Comprendre le journalisme de solutions
Partager des histoires d’innovation et de réussite, mettre en lumière des initiatives à fort impact social et environnemental. Le journalisme de solutions ou d’impact suscite un vif intérêt depuis quelques années. En Afrique – comme en Côte d’Ivoire -, cette opération médiatique pourrait jouer un rôle décisif pour relever le défi du développement.
Sans domicile fixe (SDF) et abandonné à son sort, Jean-Claude est esseulé. Mais en 2016, des journalistes français du site Sans-A.fr lui offre une visibilité. Ils relaient son histoire à travers un article. Sensible, la communauté se mobilise aussitôt pour lui venir en aide. Ensuite, 5.000 euros (plus de 3 millions de francs Cfa) sont levés en deux jours pour lui trouver un logement temporaire le temps au moins que l’hiver passe.
« Aujourd’hui, Jean-Claude va beaucoup mieux. Il a un logement. Il a arrêté de boire. Donc on a pu prouver qu’en se mobilisant on peut arriver à changer les choses. Et je pense que c’est aussi le rôle d’un média, non pas de sauver les gens, mais de pousser les gens à l’action », relate aujourd’hui Benoit Raphaël, expert en innovation média, qui a accompagné ce projet.
Alternative au journalisme traditionnel
Cette opération médiatique, qui tant à présenter l’actualité sous un angle positif et à susciter l’espoir, est appelée journalisme de solutions ou d’impact. Il consiste à mettre en œuvre une approche journalistique qui apporte des solutions à des problèmes de société. En clair, c’est une forme de journalisme explicatif susceptible d’accomplir un rôle de vigie, en mettant en exergue des réponses effectives afin de stimuler des réformes ou changements. Ce qui proscrit indéniablement la superficialité et fait appelle à une démarche d’information critique marquée par l’investigation.
C’est une alternative au journalisme traditionnel trop souvent focalisé sur les polémiques. Il ne s’agit en effet plus uniquement de rester dans la simple dénonciation ou d’évoquer certains sujets – sans-abris, prostitution, réfugiés, etc. – avec stigmatisation mais d’arriver surtout à susciter l’intérêt du public. Et tous les mois, un sujet différent était abordé par ces journalistes. L’objectif, précise Benoit Raphaël, est de faire participer les lecteurs et l’audience au changement d’une situation : « si on a peut-être qu’un [sans-abri] sur mille qui peut être sauvé, si on ne va pas le voir, il n’y aura aucun qui sera sauvé. Donc c’était vraiment cette pédagogie-là ».
« On n’est pas dans la course au buzz »
Cette démarche journalistique assez récente, utilisée par des rédactions depuis quelques années, nécessite toute de même une méthodologie particulière.
« Dans un premier temps ça veut dire qu’on n’est pas dans la course au buzz (…) Ensuite, ça veut dire aussi qu’on ne cherche pas créer de la polémique à tout prix. On cherche plutôt à poser un regard bienveillant sur les choses, sur les individus. On cherche aussi à trouver des sujets plus originaux, d’aller voir des initiatives plus individuelles », précise Sabine Torres, directrice générale du groupe Média du sud, basé dans le sud de la France.
Ce groupe, composé de 4 chaines de télévisions locales, une web-TV régionale, un journal papier et une plateforme d’hébergement et de monétisation de vidéos, a adopté comme ligne éditoriale le journalisme de solutions. Même s’il couvre l’actualité surtout pour 6 millions d’habitants au niveau régional, Média du sud a choisi de « décaler » tous ses angles de traitement de l’information pour accentuer toutes les initiatives qui font « progresser » la société et qui créent du lien entre individus.
Visiblement, sous cet angle, le rédacteur n’est plus un observateur mais un acteur qui prend une part active dans la construction d’un territoire en proposant des solutions concrètes aux problèmes qui se posent. Mais n’y a-t-il pas un risque de ne pas totalement informer le public sur les véritables enjeux d’une problématique donnée en privilégiant le journalisme de solutions qui opte pour une approche qui présuppose que le journaliste envisage de sortir du mythe de l’objectivité à tout prix qui fonde son métier ? Sabine Torres pense que non. Elle soutient qu’il faut évoquer l’actualité, les problèmes. Mais l’approche reste toutefois déterminante avec le journalisme de solutions :
« Si par exemple il y a une inondation, au lieu d’accentuer sur le tragique, les morts, etc. – même si on est obligé de les mentionner- on va accentuer notre sujet sur la solidarité entre les citoyens. S’il y a une affaire d’attentat, on va parler de la mise en place des secours, mais aussi la manière dont les communautés se mobilisent et pas accentuer autour du terrorisme et de l’anti-islamisme. Si à un moment il y a une affaire de meurtre d’enfant par exemple, on va aussi parler de ce qui peut se passe, des conditions qui ont emmené à ce meurtre et pas seulement stigmatiser une communauté », détaille-t-elle. « Mais en tout cas, on essaie de faire le mieux possible notre travail en étant honnête ».
Bernard Chenuaud, directeur adjoint Afrique à CFI, Agence française de coopération médias, pense que cette nouvelle approche peut renouveler les pratiques dans le journal. Car, avance-t-il, l’enseignement dans les écoles de journalisme qui consiste à soutenir qu’un train qui arrive à l’heure n’est pas une information le fait toujours « bondir » et il a aussi du mal « à l’avaler » le fait que seule une mauvaise nouvelle est une information.
