Politique

Fake news : une loi pour rien en Côte d’Ivoire ?

Le président ivoirien Alassane Ouattara envisage une loi contre les fake news, à l’instar d’un projet semblable en France. Une initiative dont les grandes lignes n’ont pas encore été dévoilées.

La situation est si alarmante en Côte d’Ivoire ? Pour le chef de l’Etat, il faut faire en sorte que internet ne soit pas le lieu par excellence de la propagation de fausses informations. « Au-delà du cadre légal qui existe, il nous faut aller plus loin pour élaborer une véritable loi sur les fake news pour protéger davantage nos concitoyens et notre pays. La presse doit être stimulatrice et non pas injurieuse », a fait valoir Alassane Ouattara le 8 juin 2018. Il a donc interpellé le ministère de la communication « sur le nécessaire encadrement des médias en ligne ».

A l’instar d’Emmanuel Macron qui veut une loi sur les fake news en France, le président Ouattara veut renforcer le dispositif législatif en Côte d’Ivoire. Fernand Dedeh, vice-président de l’Observatoire pour la liberté de la presse, de l’éthique et de la déontologie (Olped, l’organe d’autorégulation), se montre prudent.

« Le code pénal prévoit les dispositions pertinentes pour poursuivre tous les délinquants. La loi sur la presse renvoie au code pénal pour la publication d’informations erronées et diffamatoires. Une loi spécifique pour les fake news ? Je n’y crois pas trop. Je suis, moi, pour l’éducation, la sensibilisation des citoyens plutôt que la répression en première intention », estime-t-il.

Journaliste expérimenté, il observe que les fake news (terme anglo-saxon pour désigner fausse information ou nouvelle) sont « véhiculées volontairement par des officines spécialisées ou non pour nuire ou distraire l’opinion, jeter l’opprobre sur une ou des groupes de personnes. Des fois même, juste pour faire du buzz ».

Les balises

Il y a déjà des balises. Aussi bien pour les citoyens que pour les médias, la loi prévoit des sanctions en Côte d’Ivoire. Le code pénal (article 173) réprime la publication, la diffusion, la divulgation ou la reproduction par quelque moyen que ce soit, de fausses nouvelles, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers. Cette infraction est punie d’un à trois ans de prison et d’une amende de 500 000 à 5 000 000 de francs Cfa. L’article 97 de la loi portant régime juridique la presse de décembre 2017 (désormais étendue à la presse en ligne) précise que la publication de « fausses nouvelles » est punie d’une amende de 1 000 000 à 5 000 000 de francs Cfa, la peine d’emprisonnement étant supprimée pour les délits de presse.

André Sylver Konan, journaliste et analyste politique, déclare qu’il ne verrait pas « l’utilité » d’une loi contre les fake news « d’autant que la nouvelle loi sur la presse, en plusieurs articles, réprime déjà les fausses nouvelles ». « Je ne vois ni l’opportunité ni la pertinence puisqu’une loi existe déjà », insiste-t-il. Cette loi, à l’instar du code pénal, sanctionne la diffamation « par voie de presse ou par tout autre moyen de communication ».

Le projet du président Alassane Ouattara peut-il devenir liberticide ?

En plus, en cas de « manquement aux règles » (article 77), l’Autorité nationale de la presse (ANP, l’organe de régulation, ancienne dénommé Conseil national de la presse – CNP) peut prononcer des sanctions disciplinaires à l’encontre de l’entreprise de presse qui vont de l’avertissement à la suspension, en passant par le blâme et les sanctions pécuniaires.

L’article 88 de la loi sur la presse va plus loin puisqu’il donne la possibilité au ministre de l’intérieur, après un simple avis de l’ANP, d’interdire « la publicité au moyen de prospectus, d’affiches, d’annonces ou insertions publiées dans la presse » et de « bloquer ou faire bloquer l’accès à tout site de production d’informations numériques qui viole les mêmes dispositions ». Cette disposition donne une marge de manœuvre aux pouvoirs publics.

La localisation

« Avec les nouvelles technologies de l’information et notamment la vulgarisation des réseaux sociaux, [il est] difficile de poursuivre les internautes. Comment poursuivre un internaute localisé aux Îles Caïmans et dont les posts [publications sur les réseaux sociaux] sont repris à travers le monde ? », questionne Fernand Dedeh. Justement, sur cette préoccupation, Me Gérard Koné Dogbemin, avocat inscrit au barreau d’Abidjan, pense qu’il pourrait avoir une amélioration possible de la législation avec la loi contre les fake news annoncée : « on peut prendre la nouvelle loi pour certains aspects d’internet qui échappent à la loi ».

S’il déclare que la réglementation actuelle couvre plus ou moins les fausses informations, l’avocat spécialiste du droit de la presse ajoute que la ratification de conventions internationales est indispensable. « C’est ce qu’on applique parce que l’infraction sur internet se passe ici et ailleurs, le problème de sa localisation et ensuite le problème de la complicité », explique-t-il, une loi adoptée en Côte d’Ivoire ne s’appliquant pas à l’étranger. « Une loi spéciale, ce n’est pas mauvais parce que la loi pénale a un deuxième défaut, elle est territoriale », poursuit Me Koné Dogbemin.

Liberté d’expression

En tout cas, les deux textes de loi contre les fausses nouvelles en période électorale proposés en France  – ordinaire et organique – visent à permettre à un candidat ou parti de saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de « fausses informations » durant les trois mois précédant un scrutin national. Elles imposent aux plateformes (Google, Facebook, Twitter, etc.) des obligations de transparence sur l’identité et la qualité de ceux qui versent une rémunération pour promouvoir des contenus sur leurs pages.

Révélé dans l’entre deux tours de l’élection présidentielle française de 2017, les « Macrons Leaks » sont en partie à l’origine de la loi anti-Fake news. L’actuel chef de l’Elysée avait par ailleurs accusé des médias financés par la Russie d’avoir divulgué de fausses informations pour influencer sa campagne. En tout cas, cette proposition de loi est controversée car certains y voient un moyen de réduire la liberté d’informer. D’ailleurs, adoptés par l’Assemblée nationale, ces textes ont été rejetés fin juillet dernier par le Sénat français.

En Côte d’Ivoire, les orientations de la loi fake news annoncée ne sont pas encore connues. En attendant, Fernand Dedeh interpelle : « Ce qu’il faut aux États africains, c’est de ne pas avoir peur de la liberté. Sous le mobile de combattre les fake news, c’est en réalité combattre et réprimer les informations gênantes. Il faut éduquer la société et non la contraindre au silence. Il faut commencer par expliquer aux citoyens ce que l’on entend par fake news, dans la tête des possédants et des prédateurs de liberté d’expression et de publication ». Il estime que les autorités doivent mettre l’accent sur la promotion de la liberté que la répression.

Anderson Diédri

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