Entre 10 et 60 personnes sont sans actes de naissances depuis des années. Ces derniers vivent à Dassioko, un village de la sous-préfecture de Fresco, situé au sud-ouest, et à 230 km d’Abidjan. Elles sont obligées de vivre avec ce sort sans lendemain.
Ce samedi 10 février 2018, à peine le jour pointe, Kikrekui M., est surpris d’une mauvaise nouvelle. Ce natif de Dassioko est frappé par le deuil de la disparition de son oncle maternel. Il doit se rendre à Fresco pour assister aux funérailles. Confronté aux difficultés des pièces administratives, il tente, néanmoins, l’aventure avec des risques. « Arrivé à Fresco, juste à l’entrée, le véhicule de transport en commun est intercepté par la gendarmerie. Les agents m’exigent ma pièce d’identité ou tout autre document. Chose que je n’ai jamais obtenue depuis ma naissance », témoigne l’octogénaire Kikrekui. « Après des pourparlers, je suis donc autoriser à continuer le voyage pour rejoindre la place des funérailles, explique-t-il. Je n’ai pas l’habitude de voyager. Je n’ai jamais su l’importance de ce document puisque mon père, de son vivant, n’en avait pas ».
Agnès a 35 ans, et issue d’une des grandes familles du village. Depuis sa naissance, elle n’a jamais fréquenté faute d’acte de naissance. Ce phénomène de risque d’apatridie se ressent durement dans le quotidien de son père, ses cinq frères et sœurs. « Je n’ai pas d’acte de naissance depuis que je suis venue dans ce monde », avoue Agnès. Malheureusement, cette situation à des répercutions sur ses progénitures. « J’ai des enfants qui fréquentent l’école primaire sans actes de naissances. En tant qu’individu, je suis dans l’incapacité de voyager, déplore-t-elle. J’ai entrepris des démarches pour l’obtention d’un jugement supplétif, mais c’est la croix et la bannière ».
Echapper au phénomène
Dans ce village, beaucoup n’ont pas d’actes de naissances. Plus grave, certains n’ont jamais envisagé effectuer un voyage dans la capitale Abidjanaise où dans une autre ville. Le moindre voyage hors du village pour la métropole peut être source de problèmes avec les autorités policières. Ils sont pourtant nombreux à se terrer chez eux et à dissimuler leur existence, faute de documents administratifs.
Des chiffres controversés
Dans ce village de 10 âmes, enfants, jeunes et adultes sont tous logés à la même enseigne, avec pour dénominateur commun, sans papiers. « Il y a au moins 10 apatrides dans ce village. Les raisons sont principalement la négligence et la crise politico-militaire de 2010, qui a semé la peur chez d’autres au point de ne pas se faire identifier ou avoir d’acte de naissance », commente Sam Legré, chef du village.
Selon lui, « le coût excessif des jugements supplétifs établit, par la sous-préfecture de Fresco, lors des audiences foraines, il y a deux ans, serait la cause du désistement des villageois ». Quant au président de la jeunesse, Frédéric Pagny, il évoque plutôt « une soixantaine de personnes sans acte de naissances dans le village. Car, la dernière audience foraine organisée a permis de jauger à quel point l’engouement des demandeurs était considérable ».
Le problème d’apatridie de certains autochtones de Dassioko trouverait son origine depuis qu’ils vivaient dans l’ancien village en 1950, situé en bordure de mer et lagunes. « Beaucoup parmi nous sont nés dans ce village. On se connaissait sociologiquement et par tribus. On n’avait pas besoin de se faire établir des documents appelés un acte de naissance ou carte d’identité », soutient un cadre de ce village, sous le couvert de l’anonymat. « Lorsqu’il a fallu aller à l’école, certains parents ont jugé utile d’établir des actes de naissances pour leurs enfants », poursuit-il.
Face à cette situation d’apatridie que vit une partie de la population villageoise, le chef Legré exhorte ses administrés à se conformer à la loi afin de bénéficier des avantages que confère la nationalité ivoirienne. Le dictionnaire Grand Robert définit l’apatridie comme étant une personne dépourvue de nationalité légale, qu’aucun État ne considère comme son ressortissant.
La Côte d’Ivoire pas encore à l’abri
Des actions sont menées depuis quelques années conjointement par l’Etat ivoirien, le Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés (Hcr), le Service d’aides et d’assistance aux refugiés et apatrides (Saara) et des Ong pour une réduction significative de la problématique d’apatridie. « C’est un problème, qui malheureusement a des conséquences sur la vie de l’homme. C’est une question de droit de l’Homme, et l’Etat est dans l’obligation de faire respecter ce droit », estime Minata Dieket, Coordinatrice du Saara. « D’un point de vue planification, on a estimé à près de 700.000 le nombre d’apatrides en 2017 », fait-elle remarquer.
Monique Saraka, Secrétaire générale adjointe de l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire, par ailleurs, Coordinatrice du Projet droit à la nationalité pour tous financé par le Hcr Côte d’Ivoire, indique que la Loi ivoirienne ne fait pas de distinction entre un national et non national. « Selon la Loi de 1964, tout enfant né sur le territoire ivoirien doit être déclaré. La déclaration de naissance ne donne pas d’office la nationalité à un individu. La nationalité de droit suppose que l’enfant à un des parents ivoiriens », affirme-t-elle.
En Côte d’Ivoire, l’organisation des audiences foraines devrait permettre un début d’identification des nationaux « Il y a eu effectivement des cas où des demandeurs n’ont pas encore leurs jugements supplétifs », constate la juriste. Toutefois, elle fait remarquer les inconvénients qu’en court l’apatride : « Impossibilité d’aller à l’école, de travailler, de voyager, de disposer d’un compte bancaire, etc ».
Magloire Madjessou
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