« Eradiquer l’orpaillage clandestin est un impératif absolu pour l’Etat de Côte d’Ivoire », avait déclaré le 20 septembre 2018, Jean-Claude Kouassi, alors ministre ivoirien des Mines et de la Géologie. Le gouvernement ivoirien est donc conscient que cette activité est un mal contre lequel le pays doit se battre. Depuis les salons feutrés et les bureaux climatisés d’Abidjan, le régime Ouattara n’a cessé de réaffirmer sa détermination de lutter contre l’orpaillage clandestin…du moins en façade. Tout porte à croire que c’est désormais le gouvernement ivoirien qui accompagne cette pratique illégale en autorisant l’installation des sites d’orpaillage jusque dans les forêts classées. Micro Libre, Eburnie Today et Enquête Média ont remonté la piste de l’une de ces exploitations minières royalement installée dans une aire protégée avec la bénédiction du gouvernement ivoirien.
La Société Ivoirienne d’Exploitation Minière Ouest Africaine (SIEMOA) est une entreprise dite chinoise, opérant dans l’exploitation de l’or et elle a déjà fait parler d’elle. Son implantation dans une forêt classée avait été révélée par la presse ivoirienne il y a de cela un an. Le 17 août 2022, Abidjan.net titrait : Forêt classé de Fronan : Une société minière installe un site d’exploitation. Le 17 août 2022, c’était au tour de KOACI d’afficher à sa une : « La vérité sur l’affaire d’une société minière installée dans une forêt classée ». Ce même jour, Afrique sur 7 avançait : Affaire « Société chinoise installée dans une forêt classée » : Ces zones d’ombre. Pour mieux comprendre cette affaire et aller au-delà de ce qui a été déjà dit par la presse ivoirienne, une équipe de journalistes issus des trois médias ont mené l’enquête.
Direction, le site de la Société Ivoirienne d’Exploitation Minière Ouest Africaine (SIEMOA) installée dans la zone de Fronan, dans le nord de la Côte d’Ivoire. Cette zone géographique abrite deux aires protégées. La forêt classée de Kobo et la forêt mitoyenne de la réserve de faune et flore du Haut Bandama. Cette deuxième aire protégée est à cheval sur les département de Katiola, Niankaramadougou, Korhogo et Mankono. Elle couvre une superficie de 122 162 ha.
Sur le chemin, à 25 km de Katiola, le visiteur d’un jour semble replonger aux folles heures de la crise post-électorale avec toute l’organisation sécuritaire de l’époque. Le premier corridor, comme à l’époque des Coms-zone est tenu par les Dozos, ces chasseurs traditionnels qui semblent ici jouer un rôle important dans l’appareil sécuritaire.
Une fois ce premier stop passé, il faut faire révérence aux agents des Eaux et forêts. A ce check-point sommaire où jonchent quelques morceaux de bois on peut voir l’enseigne annonçant la forêt classée de Kobo. Une aire protégée vaste de 16.000 hectares où la chasse, les feux, le défrichage et toute autre forme d’exploitation sont interdites. La forêt classée de Kobo et la réserve de faune et de flore du Haut Bandama font partie des zones protégées du département de Katiola. Etrangement, dans la forêt classée de Kobo, sensée être protégée de toutes activités humaines, on peut aisément voire ici et là des plantations, des individus qui se déplacent dans la forêt à motos et mêmes des camions qui empruntent les quelques pistes praticables.
Souleymane*, un conducteur de moto taxi nous indique « que la forêt de Kobo et la réserve de faune et de flore du Haut Bandama sont connues de tous pour être des aires protégées ». Qu’est ce qui explique donc que la forêt de Kobo et la réserve soient devenues des espaces dédiés à l’orpaillage et à l’agriculture ? Que font les agents des Eaux et forêt pour combattre cette présence humaine ? « Lorsque les agents des Eaux et forêts arrivent sur les sites pour leurs patrouilles, ils s’entendent avec les agriculteurs et ils repartent » croit savoir Souleymane. Une entente visiblement cordiale entre gardiens de la forêt et agresseurs de la forêt ! En d’autres mots, des arrangements permettent aux planteurs de travailler dans cette forêt classée en toute impunité et ce n’est pas tout.
Illégalement installés…
Lorsque l’équipe s’enfonce dans cette zone où deux aires protégées se côtoient, on y découvre un ancien site d’orpaillage, avec équipements et logements abandonnés. Souleymane qui emprunte régulièrement les pistes dans la zone nous informe que ce site « d’exploitation de l’or était détenu et occupé par des chinois depuis plusieurs mois ». « Ils se sont déplacés sur un nouveau site, ils sont un peu plus nombreux et ils semblent s’adonner à leur même activité d’exploitation de l’or sans aucun problème…pour ce qui nous est donné de voir ».
