Société

COVID-19 : la détresse des femmes du secteur informel

Elles luttent pour survivre avec leurs familles en évitant qu’au lieu du Covid-19, la faim ne les emporte. Bravant parfois, à leur corps défendant, les mesures prises par le gouvernement, plusieurs femmes qui opèrent dans le secteur informel, notamment la restauration et les marchés, tentent toujours de maintenir leurs activités.

Installée dans un garage au bas d’un bâtiment inachevé à Cocody-Angré (commune du district d’Abidjan), sur l’axe Petro-Ivoire terminus 81-82, Thérèse, écumoire à la main, semble effarée. « J’étais prête à courir pour ne pas qu’on m’attrape. Cela fait plusieurs semaines que j’ai arrêtée de vendre. Mais avec la situation difficile, il n’est pas facile de rester à la maison sans rien faire. C’est pour cela que je suis revenue dans cet endroit me cacher pour vendre un peu », soupire cette restauratrice de 51 ans. A une centaine de mètres de là, la situation n’est guère reluisante. Assise derrière une petite table au-dessus de laquelle sont posées deux petites marmites, Philomène, la quarantaine environ, rumine sa colère.

« Le gouvernement a dit de fermer les restaurants. Au début, on venait mais les policiers nous chassaient et disaient qu’ils ne voulaient pas voir les gens s’assoir ici pour manger. J’ai donc fermé mon restaurant pendant un moment. Mais ne pouvant pas tenir, avec les charges, je suis obligée de venir vendre. Mais cette fois, je prépare juste une petite quantité pour que les quelques clients qui viennent puissent acheter et faire des ‘’emportés’’. Ce qui m’aide à tenir un peu ».

Entre résignation et instinct de survie, ces femmes sont prises au piège du Covid-19. Alors que la Côte d’Ivoire enregistre 25 cas confirmés de coronavirus au 22 mars 2020, le chef de l’Etat annonce le lendemain des mesures pour renforcer le dispositif de prévention de la pandémie. Au nombre de celles-ci figurent la fermeture de tous les maquis et restaurants, l’interdiction des déplacements non autorisés entre Abidjan et l’intérieur du pays et l’instauration d’un couvre-feu de 21h00 à 5h00. Ces mesures, dont le but est de contenir la propagation du virus, ont de facto condamné l’activité de ces femmes qui exercent dans le secteur informel. Ce secteur qui compte plus de 90% des emplois en Côte d’Ivoire et représente 30 à 40% du Produit intérieur brut (PIB).

Difficultés d’approvisionnement

La demi-douzaine de clientes qui patiente devant son étalage ne lui laisse pas de temps. Entre le maniement de son tranchant couteau pour écailler et découper le poisson, c’est la fille de cette commerçante de poissons au marché d’Abobo-Gare qui sert de porte-voix dans ce brouhaha, à quelques encablures de la mairie. « Avant, ça marchait. Les restauratrices, les vendeurs de ‘’garba’’ venaient acheter le poisson avec nous. Aujourd’hui, la plupart ont arrêté », observe Sara Konaté. A cette baisse de la clientèle s’ajoutent des difficultés d’approvisionnement : « Le poisson qu’on achetait à 20 000 f est passé à 25 000 f et celui de 25 000 f à 28 000. Donc on est obligé d’augmenter les prix à notre tour pour nous en sortir ».

Les commerçantes doivent se déplacer d’un marché à l’autre pour trouver des denrées (photo CC)

Un surcoût aussitôt répercuté chez les clients. « Ce poisson que je viens d’acheter, en temps normal il coûte 2 000 f mais là on me l’a vendu à 3 000 f », confirme Fatou Diallo. Cette habitante de Cocody, qui fait généralement ces provisions à Abobo, constate que les prix ont pris l’ascenseur. Même si elle arrive à se frayer plus aisément un passage dans ce marché à cause du confinement. « Habituellement, ça grouille de monde ici. Mais aujourd’hui, tout est vide », reconnait-elle. Aïcha Samaké, vendeuse de banane douce, constate également cette difficulté au niveau de l’approvisionnement et cette flambée des prix : « Le prix a augmenté. Avant, on prenait à 6 000 f un carton [caisson] de banane douce. Mais c’est à 7 000 f maintenant. Avant, je pouvais vendre 3 à 4 caissons. Aujourd’hui, on m’a livré 3 caissons et c’est seulement un que j’ai vendu. A Angré, les femmes venaient acheter avec nous. Elles ne vendent plus actuellement ».

Dans les tréfonds du marché, au milieu de tables dont certaines sont vides, derrière son étalage de graine de palme, sous les hangars à l’air frais, dans une ambiance calme, Madeleine Yao attend impatiemment les clients qui pointent au compte-goutte. « Beaucoup de femmes ont arrêté leurs activités à cause du Covid-19 », explique-t-elle. L’isolement de la capitale économique (épicentre de la maladie) du reste du pays a fragilisé plusieurs commerces. D’autant que certaines femmes s’approvisionnent dans des localités environnantes à travers les transports en commun, désormais interdits : « Vous voyez la dame qui est en face ? Elle va chercher le riz à Agboville. Aujourd’hui, elle ne peut plus partir ».

