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Côte d’Ivoire – Mali : cartographie d’une déforestation “autorisée”

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Alors que les forêts classées jouent un rôle indispensable dans la conservation de la biodiversité, certains pays d’Afrique de l’Ouest n’hésitent pas à y attribuer des permis d’exploitation minière à des multinationales, toutes choses qui vont à l’encontre des initiatives et des engagements de lutte contre les changements climatiques. En exploitant l’open data, la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo), avec l’appui du Centre for Investigative Journalism (CIJ), dans le cadre du projet mondial OCRI (Open Climate Reporting Initiative), démontre que plusieurs permis d’exploitation minière industrielle ont été délivrés dans des forêts classées en Côte d’Ivoire et au Mali.

Les aires protégées sont des espaces importants de protection de la biodiversité et de lutte contre les changements climatiques. Certains ont un statut de conservation national et d’autres reconnues à l’international à travers leur inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Elles constituent des éléments essentiels de la régulation du climat qui aident les populations rurales, principalement agricoles, à avoir des moyens de subsistance et à mieux s’adapter aux impacts du changement climatique.

La loi, les mines et la loi des mines

Exploiter vaille que vaille ses ressources naturelles ou conserver ses forêts au regard de ses engagements internationaux ? En tout cas, la Côte d’Ivoire qui est confrontée à une déforestation sans précédent, a initié l’exploitation minière industrielle dans ses forêts classées. La loi qui est censée encadrer cette activité entretient un flou artistique au niveau de la réglementation. D’abord, le Code minier de 2014, en son article 101, précise que les espaces compris dans un rayon de 100 mètres autour des aires protégées sont « classés comme zone d’interdiction ». L’article 114 souligne que « la prospection, la recherche et l’exploitation dans les zones d’interdiction sont soumises au consentement préalable des propriétaires, des occupants ou des communautés concernées, et l’autorisation du Ministre chargé des Mines. Les modalités de cette autorisation sont déterminées par décret ». De son côté, l’article 45 du Code forestier de 2019 stipule que tout projet ou toute activité susceptible d’entraîner le déboisement d’une partie des forêts du domaine forestier national est soumis à autorisation préalable du Ministère chargé des forêts.

La loi ne parle pas spécifiquement de l’exploitation minière dans les forêts classées. Mais pour Julien Tingain, président de l’ONG Social Justice, dans ce cas d’espèces, les forêts classées pourraient être considérées comme des aires protégées. C’est ce que dit Koné Ibrahima, du service juridique de la Société de développement de forêts (SODEFOR), entreprise publique en charge de la gestion des forêts classées en Côte d’Ivoire : « Dans le Code forestier, aires protégées fait référence à réserves et parcs et il y a les forêts classées. Mais dans le Code minier, quand on parle des aires protégées, c’est tout : réserves, parcs et forêts classées ». Son de cloche différent au ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie. Ibrahim Coulibaly, directeur général des mines et de la géologie, qui estime que les forêts classées ont « une dimension économique », assure pour sa part que le Code minier permet de faire la recherche dans les forêts classées assorties de conditions, même si ces dernières années, « le ministère des Eaux et Forêts a fait un retour pour dire qu’ils ne veulent plus ». « Cette situation prête beaucoup à confusion », souffle un agent des Eaux et Forêts, parlant de ce flou artistique concernant les forêts classées.

En tout cas, les forêts classées constituent ce que la Convention sur la diversité biologique appelle les « autres mesures de conservation efficaces par zone » définit comme des espaces gérés de façon à obtenir « des résultats positifs et durables à long terme pour la conservation in situ de la diversité biologique ».

Au Mali voisin, avec sa superficie de  1 240 190  km² et une population de 20 855 724   habitants, il y a une longue tradition minière et d’abondantes ressources  minérales. Depuis 1992, le secteur minier a enregistré une forte progression au niveau des exploitations d’or de type industriel et le pays se positionne maintenant au troisième rang des producteurs d’or sur le continent Africain. L’activité minière dans son ensemble contribue de façon importante à la génération de la richesse et constitue une part croissante du Produit Intérieur Brut du pays qui s’élève à 6 %, générant ainsi 3 564 emplois,  selon le document de la Politique nationale malienne de développement du secteur minier.

Mais force est de reconnaître que cette activité génère un certain nombre d’impacts environnementaux et sociaux négatifs que l’État malien a convenu de prendre en compte dans sa Politique de Développement du secteur minier adoptée en 2019 pour 5 ans.

Le secteur minier est l’objet de lois ou règlements particuliers au Mali. L’ensemble de ce corpus juridique, réglementaire et institutionnel vise à encadrer l’activité minière et assurer son développement, mais des interdictions sont pourtant bravées.