Certains sites d’orpaillage au cœur de la forêt classée de Kobo sont en pleine activité. Il ne s’agit assurément pas de sites autorisés puisque les orpailleurs vont prendre la fuite à la vue du drone. Des individus qui opèrent donc dans la clandestinité mais ils ne sont pas les seuls. Quelques minutes de survol du drone nous permettent de voir une vaste exploitation qui s’étend à perte de vue. Nous sommes sur le site de la SIEMOA, cette fois ci dans la réserve de faune et de flore du Haut Bandama. Le site serpente sur plusieurs kilomètres. De nombreux trous, crevasses et longues balafres au cœur de la réserve témoignent de l’exploitation intensive du minerai. Une rivière d’eau rougeâtre s’est formée au fil du passage des orpailleurs.
Cette activité d’exploitation de l’or n’a pas échappé à la vigilance des populations locales dont celles du village de Ouerenekaha. Dans cette agglomération rurale située à une vingtaine de kilomètre du site de la SIEMOA, le chef Mamadou Coulibaly est catégorique : « la mine est installée dans la forêt classée et les autorités locales ne nous ont pas informé de son installation ». « Je suis allé demander aux personnes que j’ai trouvé sur le site qui leur a donné l’autorisation d’exercer dans la zone. Ces derniers m’ont demandé de me tourner vers la SODEMI (Société pour le Développement Minier de la Côte d’Ivoire). L’entreprise m’a indiqué ne rien savoir de cette activité d’exploitation d’or. Lorsque j’ai contacté les Eaux et forêts, ils ont promis me revenir avec plus d’informations…et depuis plus rien » explique Mamadou Coulibaly.
Les populations de Ouerenekaha ont été ignorées et oubliées au point où les richesses de cette mine ne leur profitent guère. Dans le village c’est à la pompe qu’on se procure de l’eau. Pas de logements pour les enseignants et les professionnels de la santé pourtant affectés par l’Etat. En Côte d’Ivoire pourtant, le code minier exige d’avoir l’avis des populations relativement à chaque installation d’une société minière et de leur garantir des parts dans les richesses de la mine. A priori, ces étapes ont été volontairement ignorées en violation des articles 123, 124, 125 et 126 du code minier ivoirien.
…avec la bénédiction du gouvernement
Comment la SIEMOA a pu s’installer dans une aire protégée ? Pour répondre à cette question, nous nous tournons vers le gouvernement ivoirien. Au terme du conseil des ministres du 28 septembre 2023, nous interrogeons le Porte-parole du gouvernement grâce à la collaboration d’un confrère. Une question principale au cœur de nos échanges : qui a autorisé l’installation de la SIEMOA dans la réserve de faune et de flore du Haut Bandama ?
« Si cette société est légalement constituée, c’est qu’elle a obtenu de façon officielle son autorisation : vous le dites vous-même. Vous journaliste d’investigation certainement, vous nous posez le problème ici aujourd’hui…vous mettez même en doute les conditions dans lesquelles cette société a obtenu son permis…mais les responsables locaux…c’est à vous ou aux cadres de Fronan de dénoncer cette activité qui met en danger la vie de leurs populations » précise Amadou Coulibaly avant d’ajouter ceci : « nous avons tous le devoir en tant que citoyen, d’exercer notre contrôle citoyen et de saisir les structures de l’Etat qui sont commises à cet effet ».
C’est bien ce conseil que nous avons l’intention d’appliquer à la lettre en interpellant successivement, la SODEFOR, le ministère des Mines et celui des Eaux et Forêts, pour savoir qui a autorisé l’entreprise SIEMOA à prendre racine dans la forêt protégée. Aucune de ces structures de l’Etat ne répondra positivement à nos demandes d’interview, malgré nos insistances. Au ministère des Eaux et forêt, notre courrier de demande de l’étude d’impact environnementale préalable à l’installation de la SIEMOA est royalement ignorée. Au ministère des mines, l’équipe sera reçue par des responsables de la communication…mais rien de plus. Toutefois, à la SODEFOR, c’est dans un mail lapidaire que l’entreprise fera l’effort surhumain de nous signifier que la SIEMOA n’est pas installée dans une forêt classée.
« Bonjour Monsieur, Suite à notre rencontre dans nos locaux et au vu du rapport de mission sur le site en exploitation de la Société SIEMOA, je vous assure que ledit site est hors de la forêt classée de Kobo. Ce mail vous est envoyé pour servir et valoir ce que de droit. Excellent weekend » précise le courrier signé par Dr Bley Bitignon, Chef du service Communication de la SODEFOR.
