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Côte d’Ivoire : difficile décollage pour les énergies vertes

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Le défi énergétique sur le continent africain revêt deux enjeux majeurs. Le premier est la marche vers l’auto-suffisance énergétique et le second, la protection de l’environnement. C’est pour répondre à ces deux exigences que la Côte d’Ivoire explore la piste des énergies renouvelables. Cependant leur développement accuse un véritable retard.

Depuis les années 1960, date de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le pays a basé son développement énergétique sur l’hydro-électricité. Très vite, quatre (4) barrages construits sur les principaux fleuves du pays vont commencer à alimenter les foyers et les entreprises qui constituaient déjà le fleuron du développement économique de la Côte d’Ivoire. Vu la volonté de croissance économique affichée par le pays, deux autres barrages viendront porter ce chiffre à six (6).

Ce développement énergétique qui va permettre à la Côte d’Ivoire de ne plus s’approvisionner en électricité au Ghana et même de vendre sa production aux pays voisins, va connaitre un ralentissement. La crise économique mondiale et la chute du prix des matières premières agricoles expliquent en grande partie cette situation. A cela s’ajoute un contexte de réchauffement climatique et de baisse de la pluviométrie qui vont faire stagner la production en électricité des barrages existants.

Pour faire face au déficit, la Côte d’Ivoire va donc migrer vers la solution des centrales thermiques. Malgré cette volonté, le pays est toujours loin de parvenir à l’auto-suffisance énergétique. En effet, en tout et pour tout, son réseau de production n’engendre que 1.975 mégawatt (MW) dont 27,5% fournie par six centrales hydrauliques et 72,5% par quatre (4) centrales thermiques. Cette production – en dehors des entreprises – n’alimente que 1,3 millions de familles, soit environ 30% des consommateurs. Pourtant, pour la seule année 2015, la Côte d’Ivoire a réussi l’exploit d’un taux de couverture à 53,6% et d’un accès à l’électricité à 78%.

Répartition de la production d’électricité en Côte d’Ivoire (Graphique Eburnie Today)
« Si la Côte d’Ivoire veut améliorer sa production en électricité, elle a l’obligation d’explorer de nouvelles alternatives notamment les énergies vertes. En la matière, le pays, sans prétention aucune, a un fort potentiel » indique Edi Boraud, président de l’Association Ivoirienne des Energies Renouvelables et de l’Efficacité Energétique (AIENR).

La Côte d’Ivoire gagnerait sur toute la ligne à promouvoir les énergies renouvelables car selon une étude de Havas Horizons publiée en août 2016, « les investisseurs internationaux considèrent le secteur de l’énergie renouvelable comme le plus prometteur en Afrique à l’horizon 2020 et sont prêts à y renforcer leurs participations ». La même étude présente la Côte d’Ivoire et le Nigéria comme les deux pays d’Afrique de l’ouest les plus prometteurs dans le secteur de l’énergie sur la période 2016-2020 avec des intentions d’investissement de 22% pour le premier et 33% pour le second. Il y a donc matière à lancer une révolution verte à l’ivoirienne !

Booster la révolution verte

Le mix énergétique ivoirien (centrale thermique/barrage hydro-électrique) peine toujours à concrétiser l’ambition d’auto-suffisance énergétique de la Côte d’Ivoire. Le Gouvernement Ivoirien a jugé indispensable d’y ajouter une nouvelle composante : les énergies renouvelables.

Elles se composent du solaire, de la biomasse et de l’éolienne qui est toujours à sa phase expérimentale. Celles-ci ne représentent pour le moment que moins de 1% du mix énergétique (hors hydraulique) mais le pays veut faire passer cette part à 16% d’ici 2030 (INDC) pour pouvoir relever plusieurs défis dont l’accès à l’électricité dans les zones périurbaines défavorisées mais aussi et surtout les zones rurales bien souvent éloignées des installations électriques existantes. Ces villages pourront être alimentés par des kiosques solaires autonomes, encore faut-il que la volonté politique soit à l’ordre du jour et que les moyens pour développer des solutions vertes suivent.

En effet il existe en Côte d’Ivoire un véritable paradoxe entre l’ambition du Gouvernement et les moyens dégagés pour soutenir une politique de développement vert. Le Ministère de l’environnement, de la salubrité urbaine et du développement durable ne bénéficie que de 0,5% du budget annuel de l’Etat de Côte d’Ivoire estimé à 9,9 milliards d’euros (6501,4 milliards f CFA/2017). Au sein même dudit ministère, seul 1% du budget est alloué au développement durable ! L’espoir de voir le développement des énergies renouvelables être boosté en Côte d’Ivoire repose sur le nouveau ministère chargé de la question.

Depuis le 11 janvier 2017, le ministre du Pétrole et de l’Énergie s’est vu greffer un nouvel appendice : le Développement des Énergies Renouvelables. Le tout nouveau ministre, Thierry Tanoh, aura donc la responsabilité de piloter le projet de l’Etat ivoirien qui ambitionne de porter sa production actuelle d’électricité de 2.000 mégawatts à 4.000 mégawatts à l’horizon 2020 pour un investissement de 4.000 milliards de francs CFA. Certains projets de cette ambition énergétique sont déjà annoncés.

