À l’approche de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2025, plusieurs images et vidéos détournées ont circulé pour amplifier artificiellement l’impact d’une marche interdite de l’opposition le 11 octobre 2025. Ces manipulations visuelles ont semé la confusion et alimenté des récits trompeurs sur la réalité du terrain.
Par Traoré Bakary, Eburnie Today
Le Front Commun, une coalition de l’opposition ivoirienne dirigée par le Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) et le Parti des peuples africains Côte d’Ivoire (PPA-CI) avait appelé à une manifestation pacifique le 11 octobre 2025.
Cet appel à la mobilisation est le deuxième en l’espace de deux mois. Le 9 août dernier, une marche a été organisée contre l’exclusion des principaux leaders de l’opposition à savoir Tidjane Thiam et Laurent Gbagbo. Cependant, cette marche programmée au lendemain du début de la campagne électorale pour le scrutin présidentiel du 25 octobre 2025 a fait l’objet d’un arrêté préfectoral pour l’interdire. En dépit de cette interdiction, plusieurs militants et sympathisants de l’opposition ont décidé de prendre d’assaut les rues d’Abidjan.
La page Facebook CASH Ivoire a publié une vidéo présentée comme la preuve d’une mobilisation exceptionnelle, montrant des centaines de personnes courant en chantant. Cette mise en scène a suscité des réactions contrastées : certains internautes ont marqué leur étonnement d’une telle affluence malgré la présence des forces de l’ordre, tandis que d’autres ont douté de l’origine ivoirienne des images.
Une recherche d’image inversée, effectuée à partir de captures extraites de la vidéo, a révélé toutefois que celle-ci circulait déjà sur internet bien avant le 11 octobre 2025.
La même séquence vidéo a été reprise par la page AES TV, cette fois pour prétendre que le président malgache avait été renversé et s’était réfugié à l’ambassade de France. Accompagnée de la légende « Madagascar ! Le Président est tombé, s’est réfugié à l’ambassade de France », la publication avait généré plus de 12 000 partages et 8 000 commentaires au moment de la mise en ligne de cet article.
Malgré les nombreuses réactions saluant un supposé retour du pouvoir au peuple malgache, cette vidéo n’a en réalité aucun lien avec ces événements survenus dans la Grande Île.
En réalité, la vidéo ne provient ni de la Côte d’Ivoire ni de Madagascar, mais d’Haïti. Elle a été mise en ligne sur YouTube le 10 juin 2019. Un article du média dominicain El Informante publié à la même date en reprend une capture, accompagnée d’un récit évoquant « des milliers de personnes manifestant contre la corruption, bloquant les routes et paralysant une grande partie de la capitale haïtienne pour exiger la démission du président Jovenel Moïse ».
Dès le 9 juin 2019, la page Facebook HAITI 24 avait déjà diffusé cette même vidéo, en la présentant comme une manifestation hostile au président haïtien. La page Piwili Magazine Haiti l’a également relayée le même jour, avec une légende similaire.
En effectuant une recherche par mot-clés grâce au groupe de mots « manifestation anti-corruption juin 2019 Haïti » puis « manifestation anti-Jovenel juin 2019 Haïti », nous avons retrouvé plusieurs articles évoquant cette marche. Dans cet article du média France 24, le média indique qu’au moins deux personnes ont perdu la vie lors de ces évènements. Radio France International évoque également, dans un article daté du 10 juin 2019, que des manifestants ont appelé au départ du président Jovenel Moïse.
Cette vidéo enregistrée à Haïti et présentée comme étant celle de la mobilisation du 11 octobre 2025 à Abidjan n’est pas la seule source décontextualisée utilisée pour vendre la désinformation autour de la marche de l’opposition.
Cette autre image où l’on voit des manifestants tenant des pierres a été modifiée grâce à une intelligence artificielle. Une recherche inversée d’image a permis de retrouver l’image d’origine sur le site Abidjan.net. La photo authentique, publiée le 11 septembre 2018, évoque une « manifestation des étudiants de la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) dispersée par les forces de l’ordre ». Une IA a permis de changer la couleur du tee-shirt d’un des manifestants et d’ajouter une pancarte portant la mention « 11 octobre » à l’image d’origine. Les outils Undetectable AI, WasItAI et DeCopy AI ont tous conclu que l’image a été modifiée par une IA.