Aucun document attestant cette affirmation ne nous sera reversé. Drôle d’administration ivoirienne ! On pourrait s’y faire établir sa carte nationale d’identité sans même fournir un extrait d’acte de naissance. Cependant, le service de communication du ministère des mines à bien voulu nous gratifier d’une pile de document justifiant que la SIEMOA n’est pas installée dans une forêt classée.
Le premier document est une note à l’attention du Ministre porte-parole du gouvernement. Le document curieusement sans signature encore moins de date, est une note explicative qui apporte des éléments de réponse additionnel à la question posée en Conseil des ministres. On y retient que quatre (4) autorisations d’exploitation minière ont été accordées dans la sous-préfecture de Fronan. Les entreprises SIEMOA et SUN MINING pour l’exploitation semi-industrielle et deux autorisations artisanales à Mr Daouda Coulibaly. La note précise que l’attribution de ces autorisations a été faite dans le respect de la réglementation minière.
Cette réglementation exige l’avis favorable de certains ministères et structures de l’Etat avant le début de l’exploitation d’une mine. Ces avis favorables ont été mis à notre disposition avec des cartes à l’appui. Un avis favorable du préfet de Katiola pour la SIEMOA et pour l’entrepreneur minier Daouda Coulibaly.
Cet avis favorable est aussi partagé par la SODEFOR et l’OIPR, dont l’une des conclusions attire notre attention concernant le site de Daouda Coulibaly. « Toutefois, au regard de sa proximité de l’air protégé (réserve de faune et de flore du Haut Bandaman), il conviendrait pour l’opérateur de prendre toutes les dispositions utiles afin d’éviter d’éventuels débordements vers la réserves ». Une proximité évidente également sur les cartes, et précisée dans un rapport de la SODEFOR, évoquant une distance de « 1.095 mètres » entre le site de Daouda Coulibaly et la réserve de faune et de flore du Haut Bandama.
Nous avons pu nous procurer un rapport qui fait mentir les avis de toutes ces entités de l’Etat. Il s’agit d’un rapport de mission de la brigade spéciale de surveillance et d’intervention (BSSI) du ministère des Eaux et forêts en date du 5 juin 2022. « Après une projection sur notre logiciel, il ressort que la base de vie ainsi que le site des activités d’extraction d’or [de SIEMOA] sont tous dans la forêt classée du haut Bandama ». Ce constat sera suivi de saisi de 218 planches de bois forestiers, y compris des essences protégées abattus et d’une audition des responsables de la SIEMOA.
Curieusement le même rapport se dédit à la suite : « le représentant du Ministère des Mines équipés d’un GPS et de certains documents a procédé à la levée des coordonnées GPS de la base de vie et les a comparé avec nos coordonnées relevés lors de la première mission. Celui-ci a affirmé que les coordonnées sont conformes aux siennes par ailleurs il a la certitude que la parcelle de la SIEMOA n’est pas en forêt classée pour la simple raison que ce dossier a été signé par le Directeur général de la SODEFOR (…). Le représentant des mines a brandi ce document attestant que la parcelle n’était pas en forêt classée », conclut le rapport. Dans l’administration ivoirienne, la signature d’un supérieur hiérarchique à valeur scientifique et a permis à une mine de se déplacer comme par magie en dehors d’une aire protégée ! Pourtant, les informations fournies dans le rapport initial sont correctes et le Flexicadastre (système de Cadastre minier totalement informatisé) le montre.
Sur ces deux captures d’écran suivantes, on peut clairement constater que les deux exploitations de la Société Ivoirienne d’Exploitation Minière Ouest Africaine (SIEMOA) sont situées au sein de la réserve de faune et de flore du Haut Bandama. Les deux sites, respectivement de 98,35 ha et 92,85 ha (en jaune) sont bien deux sites de la SIEMOA en exploitation au cœur d’une aire protégée.
Les deux autorisations artisanales accordées à Mr Daouda Coulibaly sont également au sein de la réserve de faune et de flore du Haut Bandama. Il s’agit de deux blocs mitoyens en rose sur la carte d’une superficie totale 49,78 ha, soit 2×24,89 ha.
Chaque structure de l’Etat pour justifier l’attribution des deux exploitations d’or au sein de la réserve semble avoir produit sa propre carte, inventant pour sa cause de nouvelles limites à la réserve de faune et de flore du Haut Bandama. Il faut croire finalement que soit la réserve s’est déplacée entre les différentes missions des structures de l’Etat ou c’est plutôt la SIEMOA qui s’est déplacée. Pour savoir qui a bougé, retour donc à Katiola auprès des entités en charge de la sécurité des aires protégées. Ni le premier responsable de Brigade de la gendarmerie, ni le responsable de la SODEFOR encore moins Procureur n’ont souhaité nous parler…même en off !
