aujourd’hui plus rien ! Pour moi, c’est cette pollution qui a fait fuir les poissons » souligne en colère Aké Loth, un jeune pêcheur de Béago. De nombreuses familles du village qui vivaient des activités de pêche sont désormais dans le dénuement. Des données scientifiques existent et permettent d’attester du niveau de pollution de la baie lagunaire du village de Béago. Le Centre Ivoirien Anti-Pollution (CIAPOL) a mené plusieurs études et recherches dans la zone.
Selon le Professeur Yapo Bernard, sous-directeur du laboratoire central environnement du CIAPOL, les missions d’évaluation scientifique ont permis de montrer que « les sols de Béago sont pollués, les eaux de puit sont contaminées au point où on n’y retrouve des résidus de produits pharmaceutiques…». « Sur la base de résultats scientifiques, aussi bien du CIAPOL que d’autres structures qui ont travaillés dans la zone, je peux vous dire que la baie de Béago subit une pollution liée au mauvais assainissement de la commune de Yopougon » conclut Professeur Yapo Bernard.
Si dans le village de Béago, le mauvais assainissement est mis en cause, du côté du village d’Abréby, non loin de la commune de Jacqueville, c’est l’exploitation du gaz naturel qui a un impact sur les activités de pêche. Le pétrole et le gaz naturel exploités par plusieurs compagnies étrangères au large de Jacqueville n’a pas apporté la prospérité aux nombreux villages côtiers. Le gaz et le pétrole qui sortent de terre à Abréby s’accompagnent d’une série de problèmes environnementaux et d’impact sur la biodiversité.
Le village cohabite avec 7 pipelines dont 6 se trouvent sous la voie principale qui traverse le village. Les pêcheurs du village ont noté que des sillons de petites bulles sont visibles le long des installations sous-marines qui transportent le gaz. « A la surface, c’est l’odeur du gaz qu’on respire. Le poisson s’est éloigné de nos côtes et les rares que nous arrivons à prendre ont une odeur désagréable semblable à celle du butane. A cela s’ajoute une invasion d’algues que nous ne connaissions pas par le passé. Pour pêcher il faut aller de plus en plus loin en mer » s’inquiète Djava Michael, un pêcheur du village d’Abréby.
Les pêcheurs traditionnels du village avec leurs pirogues se retrouvent par moment nez à nez avec de plus gros bateaux de pêche à force d’avancer en haute mer. Leurs filets sont déchirés par les bateaux et les risques d’accident sont fréquents. « De quoi vont vivre nos familles si le gaz est devenu un problème pour nous ? Nos jeunes risquent de plus en plus leurs vies pour de maigres prises or le village fait déjà face à des problèmes environnementaux importants. Les terres du village sont grignotées par la montée du niveau de la mer. L’agriculture était déjà impossible et désormais c’est la pêche aussi » nous explique Beugré Laurence, présidente des femmes d’Abréby.
Depuis plus de dix ans, les études sur les impacts écologiques des projets d’exploitation du gaz notamment le projet « Foxtrot » qui impacte Abréby, ont montré que les populations riveraines ont émis de nombreux doutes sur l’impact de l’exploitation du gaz. « Les populations estimeraient que la traversée de leurs terroirs villageois par les pipelines des compagnies pétrolières et gazières constituerait une véritable source de danger » peut-on lire à la page 131 de ce rapport d’étude commandité par la Banque mondiale. Justement la présence des pipelines qui traversent le village d’Abréby n’a toujours pas permis le bitumage de l’axe principal emprunté par des dizaines de camions chaque jour. « Comme vous pouvez le constater, la poussière qui est soulevée nous rend malade et s’infiltre au point de souiller l’eau du seul forage que les populations utilisent comme eau de boisson au quotidien. On nous rend malade pour une richesse exploitée sur nos terres pour tout un pays » s’indigne Labion Frégus, président des jeunes d’Abréby.
Qu’elle soit le fruit de la mauvaise gestion des déchets industriels et domestiques à Béago ou le fruit de l’exploitation du gaz à Abréby, la pollution lagunaire et maritime liée aux activités humaines est en train d’appauvrir deux communautés qui vivaient des activités de pêche depuis de nombreuses années.
Pour Appiah Yao Saki, Docteur en biodiversité et valorisation des écosystèmes, option hydrobiologie à Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, le constat de « la raréfaction des poissons et même de la disparition de certaines espèces de poisson est l’une des conséquences directes de la pollution ». « Lorsque dans un milieu, les conditions de vie ne sont pas favorables à des organismes, ceux-ci vont naturellement disparaitre ou trouver un autre espace pour évoluer. Les déchets, qu’ils soient solides ou d’autre nature étouffent le milieu et les poissons sensibles au faible taux d’oxygène et à la pollution vont disparaitre » explique le Dr Appiah Yao Saki.
Les poissons s’éloignent et la pauvreté s’installe au sein de nombreuses familles. Les promesses visant à aider les populations à surmonter cette pollution n’ont jamais été respectées.
A Béago, les projets de construction de canalisation et de stations d’épuration n’ont jamais vu le jour. A Abréby, l’axe principal du village n’a jamais été bitumé, la caserne des sapeur-pompiers n’a pas été construite pour prévenir les risques d’incendie et le village doit encore se contenter de boire l’eau polluée de son unique forage. Au-delà de tous ces projets inexistants, il n’y a eu aucun accompagnement des populations qui vivent de la pêche.
« Il aurait fallu pour les communautés de Béago et d’Abreby des projets de résilience côtière qui auraient permis aux pêcheurs et leurs familles de s’adapter à la fois aux effets de la pollution et ceux du changement climatique. Cependant nous notons qu’il n’existe aucun plan d’adaptation pour les communautés impactées en dépit de l’action des ONG et des nombreuses productions des journalistes sur les cas de Béago et d’Abreby » soutient Nahounou Daléba, chargé de programme et de justice sociale pour l’ONG environnementale JVE-Côte d’Ivoire.
A Béago et à Abréby, des entreprises brassent des centaines de millions par année à proximité de la souffrance des communautés. Il serait donc juste que les revendications sociales de ces populations soient prises en compte par le gouvernement ivoirien et les collectivités locales. La pollution et la perte des terres, la fin de la pêche pourtant seul moyen de subsistance et l’exposition aux risques sécuritaires et sanitaires méritent des solutions adéquates pour éviter une crise sociale et environnementale majeure.
Suy Kahofi
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