International

D’un criquet aux essaims : comment naisse les invasions de criquets pèlerins ?

L’Afrique de l’Est est touchée par une invasion de criquets pèlerins et l’ONU, ainsi que les pays touchés, s’inquiètent de la situation. Si les essaims ne sont pas neutralisés, la région court un grave danger d’insécurité alimentaire et de famine.

A ce jour, l’Éthiopie, la Somalie, le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda sont frappés par le fléau des criquets pèlerins. Des essaims composés de milliards d’individus dévorent les cultures et les pâturages dans des régions qui souffrent déjà de pénuries alimentaires. Mais ces essaims ont une origine plutôt surprenante et nous amène à nous demander comment ce  »simple criquet », que vous pourriez observer dans votre jardin au moment où vous lisez cet article peut devenir au bout de quelques semaines ont véritable fléau.

Le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria), ou criquet du désert est un insecte qui mène une vie solitaire. Sa couleur d’un belge pâle tacheté, lui permet de se fondre dans son environnement naturelle [1]. Cependant, le criquet du désert – qu’on croyait à tort solitaire – peut se déplacer sur plusieurs centaines de kilomètres. Au cours de cette ‘migration’ à l’âge adulte, le criquet peut se retrouver sur le même territoire de quelques centaines de mètres carré voir plus avec d’autres congénères. Les individus rassemblés opèrent une véritable mue passant de leur belge pâle tacheté à un jaune vif tigré.

Cette phase qui consacre la socialisation du criquet du désert ouvre aussi la porte à son caractère grégaire. Très vite le petit groupe de base se transforme en véritable essaim qui parcourt des centaines de kilomètre par jour avec deux objectifs : se nourrir et se reproduire [2]. Les essaims de criquets pèlerins sont de véritable nuage capable d’assombrir le ciel avec des populations estimées jusqu’à 10 milliards d’individus. La nuée déployée peut s’étendre sur des centaines de kilomètres et parcourir jusqu’à 200 km en une journée. Leur passage au-dessus des zones cultivées est synonyme de désarroi pour les populations notamment celles en milieu rural [3]. Chaque criquet consomme chaque jour son propre poids en nourriture soit l’équivalant de 2 grammes. A titre d’exemple, un essaim de 10 milliards d’individus peut dévorer 20.000 tonnes de nourriture par jour. Leur menu est composé de toutes les plantes que les criquets arrivent à dévorer dans la nature, de jeunes pousses et cultures dans les plantations et même des récoltes [4].

Les causes de l’infestation actuelle remontent aux cyclones et aux fortes pluies de 2018-19. Les conditions humides et favorables qui prévalaient il y a deux ans dans le sud de la péninsule arabique ont permis à trois générations de criquets de se développer sans être détectées, selon les Nations unies. Début 2019, les premiers essaims se sont dirigés vers le Yémen, l’Arabie Saoudite et l’Iran, se reproduisant en nombre avant de se déplacer en Afrique de l’Est. La présence actuelle des criquets dans l’Est de l’Afrique risque d’être qualifiée d’invasion par les Nations Unies si elle perdure au minimum 12 mois ou plus. Les criquets pèlerins vivent généralement dans les zones arides d’une trentaine de pays entre l’Afrique de l’Ouest et l’Inde – une région d’environ 16 millions de km². Il y a eu six invasions de criquets au XXème siècle, dont la dernière s’est produite en 1987-89.

Les invasions de criquets pèlerins peuvent laisser des conséquences très graves dont la première est la famine et l’insécurité alimentaire même quand les essaims sont éliminés. Une invasion en Afrique de l’Ouest (2003-2005) a coûté 2,5 milliards de dollars en pertes agricoles, selon les Nations Unies [5]. Au moment où les criquets sont signalés dans plusieurs pays de la corne de l’Afrique et de l’Est, l’ONU via son agence spécialisée la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) s’inquiètent et ce à juste titre. Fin décembre, les criquets avaient déjà détruit plus de 70.000 hectares de terres agricoles en Somalie et en Ethiopie. Ils mangent 1,8 million de tonnes de végétation par jour sur 350 km2, selon la FAO. L’organisation onusienne estime qu’un essaim au Kenya a couvert une zone de 40 km sur 60 km. Les autorités kényanes estiment qu’il s’agit de la pire infestation de criquets pèlerins dans le pays depuis 70 ans. Il en est de même pour la Somalie et l’Éthiopie depuis 25 ans !

