10 jours de prison et 100.00 f CFA d’amende, voici le verdict prononcé par le juge dans l’affaire des quatre femmes d’Aboisso contre la PALMCI, une filiale du groupe ivoirien SIFCA. Ces femmes vulnérables ont été accusées d’avoir ramassé des graines post-récoltes dans l’une des plantations de l’industriel. Pour le procureur l’acte est qualifié de vol.
Karidja Kambiré, Awa Hebré, Rosilie Dah et Ange Oulai ont été arrêtées dans l’une des plantations de PALMCI à Aboisso. Elles ont pénétré sur les terres de l’entreprise pour ramasser des graines post-récoltes. Interrogés sur l’importance de ces graines, des habitants de la ville d’Aboisso qui connaissent bien la culture du palmier à huile, nous ont indiqué qu’il s’agit de détritus qui tombent après le passage des récolteurs. Ces graines qui sont généralement laissées à l’abandon ne peuvent être pris par les riverains au risque de se faire arrêter. C’est malheureusement ce qui est arrivé à ces quatre jeunes dames.
Elles ont été arrêtées le jeudi 23 février 2023 par les gardiens de la PALMCI puis remis aux forces de l’ordre pour être ensuite placées sous mandat de dépôt le 24 février 2023. Leur état de vulnérabilité n’a nullement impressionné la direction de l’entreprise, propriété de l’homme d’affaire et homme politique Jean Louis Billon. Deux de ces femmes sont en effet des nourrices : l’une avec un bébé de six mois et l’autre de treize mois. Une troisième porte une grossesse à terme.
« C’est vrai on peut leur reprocher des faits mais les circonstances doivent être aussi analysées. Elles sont illettrées : elles ne savent même pas distinguer une propriété. Ensuite elles sont des indigentes : elles n’ont même pas d’emploi. Elles sont entrées dans cette salle d’audience avec des enfants en main ! En dehors d’être avocat je suis un homme et je ne peux rester insensible devant de tels faits » a indiqué Me Boto Léon-Paul, président de l’association des jeunes avocats de Côte d’Ivoire qui défendait à titre gracieux les quatre femmes.
Ces femmes ont été détenues avec leurs enfants avant d’être présentées au juge. Lors de leur procès en flagrant délit qui s’est tenu le jeudi 3 mars, le procureur a qualifié les faits de « vol de graines de palme » conformément aux articles 457, 458, 462 et 484 du code pénal. Durant leur comparution, la procureure a indiqué – au grand étonnement de la salle – que les femmes accusées de vol ont emporté près de 160 kilogrammes de graine. Une affirmation qui a soulevé des murmures et rires obséquieux au regard même de la morphologie et de l’état des accusées.
A la question de la procureure de savoir pourquoi elles ont ramassé ces graines sans autorisation, la réponse a jeté un silence sur la salle. Rosilie Dah et Ange Oulai ont indiqué à tour de rôle qu’elles ont « ramassé ces graines pour les manger et non les vendre ». C’est donc pour assurer leur pitance alimentaire que ce chapardage a été commis. Pour la procureure il y a infraction du moment où elles ont pénétré sur une propriété privée. Elle a donc requis 15 jours d’emprisonnement après avoir expliqué la gravité de l’acte posé par ces dames.
Me Boto Léon-Paul, au nom de ces clientes, a demandé à la juridiction de couvrir la détention à titre de sanction. Le tribunal les a condamné à 10 jours d’emprisonnement. Puisqu’elles ont déjà passé sept jours en cellule, elles devront rester trois jours en cellule avait d’être totalement libres. « Nous respectons cette décision mais nous aurions préféré que leur détention soit simplement couverte et qu’elles recouvrent aujourd’hui même la liberté » aurait souhaité l’avocat. Au-delà de ces 10 jours de privation de liberté, ces femmes ont été condamnées à 100.000 f CFA d’amende malgré le retrait de la plainte de PALMCI.
« Elles ont eu la chance de n’avoir pas été abusé sexuellement » nous lance un homme dans la salle d’audience. Ce dernier nous indique que la contrepartie souvent exigée par les gardiens pour libérer une femme arrêtée sur une plantation de palmier à huile c’est « de coucher avec elle, la violer tout simplement » conclut notre interlocuteur.
Le Réseau des femmes braves qui lutte pour le bien-être et l’autonomisation des femmes dans la localité d’Aboisso a mobilisé une trentaine de personnes pour soutenir ces femmes. Josiane Boyo, la présidente dudit réseau n’a pas caché sa peine de voir ses consœurs face au juge. « Ce verdict nous laisse à moitié satisfaite parce qu’on aurait souhaité rentrer à la maison avec ces femmes et que leurs enfants retrouvent leur milieu naturel, leur milieu normal qui n’est pas la prison » a souligné Josiane Boyo.
La présidente du Réseau des femmes braves a profité du procès pour évoquer la question de l’employabilité des femmes dans les usines et plantations agro-industrielles de la région d’Aboisso. « Mme le juge a demandé aux femmes de proposer leurs services à la PALMCI. Je vous demande de vous renseigner auprès des femmes pour qu’elles vous disent elles-mêmes ce que ces entreprises offrent réellement. Qu’elles vous disent quel est leur sort quand elles sont employées et que la PALMCI nous montre un seul bulletin de salaire pour nous dire que quelqu’un peut vivre avec ce qu’on lui donne » met au défi Josiane Boyo.
Les femmes interrogées par Eburnie Today ont évoqué des salaires bas et des conditions de travail difficiles. « La solution c’est clairement de libérer des lopins de terre pour que ces femmes puissent cultiver : nous manquons de terres à cause de ces entreprises agro-industrielles. Si vous voulez aider ces femmes et éviter qu’elles aillent ramasser les fruits sur les parcelles, il faut libérer des lopins de terres pour qu’elles puissent travailler » plaide la présidente du Réseau des femmes braves.
L’accès aux terres est donc l’arbre qui cache la forêt. « Pour nous cette question est fondamentale et ne peut être dissociée du droit et de la capacité des communautés à vivre autour de ces plantations. Ce procès est le prototype de l’expression du manque d’opportunité pour ces communautés. Nous ne pouvons pas encourager la soustraction frauduleuse d’objets appartenant à autrui mais la réalité est là : avec les plantations agro-industrielles, avec l’accaparement des milliers d’hectare au détriment des communautés, la survie des populations est en jeu » soutient Nahounou Daleba, responsable de la justice sociale à JVE (Jeunes volontaires pour l’environnement). Le porte-parole du Consortium des organisations qui soutiennent les communautés impactées par les plantations agro-industrielles fait remarquer que « les plantations de PALMCI se trouvent sur des domaines qui appartiennent aux communautés avant même l’indépendance ».
Ces terres ont été cédées à l’Etat de Côte d’Ivoire pour accompagner son développement agro-industriel. Malheureusement, l’Etat n’a pas mesurer la dimension sociale de sa sortie de ces entreprises. Les privés qui ont pris le relai recherchent le profit au détriment du bien-être des communautés sans jamais faire preuve d’humanisme en cas de conflit avec les hommes et les femmes qui vivent autour de ces plantations.
Ebony T. Christian
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