Cinq après son transfèrement à la Cour pénale internationale (CPI) et 11 mois après le début de son procès ; où en est l’affaire Gbagbo ? Quelques éléments pour comprendre le procès de l’ancien président ivoirien.
C’est le 3 octobre 2011 que la chambre préliminaire III a autorisé le procureur à ouvrir une enquête sur les crimes qui auraient été commis en Côte d’Ivoire depuis le 28 novembre 2010 relevant de la compétence Cour pénale internationale (CPI). Ce même jour, en visite à Abidjan, l’ancien procureur Luis Moreno Ocampo avait révélé qu’entre trois et six personnes seraient visées par ces enquêtes. Le 23 novembre 2011, la CPI délivre sous scellé un mandat d’arrêt contre Laurent Gbagbo divulgué le 29 novembre lors d’une audience à Korhogo (dans le nord de la Côte d’Ivoire) ou il était détenu depuis la fin de la crise postélectorale. L’ancien président ivoirien est transféré cette nuit à la prison de Schevenigen à La Haye où il arrive le 30 novembre.
Lors de l’audience de première comparution, le fondateur du Front populaire ivoirien (FPI) a promis de dire sa part de vérité sur les crises en Côte d’Ivoire, après avoir décrit comment il a été arrêté le 11 avril 2011, ses conditions de huit mois de détention à Korhogo et de transfèrement à la CPI. « Je ne regrette pas d’être là. Je suis là et on va aller jusqu’au bout », dit-il aux juges de la chambre préliminaire I.
Après l’audience de confirmation des charges du 19 au 28 février 2013, le procureur Fatou Bensouda, qui a succédé à Luis Moreno Ocampo, dépose son document contenant les charges (DDC) le 17 janvier 2013. Dans ce document, l’accusation détaille les charges retenues contre Laurent Gbagbo accusé d’être co-auteur indirect de quatre chefs de crimes contre l’humanité : meurtres, viols, autres actes inhumains et persécution lors de la crise postélectorale de 2010-2011. Mais le verdict qui était attendu le 3 juin 2013 est ajourné. Les juges, à la majorité mais avec une opinion dissidente, ont estimé que le procureur n’a pas présenté des « preuves suffisantes » donnant des motifs substantiels de croire que l’ancien président ivoirien a commis chacun des crimes allégués. Ils ont donc demandé à l’accusation d’apporter des preuves additionnelles ou de mener des enquêtes supplémentaires.
Dans le document amendé contenant les charges du 13 janvier 2014, 16 nouveaux événements sont ajoutés par le procureur. Finalement, la chambre de préliminaire I confirme les charges contre Gbagbo le 12 juin 2014. Cette décision ouvre la voie à un procès avec la mise en place d’une chambre de première instance. Mais pour Me Emmanuel Altit, avocat principal de l’accusé, son client a été exagérément détenu sans jugement car, explique-t-il, l’affaire Gbagbo a eu « la phase préliminaire la plus longue de l’histoire de la CPI ». « 34 mois entre la date de première comparution et celle de la nomination d’une chambre de première instance », alors que la durée moyenne jusque-là était de 11 mois.
Selon l’article 60 (3) du Statut de Rome et la règle 118 du Règlement de preuve et de procédure, la chambre examine au moins tous les 120 jours sa décision de mise en liberté ou le maintien en détention d’un accusé. Mais en près de quatre ans de détention, la liberté a été refusée à neuf reprises à Laurent Gbagbo. L’idée d’un pays d’accueil pour le recevoir en cas de libération conditionnelle qui avait été évoquée s’est progressivement effondrée au fil du temps.
Entre temps, l’ancien ministre de jeunesse de Laurent Gbagbo lors de la crise postélectorale, également poursuivi pour crimes contre l’humanité a été transféré à la prison de Schevenigen le 22 mars 2014. Les charges contre lui ayant été confirmées le 11 décembre, les affaires Gbagbo et Blé Goudé ont été jointes le 11 mars 2015 pour être jugées ensemble. Ce procès conjoint a démarré le 28 janvier 2016. Les audiences se déroulaient plus ou moins bien jusqu’au… 5 février où se produit un incident. Ce jour-là, l’identité de quatre témoins protégés est divulguée par erreur de transmission sur la chaîne de la CPI, alors que le substitut du procureur Éric McDonald s’exprimait lors d’une cession à huis-clos. L’information est largement relayée sur les réseaux et les médias en Côte d’Ivoire où le procès de Gbagbo suscite beaucoup d’intérêt.
Face à cette situation, le juge-président menace de conduire le procès à huis-clos. Cuno Tarfusser met finalement en exécution sa mise en garde le 16 juin. Les audiences ne se déroulent plus en direct mais sont diffusées après avoir été expurgées de toute information pouvant permettre d’identifier les personnes qui décident de témoigner sous anonymat.
« La chambre est donc d’avis qu’afin de protéger le témoin, elle doit maintenant prendre des mesures strictes et ce pour réguler l’accès public au procès… A l’avenir, lorsque des mesures de protection seront données pour protéger l’identité du témoin, la diffusion publique et le compte-rendu du procès seront retardés jusqu’à ce que toute l’audition du témoin soit purgée et recoupée avant de la mettre à la disposition du public… Aussi, il est demandé au greffe de vérifier l’identité des membres du public dans la galerie, leur nationalité, etc. afin de tracer les tentatives d’identification et de publication de l’identité des témoins », avait justifié le juge-président.
A ce jour, 27 témoins ont été appelés à la barre. L’accusation prévoit 138 témoins au total. Après, ce sera au tour des défenses de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé de faire comparaître des témoins à décharge. Le procès peut être long…
Anderson Diédri
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