« Le conseil a approuvé un projet de réalisation de deux centrales thermiques à cycle combiné de puissance respectives de 350 MW et 277 MW, soit une capacité additionnelle de production électrique de 627 MW » a indiqué le ministre Bruno Koné, porte-parole du Gouvernement au terme du conseil des ministres du 31 août 2016.

Le ministre Thierry Tanoh devra aussi et surtout réussir la composition du nouveau mix énergétique ivoirien : énergie thermique – énergie hydro-électrique – énergies vertes.

Thierry Tanoh, Ministre du Pétrole, de l’Energie et du Développement des Energies Renouvelables

Il va falloir passer de la volonté aux résultats concrets sur le terrain car la Côte d’Ivoire possède un réel potentiel pour booster les énergies renouvelables. A titre d’exemple, le pays dispose d’un gisement inexploité de biomasse estimé à 12 millions de tonne/an. Son exploitation pourrait se faire dans l’esprit d’un partenariat public-privé car de nombreuses entreprises ivoiriennes ont une solide expérience à ce niveau. C’est le cas des entreprises agro-alimentaires dont plusieurs sites sont autonomes en électricité grâce à un circuit fermé alimenté en biomasse. Ce partenariat vert devra être gagnant-gagnant car les entreprises, en plus de produire pour leur consommation pourront vendre leur électricité.

Le Groupe SIFCA, leader ivoirien de l’agro-alimentaire est très entreprenant sur la question. Il dispose dans son pipe d’un projet test de six (6) centrales thermiques alimentées à la biomasse dont la première d’une valeur de 100 millions d’euro était prévue à l’origine pour être opérationnelle en 2017. En revalorisant 300.000 tonnes de matières organiques, l’unité pourra produire 46 mégawatt (MW) d’électricité et générer 160.000 tonnes de crédit Carbonne. Au-delà de la biomasse, un coup de fouet doit être donné dans le domaine du solaire. La production totale des plus importants parcs solaires en Côte d’Ivoire n’excède pas les 20 kW. Dans le secteur privé, plusieurs entreprises proposent des projets très prometteurs mais ici le premier ennemi est la fiscalité.

En Côte d’Ivoire l’énergie solaire coûte chère…et même trop chère ! Il faut compter entre 1.500.000 et 7 millions de f CFA pour bonne installation domestique d’un panneau solaire en fonction de sa puissance. Ces prix découlent du taux de 20,7% de taxe cumulé sur l’importation des panneaux solaires. Un coût hors de portée pour de nombreux ivoiriens d’où l’appel des opérateurs du secteur à la défiscalisation des équipements solaires. L’Etat pourrait s’engager à subventionner l’installation du solaire et les autres initiatives d’énergie verte car elles offrent d’importants avantages.

Protection de l’environnement et création de richesse

La Côte d’Ivoire en faisant la promotion des énergies vertes aura l’avantage de trouver des solutions à plusieurs problèmes. Le premier est la lutte contre le réchauffement climatique lié à l’utilisation des énergies fossiles dans la production de l’électricité. La biomasse, l’éolienne ou le solaire peuvent considérablement aider le pays à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Le passage au vert, c’est aussi une filière de récupération et de traitement des déchets domestiques et même industriels par la biomasse. Une opportunité inouïe pour faire face au problème de la pollution urbaine et des dépotoirs sauvages qui défigurent de nombreuses villes ivoiriennes et qui sont sources de maladies.

Les parcs solaires viendront renforcer la production déjà assurée en grande partie par les centrales thermiques

Bien sûr il faut des bras pour assurer la survie de ce secteur. Et c’est à ce niveau que les emplois verts se présentent comme une opportunité d’occuper sainement de nombreux jeunes. Collecte, tri et transport pourraient aider le pays à résorber le chômage notamment celui des jeunes.

« Rien qu’au niveau de la pré-collecte des ordures, la Côte d’Ivoire peut générer 10.000 emplois ! A une échelle réduite c’est un investissement de 50 millions par commune qui peut permettre de générer au moins 5.000 emplois » indique Sehi Bi Koué, expert des questions d’assainissement à l’ANASUR/chargé du projet de professionnalisation de la filière déchet.

Les emplois verts sont déjà un véritable gagne-pain pour ceux qui les pratiquent. Certaines études diligentées par l’Agence nationale de salubrité urbaine (ANASUR) démontrent que le secteur de la gestion des déchets peut représenter 11% du PIB, assurer 8% des recettes d’exportation et générer 9% d’emploi. Et ces chiffres ne sont pas une vue de l’esprit car actuellement 22 opérateurs assurent la collecte et le transport des déchets en Côte d’Ivoire et emploient 1.230 personnes. Pour l’énergie solaire, l’installation, la maintenance et la vente des composants tels que les batteries de stockage et les panneaux solaires représentent non seulement des opportunités de création de PME mais aussi d’offre d’emploi et de création de nouvelles filières dans l’enseignement professionnel.

En acceptant de promouvoir les énergies renouvelables, la Côte d’Ivoire pourrait rattraper son retard et devenir un hub du développement des énergies vertes en Afrique de l’ouest. Ce passage au vert offrira au pays d’importantes retombées socio-économiques ; reste à l’Etat de Côte d’Ivoire d’y consacrer les moyens et de créer un cadre propice au développement des énergies vertes.

SUY Kahofi

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