Politique

Déclaration de l’OIDH sur la situation socio-politique actuelle de la Côte d’Ivoire

Depuis trois décennies, la Côte d’Ivoire connaît des soubresauts sociopolitiques sanglants et des crises pré et post-électorales qui conduisent hélas à de graves violations et atteintes aux Droits de l’Homme. Les dernières élections d’octobre 2020 ont occasionné officiellement 85 morts. Un nouveau cycle électoral va s’ouvrir en septembre 2023 prochain sans que certains passifs des crises électorales successives n’aient été adressées efficacement.

L’impunité

Les différentes poursuites liées à la crise post-électorale de 2020 devant conduire à des procès, n’ont pas encore eu lieu. Bien qu’un rapport d’enquête ait été publié sur les violences électorales de 2020 et faisant état de 85 morts et plus d’une centaine de blessés, les procès escomptés n’ont pas encore été réalisés dans leur entièreté en vue de situer toutes les responsabilités, et définitivement pour les crimes graves commis en 2020. L’absence de poursuites concernant certaines personnes à qui des crimes et des violences politiques pourraient être valablement reprochés, est de nature à les conforter dans un sentiment d’impunité et aiguiser des intentions de récidive.

Une Commission électorale Indépendante qui ne rassure pas

La commission électorale indépendante a déjà été l’objet de polémique autour de sa composition sur la dernière décennie, notamment sur les points de son indépendance et de son impartialité. Sur les caractères suscités, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) avait dans son arrêt rendu le 18 novembre 2016 (Affaire APDH c. La République de Côte d’Ivoire, Requête no 001/2014), faisant obligation à l’Etat de Côte d’Ivoire, défendeur, de « créer un organe électoral indépendant et impartial ».

Sa composition actuelle, malgré les discussions autour, demeure majoritairement faite d’acteurs politiques, donc partiaux. A preuve, des commissaires émanant de partis politiques continuent d’être désignés. Par décret présidentiel du 15 février 2023, d’autres acteurs politiques ont fait leur entrée au sein de la Commission Électorale Indépendante (CEI). Pour l’OIDH, les exigences d’impartialité et d’indépendance de la Commission Électorale (CEI), gage de la confiance dans le contrat social électoral, ne sont toujours pas remplies.

Alors que le débat sur la CEI ne devrait pas être clos, et au moment où on part à des élections avec la CEI, dans sa mouture actuelle, des actes potentiellement porteurs de conflits, devraient être évités.

Exclusion de certaines personnes de la liste électorale

L’histoire sociopolitique de la Côte d’ivoire a été marquée ces trois dernières décennies par des actes d’exclusion du débat politique, électoral, et même simplement du débat citoyen. L’OIDH souhaiterait rappeler à l’ensemble de la communauté nationale et internationale les conséquences désastreuses que l’exclusion a coûtées à notre pays, en termes d’instabilité, de guerre civile, de violences politiques et communautaires, et de cohabitation difficile entre les peuples.

L’OIDH tient à rappeler également avec regret que certaines personnalités politiques importantes de la Côte d’ivoire n’avaient pas figuré sur la liste électorale de 2020 du fait de condamnations judiciaires et n’avaient par conséquent pas pu être ni électeur, ni candidates aux dernières élections présidentielles d’octobre 2020 (Cf décision no CI – 2020-EP-009/14-09/CC/SG du 14 septembre 2020 du Conseil Constitutionnel Ivoirien, portant publication de la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle de la République du 31 octobre 2020).

L’OIDH rappelle enfin à ce sujet, l’existence des arrêts respectifs, du 15 juillet 2020 (Affaire SUY Bi Gohoré Emile et autres C. République de Côte d’Ivoire, Requête No004/2014) et du 15 septembre 2020 (Affaire Guillaume Kigbafori SORO et autres C. République de Côte d’Ivoire) de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui demandaient la réintégration de ces personnes sur la liste électorale ; et que ces arrêts sont toujours en vigueur et s’imposent à la Côte d’ivoire, car la décision de rétractation de la déclaration de compétence de la Côte d’ivoire vis-à-vis de la Cour africaine, le 29 avril 2020, n’a pris effet qu’en avril 2021. L’OIDH demande l’application de ces arrêts dans un soucis de conformité aux engagements internationaux et d’apaisement.

Toujours dans cette logique, pour l’OIDH, vu que dans l’élan de la réconciliation et de la cohésion sociale, des actes ont été posés dans le sens de l’apaisement (grâce présidentielle, retour de leaders politiques, libération de détenus, dégel d’avoirs, rencontres entre leaders politiques, instauration d’un dialogue politique), il serait souhaitable de garder la cadence en évitant la répétition d’actes d’exclusion dans le débat politique en général et sur la liste électorale en particulier, qui pourraient crisper davantage le climat sociopolitique et faire le lit à d’éventuelles violences politiques dans ce cycle électoral, comme par le passé.

En tout état de cause, pour l’OIDH, ce cycle électoral qui débute en 2023, devrait être un test de la maturité politique et démocratique de la Côte d’ivoire, de sa résilience à mettre fin au cycle des violences électorales dont le pays est hélas coutumier, et de sa capacité à se réconcilier avec elle-même.

Fait à Abidjan, le 18 Mai 2023

LE SECRETARIAT GENERAL

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