La pulvérisation aérienne reste l’un des moyens les plus efficace de lutter contre les envahisseurs (photo CC)

« Nous sommes surtout préoccupés par le Kenya et l’Ethiopie car ce sont deux pays où les essaims sont très importants » indique Keith Cressman, responsable des prévisions acridiennes à la FAO.

Si rien n’est fait, plus de 20 millions de personnes dans la corne de l’Afrique et de l’Est pourraient être exposés à une insécurité alimentaire dans une région qui a déjà fait face à des inondations et la sécheresse, selon les Nations unies. Face aux envahisseurs, la résistance s’organise dans chacun des pays et à l’échelle mondiale. L’essentiel de la lutte s’organise autour de pulvérisation d’insecticide par différents moyens. Il s’agit notamment de pompes manuelles, de véhicules à citernes, des hélicoptères ou avions épandeur [6]. Les essaims entiers peuvent être ciblés et tués avec des produits chimiques dans un laps de temps relativement court.

Mais aujourd’hui pour arriver à ce résultat il faut des moyens importants. Les Nations unies déclarent que les opérations de pulvérisation aérienne et terrestre dans la région sont actuellement insuffisantes. L’organisation a lancé un appel aux donateurs internationaux pour une aide d’urgence. Montant à collecter : 70 millions de dollars afin de vaincre les criquets qui ont déjà ravagé des nombreuses plantations de coton, de haricot, de thé, de blé et de maïs.

Ebony T. Christian

1 – https://www.cirad.fr/nos-recherches/resultats-de-recherche/2014/criquet-pelerin-des-populations-solitaires-abondantes-et-tres-mobiles

2 – http://www.insectes.org/opie/pdf/1021_pagesdynadocs4b4c518a18348.pdf

3 – https://news.un.org/fr/story/2020/02/1061441

4 – http://iridl.ldeo.columbia.edu/maproom/Food_Security/Locusts/index.html.fr

5 – http://www.fao.org/in-action/countries-take-responsibility-for-regional-desert-locust-control/fr/

6 – https://www.researchgate.net/publication/235608458_Prevention_des_invasions_de_criquets_pelerins_analyse_socio-technique_d’un_dispositif_de_gestion_du_risque

Comments

comments

Eburnie Today

Share
Published by
Eburnie Today

Recent Posts

PODCAST 4/5 Oisiveté, mère de tous les vices pour les jeunes du nord ivoirien

Le chômage des jeunes crée des vulnérabilités à l’extrémisme violent comme l’a démontré une étude…

2 journées ago

Un citoyen actif pour bâtir une société durable et résiliente

La deuxième édition du Forum des citoyennetés actives a été organisé ce 20 novembre 2024…

2 journées ago

Analyse du marché du cacao pour le mois d’octobre 2024

Avant l’ouverture de la campagne, les acteurs du marché estimaient généralement que la production mondiale…

3 journées ago

PODCAST 3/5 Timalah une terre d’asile et le défi de la cohésion sociale

Plus de 37.000 demandeurs d’asile burkinabés ont été enregistrés en Côte d’Ivoire. Ces derniers ont…

1 semaine ago

La 4ème édition du Salon des infrastructures d’Abidjan s’ouvre à Abidjan

« Technologies émergentes et innovations dans l’industrie du bâtiment et des travaux publics », voici…

1 semaine ago

PODCAST 2/5 Le bétail, une richesse convoitée à la frontière nord de la Côte d’Ivoire

Dans la région sahélienne, le bétail est une richesse dont la taille et la variété…

2 semaines ago