Le Code minier du Mali, qui date de novembre 2020, n’est pas très explicite sur la question des aires protégées. Cependant, l’article 72 portant Zone réglémentée évoque « les limites fixées par le gouvernement autour de zones sensibles (villages, ouvrages d’art, voies de communication, lieux culturels ou cultuels, forêts classées, cours d’eau, parcs nationaux, aires protégés) à l’intérieur desquelles l’activité minière est soumise à certaines conditions ou interdite pour des raisons d’utilité publique et/ou d’intérêt général ». Et l’article 120 du même Code stipule que la demande d’attribution d’un permis d’exploitation (de Petite ou de Grande mine)  peut faire l’objet de rejet pour, entre autres raisons, le fait que « le périmètre sollicité est couvert par un titre minier autre qu’un permis de recherche du demandeur ou se situe dans une zone réglementée ».

Cinq mines industrielles en Côte d’Ivoire et trois au Mali dans neuf  forêts classées

L’exploitation minutieuse des données ouvertes ou open data a donné des résultats impressionnants. Le croisement des données du cadastre minier et les limites des forêts classées est sans appel : cinq (05) permis d’exploitation minière (Or) se retrouvent dans six (06) forêts classées en Côte d’Ivoire. Il s’agit :

  • Permis d’Exploitation (PE 32) exploité par BONIKRO GOLD MINE dans la forêt classée de SANGOUE à Bonikro (Divo)
  • Permis d’Exploitation (PE 34) exploité par SOCIETE DES MINES DE TONGON dans la forêt classée de BADENOU (Korhogo/Ferké)
  • Permis d’Exploitation (PE 37) exploité par AGBAOU GOLD OPERATIONS dans la forêt classée de TAABO à Agbaou
  • Permis d’Exploitation (PE 43) exploité par AFEMA GOLD dans les forêts classées de EHANIA et de TANOE à Aboisso
  • Permis d’Exploitation (PE 55) exploité par OCCIDENTAL GOLD dans la forêt classée de POUNIAKELE à Mahalé (dans le département de Kouto)

Mais comment l’attribution des permis se fait-elle dans ces forêts ivoiriennes alors qu’un comité gouvernemental veille au grain ? « La SODEFOR n’est pas représentée dans le comité qui est mis en place pour statuer. Beaucoup d’erreurs partent de là », analyse Ibrahima Koné. « C’est après l’obtention des permis et pendant les études que l’avis de la SODEFOR est demandée pour s’assurer que la zone qu’ils sont en train de solliciter n’empiète pas sur la forêt classée », poursuit Koné. En tout cas, ce Comité interministériel des mines (CIM) est composé de neuf membres représentants les services de l’administration dont le Ministère des Eaux et Forêts. Il examine les dossiers avant la délivrance des permis par décret du président de la république.

Depuis des années, le Mali connaît quelques projets miniers implantés dans les forêts classées et des aires protégées. Pourtant, les activités d’exploitation y sont interdites. Pour avoir des ressources budgétaires pour son développement, le pays a attribué des permis d’exploitation aux entreprises multinationales minières en foulant parfois du pied l’interdiction liée aux aires protégées. C’est le cas notamment de trois mines : la mine d’or de Kalana exploitée par SOMIKA SA jusqu’en 2033  est sur  l’aire protégée de Kalana;  la SOMIFI SA ( société des mines de Finkolo ) exploite une mine dans la forêt  classée de Kamberke jusqu’en 2029 et SOMISY SA  ( société des mines  d’or de syama ) est présente dans la forêt classée de Bagoé jusqu’en 2043. Une situation qui met en danger les forêts classées et les habitants de Misseni, Fourou, Kadiana, Finkolo, Niena, Koumantou et de Blendio.

En plus d’être logées partiellement dans des aires protégées, certaines mines ne respectent pas les prescriptions environnementales. Selon le rapport du Vérificateur général du Mali, en 2020, la SOMISY SA n’a pas fait d’audit environnemental depuis 2013 alors que c’est prévu pour chaque cinq ans. Elle ne respectait pas aussi les modalités de gestion des déchets polluants l’atmosphère (absence d’équipements pour les systèmes d’épuration de gaz, de poussières, de fumées, d’incinération des déchets toxiques, etc.). A titre d’exemple, selon le site malijet, les concentrations en PM10 ont atteint et même dépassé souvent 10 fois la norme de l’OMS entre 2015 et 2017. En outre, dans ses rapports annuels transmis aux autorités maliennes, selon toujours le Vérificateur général, la société omet les informations sur la nature et la quantité des déchets dangereux incinérés tout comme il n’a conclu le moindre contrat d’assurance sur la gestion des déchets dangereux, notamment pour la couverture totale de sa responsabilité contre les risques résultant du transport et de la gestion desdits déchets.