Le Flexicadastre a fait mentir tous les documents produits par les structures de l’Etat d’où le silence de nos autorités sur cette affaire. Un silence qui suscite des interrogations et qui nous amène à comprendre qu’elles ont bel et bien autorisé de l’orpaillage dans une aire protégée. Le gouvernement ivoirien ne semble pas vouloir s’arrêter dans cette opération de destruction des aires protégées dans la zone de Fronan. En consultant de nouveau le Flexicadastre, on constate que pas moins d’une quarantaine de demandes d’exploitation minière ont été faites directement dans la réserve de faune et de flore du Haut Bandama.
Rien qu’en se basant sur le permis d’exploitation semi-industriel de la SIEMOA autorisant l’usage de machines à 100 millions l’unité pour creuser, on s’imagine les dégâts que pourrait subir ces réserves et forêts classées si d’autres permis sont octroyés dans la zone. L’appât du gain et l’intérêt pour le métal jaune est très fort si l’on s’en tient aux explications de Assa*, un professionnel de l’orpaillage dans la zone de Fronan. Avec plus d’une dizaine d’années d’expérience dans le domaine et en analysant les images rapportées par l’équipe de journalistes, il estime que ces exploitations au cœur de l’aire protégée « sont de grosses exploitations impliquant différentes entreprises ». Les exploitations peuvent rapporter « entre 5 à 6 kilos par jour pour minimum 30 millions » !
Vu les nombreux sites autorisés et ceux en attente d’être exploités dans la réserve du Haut Bandama, on se rend compte que le gouvernement est en train d’autoriser les ennemis de nos réserves naturelles à tout détruire. Contrairement aux explications des structures de l’Etat, les mines sont dotées d’autorisation d’exploitation officielle dans des aires protégées. Des permis fournis par nos autorités de façon clandestine faisant d’elles des orpailleurs clandestins en costume cravate.
Comme si l’orpaillage clandestin n’avait pas assez décimés nos forêts et la vie des populations, il fallait que le gouvernement vienne désormais en rajouter une couche en légalisant cette activité illicite. Lanssina Ouattara, le responsable local du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) à Katiola explique que l’orpaillage a entrainé d’autres maux dans la région. « L’orpaillage clandestin sert de terreau au banditisme. J’ai vu de la débauche et des jeunes de moins de 15 ans qui aujourd’hui prennent de la drogue. La prostitution est aussi présente. De surcroit quand ils finissent, il faut reboiser…mais ils s’en foutent et s’en vont. Cela représente un risque pour les populations avec des trous de 15 à 20 m de profondeur » explique Lanssina Ouattara.
Il faut aussi souligner l’usage des produits chimiques comme le cyanure et le mercure, qui empoisonnent les sols et les eaux, détruisent les faunes aquatiques et par ricochet affecte la santé des populations locales. « Sous certaines conditions aquatiques spécifiques, le mercure élémentaire relâché dans l’air, l’eau ou le sol peut potentiellement se transformer en méthylmercure (MeHg). Cela peut se passer près des sites d’orpaillage ou très loin de ceux-ci. Le méthylmercure s’accumule dans la chaîne alimentaire » précise les Nations Unies. Au-delà des risques pour la santé, les orpailleurs menacent les terres agricoles. Lanssina Ouattara indique que les orpailleurs s’introduisent nuitamment dans les plantations pour creuser à l’insu des paysans, détruisant leurs cultures notamment les pieds d’anacarde.
Quand on sait que la Côte d’Ivoire a perdu 90% de ses forêts, comment peut-on permettre de l’orpaillage dans les précieuses réserves naturelles qui nous restent alors que la menace du réchauffement climatique n’a jamais été aussi forte. Le gouvernement ivoirien doit de ressaisir et abandonner cette pratique qui consiste à détruire les forêts classées et aires protégées à cause de l’or. Laisser cet orpaillage dévastateur pour nos forêts se poursuivre serait une erreur et une contradiction pour le président Alassane Ouattara qui a pris des engagements aux yeux du monde en estimant pouvoir réduire les émissions de gaz à effet de serre de la Côte d’Ivoire de plus de 30% d’ici 2030.
Eburnie Today, Micro Libre et Enquête Média
*des prénoms ont été utilisés à la demande des intervenants eux-mêmes en dépit de leurs témoignages à visage découvert
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