Les questions liées à la sexualité et à la santé reproductive des jeunes sont taboues dans plusieurs tribus et familles en Côte d’Ivoire. Pour aider les jeunes à s’ouvrir plus facilement sur des questions liées au sexe et aux problèmes qui l’entourent, une application a été lancée pour faciliter le dialogue entre les jeunes et les spécialistes de la santé reproductive. La discrétion, l’anonymat, la confidentialité et la protection des données collectées sont les atouts utilisés pour rassurer les jeunes.
E-Santé jeune CI est une application mobile lancée en août 2021 par le ministère Ivoirien de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture Maladie Universelle à travers le Programme National de Santé Scolaire et Universitaire-Santé Adolescents et Jeunes. Cette application vient aider les jeunes dans leur quête de réponses aux préoccupations qui sont les leur en matière de santé reproductive. Le dialogue autour du sexe et de la santé reproductive des jeunes ne s’engage pas aussi facilement entre les jeunes et leurs parents. Les adolescents se confient un peu plus à leurs amis et leurs camarades d’école qu’à leurs parents.
« C’est difficile de parler aux parents des questions de sexe. Souvent lorsque tu poses une question à ton père, à ta mère ou à ta grande sœur, ils te regardent étrangement et commencent à t’accuser d’être sexuellement active. On se sent repoussé et frustré or la seule chose dont nous avons besoin c’est juste une réponse à une question et non des paroles qui blessent » se désole Kpan Léa, élève en classe de Terminale D.
Les questions relatives à la santé reproductive des jeunes sont multiples et ne se limitent pas aux rapports sexuels. Elles touchent « différents aspects de la vie des jeunes comme la puberté, le lien entre la santé et l’alcool ou la drogue, l’hygiène corporelle, les infections sexuellement transmissibles (IST), les relations sociales entre jeunes et les bonnes pratiques en matière de santé » détaille Sahi Roger, acteur de la société civile engagé dans l’autonomisation et l’éducation des adolescents. Il indique que si les jeunes ont du mal à aborder toutes ces questions avec leurs parents « c’est parce qu’il existe à la fois une certaine peur face à l’autorité parentale et un sentiment de gène lorsque le jeune garçon ou la jeune fille est par exemple victime d’une IST ou d’une grossesse ».
Or l’absence de dialogue et d’échange entre les parents et les jeunes expose ces derniers à de nombreux risques. Si les jeunes ne sont pas écoutés dans leurs familles, ils iront chercher des réponses sur internet ou auprès de leurs amis qui ne sont pas aussi bien informés qu’eux. Les jeunes se retrouvent alors exposer à plusieurs dangers comme les grossesses à risque et précoces, les tontines de sexe, la drogue et l’alcool, les IST…
Pour aider les jeunes à trouver des réponses et à se confier sans crainte aux spécialistes de la santé reproductive (sages-femmes, médecins, psychologues, pairs éducateurs…), l’application androïde E-Santé jeune CI a été lancée et est disponible en téléchargement libre sur Google Play. « Nous donnons l’occasion aux jeunes de pouvoir échanger avec des professionnels de la santé capables de leur donner toutes les précisions pour leur permettre de prendre les décisions responsables en termes de santé sexuelle et reproductive » explique Docteur Seydou Ouattara, Directeur-coordonnateur du Programme national de santé scolaire et Universitaire-Santé Adolescents et Jeunes.
L’application est donc vulgarisée auprès des jeunes de toutes les localités de la Côte d’Ivoire notamment ceux de l’intérieur du pays où les spécialistes de la santé reproductive sont sous représentés. La discrétion, l’anonymat, la confidentialité et la protection des données partagées sont les atouts utilisés pour rassurer les jeunes. L’application comprend à la base cinq rubriques : Astuces, Forum, Tchat, Redevabilité et la Médiathèque. A travers chaque rubrique, les jeunes peuvent s’informer, se former et parler à un spécialiste de la santé reproductive.
« Nous les jeunes, nous avons l’habitude de tout partager sur les réseaux sociaux ce qui fait que tout ce qui touche à internet fait un peu peur. Les jeunes craignent que leurs informations personnelles et leurs problèmes se retrouvent exposés sur les réseaux sociaux. Or avec cette application ce n’est pas le cas » explique Véhi Mambé Ange, président Des Mages à l’AIBEF (Association ivoirienne pour le bien-être familial) de Man. Les données collectées auprès des jeunes sont sécurisées et ne sont pas diffusées en dehors de l’application.
Le principe de l’anonymat des échanges est garanti par la création d’un compte avec un pseudonyme. Le professionnel de la santé ne connait pas le vrai nom de l’utilisateur. Il prodigue juste des conseils avisés et éclairés à un jeune sur sa santé reproductive sans aucun tabou. « Grâce à ce dialogue anonyme, les jeunes s’ouvrent plus facilement et reçoivent des conseils qui leur permettent d’éviter des comportements à risque et de mettre leur vie en danger » indique N’Guessan Micheline, sage-femme et coordonnatrice régionale du Tonkpi de l’Association ivoirienne pour le bien-être familial (AIBEF).
Elle précise qu’il « n’est certes pas facile pour de nombreux jeunes d’évoquer des questions relatives à la santé reproductive mais l’application E-santé jeune CI est un pas important pour rassurer les jeunes ». Voici pourquoi elle invite les parents eux-mêmes à télécharger l’application et s’inscrire afin d’apprendre eux-mêmes comment dialoguer avec leurs enfants en toute confiance.
Pour le ministère de la Promotion de la Jeunesse, de l’Insertion Professionnelle et du Service Civique cette application est une contribution importante pour la formation des jeunes et la promotion de leur bien-être. Le ministère dispose d’une direction centrale de la protection de la jeunesse et qui parle de protection de la jeunesse parle d’une protection à tous les niveaux.
« Le bien-fondé de cette application repose sur l’opportunité que les jeunes ont de pouvoir échanger entre eux sur les compétences de vie courante et la santé de la reproduction, recevoir des conseils des spécialistes en santé sexuelle peu importe l’endroit où ils se trouvent et apprendre à éviter les comportements à risque. L’autre innovation c’est que l’application permet aux jeunes de pouvoir géolocaliser le Centre de santé urbain (CSU) ou le Centre de santé scolaire et universitaire (SSU) le plus proche en cas de nécessité » détaille Bamba Mamery, agent à la direction régionale de la jeunesse du Tonkpi.
Les jeunes de Côte d’Ivoire peuvent désormais se rapprocher des professionnels de la santé et échanger avec eux en toute quiétude sans risque d’un jugement externe grâce à une plateforme numérique. A ce jour, plus de 5.000 utilisateurs ont été enregistrés sur l’application. Pour Sahi Roger, acteur de la société civile engagé dans l’autonomisation et l’éducation des adolescents, « le nombre de jeunes utilisateurs de l’application E-santé jeune CI doit croitre » car les jeunes (0-35 ans) représentent plus de 77% de la population ivoirienne. Du bien-être de cette jeunesse dépend l’avenir de la Côte d’Ivoire.
Suy Kahofi
Article produit dans le cadre de la bourse de journalisme sur les infrastructures numériques publiques (IPN) organisée par la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest et Co-Develop.