« Ça ne veut pas dire pour autant ne parler que de choses positives parce que ça c’est ce que voudraient souvent les pouvoirs, mettre en avant ce qui va bien », recadre-t-il.
Si l’idée n’était pas envisagée dans les sessions de formation et de renforcement des capacités dans le cadre du projet NAILA qui vise à aider à la viabilité économique et éditoriale de médias en ligne en Afrique francophone sur 18 mois – donc jusqu’en février 2019, le journalisme de solutions se présente comme « une piste intéressante ». Pour Bernard Chenuaud, CFI, qui travaille en ce moment sur des projets de contrôle citoyen de l’action publique en associant les médias et les organisations de la société civile, trouve cette approche absolument passionnante.
« Je pense à la Côte d’Ivoire où il y a effectivement une presse extrêmement politisée et extrêmement clivée, et donc beaucoup de gens s’accordent à dire qu’elle est quand même dangereuse par rapport au contexte ivoirien. Donc il faut arriver à sortir de ça », expose l’ancien journaliste de RFI.
Renouer la confiance avec les citoyens
La Côte d’Ivoire, pays qui a connu des crises cycliques (1999, 2002 et 2011), reste profondément divisée par les clivages politiques. La presse, qui a longtemps accompagné cette adversité binaire, a vu ces chiffres de vente dégringoler à un rythme vertigineux entre le premier trimestre 2005 et le troisième trimestre 2015. On observe une baisse de la diffusion de la presse quotidienne ivoirienne de près de 63% en dix ans. La presse proche des différentes obédiences est celle qui enregistre les plus fortes chutes.
Une fatalité ? En tout cas, une étude réalisée en 2014 par des chercheurs de l’université du Texas aux Etats-Unis montre qu’un journalisme orienté vers une solution est jugé plus crédible par les lecteurs. Ces derniers ont le sentiment d’être mieux informés. Résultat : leur relation avec les médias se trouve renforcée. Il permet de renouer la confiance face à la désaffection des citoyens.
Ce renouveau éditorial est susceptible de répondre à la fois aux besoins du lectorat et des organes de presse. Le journalisme de solutions apparait donc comme un modèle éditorial et économique pertinent pour la presse traditionnelle en crise mais aussi pour les médias en ligne en quête d’un modèle économique viable.
En France, l’un des exemples de réussite du journalisme de solutions est Nice Matin, journal local lancé en 2015. Benoit Raphaël, qui a accompagné ce projet, relate : « on a multiplié par deux puis par trois le nombre d’abonnés en deux ans. On avait des taux de clics sur les articles qui étaient multipliés par deux systématiquement, un nombre de vidéos vues qui était multiplié par 10 ».
« Ces articles permettent aux gens de mieux connaitre le site et quand le site est connu, on peut facilement négocier des publicités », ajoute Hélène Doubidji, directrice de publication du site d’information togolais Togotopnews.
Dans le contexte africain, le journalisme de solutions a toute sa pertinence. D’autant plus que les guerres civiles, la famine, la pauvreté, en somme les catastrophes, sont le plus véhiculés dans les médias à travers le monde. « Lorsqu’on regarde les médias transnationaux, on a l’impression que tout va mal en Afrique », fait remarquer Dr Sokhan Fatou Seck Sarr, enseignante-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Gaston Berger de Saint Louis du Sénégal. Pour elle, le continent est généralement représenté « de façon très négative, avec des stéréotypes et des clichés » alors qu’il y a de « belles choses qui se passent ici ». Cette nouvelle approche journalistique pourrait s’investir dans la promotion de la bonne gouvernance et l’enracinement de la démocratie.
« Le journalisme de solutions, si toutefois il y a une appropriation par les journalistes africains, pourrait faire véhiculer un autre discours et peut-être montrer un autre regard sur l’Afrique, une autre image sur l’Afrique », estime Dr Seck Sarr.
Une opportunité pour le continent africain
Si le concept est nouveau sur le continent, il est tout de même exploré. Hélène Doubidji a réalisé un grand dossier sur les conditions de détention des femmes de la prison civile de Lomé, le plus grand centre de détention du Togo. La journaliste togolaise a interrogé « des experts, des acteurs en matière de droits de l’homme qui ont su faire des propositions pour pouvoir améliorer les conditions de détention ». Résultat : juste après son article, la ministre togolaise de l’action sociale a effectué une visite dans cette prison et « elle a fait des promesses mais il reste la concrétisation ».
Le concept suscite un vif intérêt aujourd’hui. L’Impact Journalism Day réunit 55 médias à travers le monde pour partager du contenu « de solutions » lors d’une journée chaque année au mois de juin depuis 2012. Objectif : partager des histoires d’innovation et de réussite, mettre en lumière des initiatives à fort impact social et environnemental. Cette opération médiatique pourrait se mettre en place de manière structurelle sur le continent africain afin de faire découvrir les acteurs qui ont réussi à apporter des réponses dans de nombreux domaines tels que la santé, l’eau, l’éducation… Le sursaut du continent, plus que jamais confronté au défi du développement, pourrait aussi partir du journalisme de solutions qui est une véritable opportunité.
Anderson Diédri