« On a faim. Mes petits enfants ont faim »

Contrairement aux emplois salariés, ceux qui travaillent dans le secteur informel gagnent leur vie au quotidien. En clair, un jour sans activité correspond à une absence automatique de revenus. Difficile donc de rester totalement les bras croisés. Mais en cette période de confinement où l’activité économique est au ralenti, le commerce de ces femmes est fortement impacté. Un véritable calvaire.

Il est 9h ce 22 avril 2020. Jusque-là, aucun client ne pointe le nez comme à l’accoutumé pour déguster le ‘’placali’’, met local prisé par les ivoiriens, chez ’’Mémé Ghana’’, comme l’appelle affectueusement clients et proches. Cette mère de famille, la soixantaine, assise à l’entrée de son établissement dans le quartier Angré-Extension, pensive, le regard perdu, ne sait à quel saint se vouer. « C’est dur ! », confie- t-elle, avant de fondre en larmes : « Avant cette situation, je vendais la viande de brousse. Par jour, je vends huit pattes de bœuf, poisson 8 000… Mais avec le coronavirus, c’est une seule patte de bœuf par jour, avec poisson 1 500 FCFA qui ne finit même pas ». Elle vit aujourd’hui un véritable drame familial, indescriptible, comme si le sort s’abattait sur elle. « On a faim. Mes petits enfants ont faim. Je ne sais pas comment je vais faire », poursuit-elle, affligée. Malgré la douleur et l’effondrement de son commerce, elle trouve le courage de limiter le nombre de tables et d’installer un kit de lavage des mains pour faire respecter les mesures barrières contre le coronavirus.

Pertes drastiques de revenus et d’emplois

Autre lieu, même réalité. Elisabeth Gbangbo, 43 ans, tenait un restaurant contigu au marché de Koumassi-Sicogi 3, dans le sud d’Abidjan. Face à la situation, elle a aussi tout stoppé et le personnel mis en chômage. « Il y avait 6 à 7 personnes. Aujourd’hui, ils sont assis. Je leur ai dit de rester à la maison, jeunes filles et jeunes garçons. Parce que je travaillais de 7 h jusqu’à 2h-3h du matin. Il y a deux groupes. Un groupe le matin et l’autre à partir de l’après-midi. Tout ça s’est arrêté. Je pouvais vendre 80 000 f par jour et avoir un bénéfice entre 15 000 et 20 000 f. C’est fini, c’est arrêté », relate-t-elle.

Les secteur informel est durement touché par la crise du Covid-19 (photo CC)

Malgré l’arrêt de son activité, cette restauratrice doit continuer à faire face aux charges, notamment celles du loyer. Alors que le gouvernement a incité les propriétaires à faire preuve de souplesse et à discuter avec les locataires. « Quand ce mois [de mars] est fini, mon propriétaire est venu m’encaisser. J’ai payé le loyer de mon restaurant à 70 000 f. Donc ce que l’Etat dit, sur le terrain, les gens s’en foutent », déplore-t-elle. Avant de tirer la sonnette d’alarme : « C’est mon commerce qui fait que je vis, moi et ma famille (…) Si la pandémie continue, c’est la galère qui va nous tuer, ce n’est pas le coronavirus ».

Manque de moyens de subsistance, pressions familiales…, certaines ont fini par craquer. Après une pause de deux semaines, Thérèse a repris du service, malgré elle. « Je ne pouvais plus rester à la maison à cause des différentes charges. J’ai été sollicitée une fois de plus, comme chaque mois d’ailleurs, par ma famille pour les médicaments de la maladie d’épilepsie pour mon neveu que je prends en charge. Donc je ne pouvais faire autrement. Le peu que je vais gagner, je pourrai faire face à certaines dépenses », raconte-t-elle, avec tristesse, Thérèse. Dans son restaurant plusieurs mets étaient proposés, en plus d’un sac de riz de 12 kg cuisiné avant la crise sanitaire. Aujourd’hui, elle est obligée de faire un seul plat à base de riz d’une quantité de 5 kg.

Quant à Philomène, qui travaillait avec ses deux enfants, elle a dû se séparer des six personnes (5 femmes et un homme) qu’elle employait dans son restaurant. Ils sont au chômage et sans ressource. « Aujourd’hui lundi, normalement à l’heure ainsi, nous étions débordés de clients », se souvient-elle, mélancolique.

Face aux fermetures des maquis et restaurants décidées par les autorités, certaines femmes tentent de trouver des alternatives pour subsister.

Martine Zogbé

Cet article a été produit dans le cadre du projet ‘’Femmes occupez les médias’’ de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (IPAO)

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