Déforestation

À partir des données de Global Forest Watch, une base de données mondiale de suivi en temps réel des forêts, nous avons réalisé des cartes afin de visualiser l’impact des activités humaines sur les forêts concernées. Entre 2001 et 2021, on observe une augmentation de la déforestation dans les forêts classées de Sangoué, Taabo, Tanoe et Ehania. Cette déforestation est matérialisée par le renforcement des points rouges sur les cartes. Nous n’avons pu réaliser des cartes pour les forêts classées de Badenou et Pouniakélé vu qu’elles sont situées dans le nord de la Côte d’Ivoire, caractérisé par une végétation de savane, où la détection des changements reste difficile à observer par des images satellites.

Cette déforestation est également due à l’activité minière. En Côte d’Ivoire, la déforestation est alarmante : le premier producteur mondial de cacao a perdu plus de 80% de ses forêts dû principalement à l’agriculture, mais aussi à d’autres activités comme l’exploitation minière qui représente (avec l’orpaillage) 8% de la déforestation, selon une étude réalisée en 2016.

Et selon l‘IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, également surnommée le GIEC de la biodiversité, les changements d’utilisation des terres et la destruction des habitats – du fait de la déforestation et de la dégradation des terres – est l’une des principales menaces sur la biodiversité.

En plus, les forêts sont des puits de carbone et contribuent à la lutte contre les changements climatiques. D’ailleurs, dans ses Contributions déterminées au niveau national (CDN), document de référence en matière de lutte contre les changements climatique de la Côte d’Ivoire, la lutte contre la déforestation et les menaces sur la biodiversité représente plus de 50% des efforts pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

Au Mali, selon le rapport du Vérificateur général de 2015, la société MORILA SA  a insuffisamment réalisé les reboisements  prévus, car son taux de reconstitution du couvert végétal était de 16,9%.

Atténuer l’impact sur les forêts

Pour le directeur général des Mines et de la Géologie de Côte d’Ivoire, Ibrahim Coulibaly, aucune activité d’exploitation ne se fait dans les aires protégées en sens strict de la loi ivoirienne qui sont les parcs et réserves. Toutefois, des concessions minières sont octroyées dans les forêts classées parce que celles-ci ont « une dimension économique ». Ainsi, observe-t-il, deux actions principales sont réalisées pour compenser l’impact de l’activité minière. En phase de recherche, une convention est signée entre l’opérateur et le ministère des Eaux et Forêts ou la SODEFOR et un « replanting » est effectué dans les zones d’impact. En phase d’exploitation, une étude d’impact environnemental et social est réalisée au préalable et des actions sont proposées pour atténuer les dommages : « Et l’une des recommandations fortes qui est toujours faite quand on arrive au stade d’exploitation, c’est si une zone est reconnue comme étant une zone de forêt classée, on prend la superficie en question et on met cela comme des conditions à l’entreprise d’aller créer une autre zone de forêt équivalente, sinon même plus ». Mais l’un des défis, reste le « suivi sur le terrain », relève-t-il.

De son côté, la SODEFOR souligne que ces reboisements sont effectués par les entreprises minières. « L’exploration se fait, mais toujours avec une compensation, c’est-à-dire un reboisement. Pour beaucoup, l’exploration ne détruit pas trop le couvert végétal », soutient Ibrahima Koné. « En termes de lutte contre les changements climatiques, on est sur la même longueur d’onde : ils détruisent, mais ils réparent aussi », ajoute Didier N’Cho, chef de service aménagement à la SODEFOR. Ce forestier assure que l’un des problèmes, c’est que l’administration forestière n’a pas les mêmes fichiers que l’administration minière. Ce qui ne permet pas de déterminer clairement les limites des forêts classées. « Souvent, il y a un problème de fichier. Parce que nous avons des fichiers qui ne concordent pas forcément au fichier des autres. Donc quand les gens viennent, ils pensent qu’ils ne sont pas en forêt classée. Et quand nous faisons les études, nous montrons qu’ils sont en forêt classée », analyse Didier N’Cho. Un fichier que le ministère des Mines dit ne pas avoir. C’est pourquoi la SODEFOR estime que son absence dans la Commission interministérielle des mines est un handicap.

Cet article a été rédigé par Anderson Diedri (Côte d’Ivoire) et Ali Maïga (Mali) dans le cadre du projet “Afrique de l’Ouest face au changement climatique” avec le soutien de la CENOZO.

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