Concernant le bilan de la marche interdite du 11 octobre 2025, le ministère ivoirien de l’Intérieur a fait état de 237 interpellations à Abidjan et 18 à Dabou, une ville située à une quarantaine de kilomètres de la capitale économique. Dans une publication faite sur Facebook, la page Brutal Réalité évoque deux civils tués, illustrant son propos par une image montrant deux corps allongés au sol, entourés de manifestants faisant face à des forces de l’ordre.
Là encore, l’image a été sortie de son contexte. Une recherche inversée d’image a permis de remonter à un article publié par Le Monde le 16 décembre 2010, où elle apparaît comme une photographie de l’Agence France-Presse signée Sia Kambou. Elle a également été reprise par Jeune Afrique et Le Figaro dans le cadre de la crise post-électorale ivoirienne.
À l’époque, Jeune Afrique rapportait : « Au moins quatre personnes ont été tuées à Abidjan jeudi matin (16 décembre 2010, NDLR), tandis que plusieurs regroupements de manifestants pro-Ouattara étaient dispersés par les forces de l’ordre. Les autorités armées fidèles à Laurent Gbagbo avaient hermétiquement bouclé le périmètre autour du siège de la télévision d’État ivoirienne, dont veulent s’emparer les partisans de Ouattara. »
Toujours au sujet du bilan du 11 octobre, l’image d’un nourrisson, supposée être une autre victime du face à face entre manifestants et force de l’ordre a été partagée.
« Insurrection en Côte d’Ivoire : Ce bébé est mort après avoir respiré les gaz lacrymogènes lancés par l’armée. Il était au dos de sa mère, qui, à cause des routes barrées, cherchait un passage pour rentrer à la maison. Ils étaient partis rendre visite à un malade à la clinique PISAM. Rachel, puisqu’il s’agit d’elle, a été évacuée d’urgence dans la même clinique, où elle a rendu l’âme. RIP Source : les voisins », indique le texte qui accompagne l’image d’un bébé enveloppé dans un pagne.
La recherche par image inversée réalisée avec Google Images nous a permis de retrouver un article publié le 17 août 2017 et utilisant cette même image comme illustration. L’image du bébé est visible dans cet article intitulé « Allaitement maternel : les pays d’Afrique de l’Ouest encore à la traîne ».
L’image est aussi utilisée en guise d’illustration dans cet article qui évoque une histoire de mœurs impliquant une nourrice et un bébé de 11 mois. Ce deuxième article a été publié le 8 mai 2024. L’image du nourrisson n’a donc aucun lien avec la marche interdite de l’opposition ivoirienne en octobre 2025.
Les images de crise (guerre, catastrophes, épidémies, etc.) et de manifestations sont des sources souvent exploitées pour propager la désinformation. Leur impact émotionnel et leur nature visuelle les rendent particulièrement efficaces pour manipuler l’opinion. Les images sont modifiées avec des logiciels comme Photoshop ou des outils d’IA pour ajouter ou supprimer des éléments, changer les couleurs, ou créer de toutes pièces une scène qui n’a jamais eu lieu.
L’utilisation de photos d’une manifestation violente datant de plusieurs années dans un autre pays pour illustrer de prétendues émeutes qui seraient en cours dans une autre ville ou un autre pays est fréquente. Ce fut le cas d’une photo d’émeute en Guinée utilisée pour évoquer un affrontement entre partisans d’Alassane Ouattara et de Tidjane Thiam.
Cet article a été réalisé par le média ivoirien Eburnie Today, membre de la Coalition Anti Dohi – une initiative qui œuvre pour l’intégrité de l’information dans le cadre de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2025. La Coalition Anti Dohi est soutenue par le projet Renforcer la fiabilité de l’information en Afrique de l’Ouest de la GIZ, dans le strict respect de l’indépendance journalistique et éditoriale qui régit la Coalition.
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