Forêt classée de Monogaga : un sanctuaire pour nudistes ?
Le 10 février 2024 à San Pédro, le ministre des Eaux et Forêts, Tchagba Laurent et le ministre du Tourisme et des Loisirs, Siandou Fofana, avaient procédé au lancement des activités d’un projet d’aménagement de la forêt classée de Monogaga. Cette forêt que certaines sources estiment dégradée à plus de 90% s’étend sur près de 40.000 hectares. Un véritable paradis entre plage de sable fin et forêt lagunaire avec en prime un exceptionnel réseau de mangrove où se développe plusieurs espaces aquatiques. Alors que les Ivoiriens s’attendent à voir les premiers actes concrets de reboisement ou d’activité d’écotourisme rentable pour la forêt et les populations riveraines, force est de constater que la forêt classée de Monogaga est devenue un sanctuaire pour nudistes !
Attention : cet article contient des images de nudité
Officiellement, c’est un montant de plus de 20 milliards FCFA qui sera investi par le groupe Roots Wild Foundation pour la réhabilitation de la forêt classée de Monogaga. Ce bailleur choisi par le gouvernement ivoirien sans aucune trace d’appel d’offre au niveau des instances d’attribution des marchés publics doit conduire des enquêtes préalables qui permettront d’avoir une cartographie actualisée de l’état de la forêt classée de Monogaga. Ensuite, il doit élaborer un plan d’aménagement participatif prenant en compte la réhabilitation de la forêt et les besoins des populations, majoritairement du peuple Winnin (groupe ethnique Krou).
Sauf que plus de 10 mois après le lancement des activités du projet d’aménagement rien de concret n’est visible sur le terrain…en apparence. En lieu et place des experts, forestiers et autres équipes de spécialistes ; c’est plutôt un autre type d’invités qui se signalent dans la forêt. Nos équipes de reporters ont pu constater que la forêt classée de Monogaga, qualifié de paradis terrestre par le chanteur Meiway dans l’un de ses tubes à succès est devenu un véritable jardin pour nudiste. A quelques encablures de San Pédro, premier port d’exportation du cacao, nous avons vu des hommes et des femmes se promenant nus et paisiblement.
Loin d’être les enfants d’Adam et Eve, ce sont plutôt des touristes nudistes installés sur les plages du village de Kounouko au cœur de la forêt classée de Monogaga. Ils sont protégés par des corps habillés, qui interdisent à quiconque de les filmer. Un jeune du village, soupçonné d’avoir violé cette mesure, va se faire arrêter occasionnant la colère des villageois.
Dans une vidéo filmée par les populations lors de ce mouvement de colère on entend dans habitants s’offusquer du fait que des « blancs barrent la route aux noirs ». « On est chez nous et chez nous-mêmes on n’a pas la paix » scande un homme.
Les riverains sont en colère, fâchés de ne pas pouvoir aller où ils veulent dans leur propre village. Il s’offusque notamment des rituels de ces touristes qui bafouent leurs cimetières et leurs lieux sacrés. Des lieux remplis d’histoire et de spiritualité pour les locaux et qui ont pourtant été indiqués à ces visiteurs d’un jour devenus indésirables.
« Nous sommes un village avec nos règles et nous n’avons pas manqué de le dire. Nous leur avons donné ces règles [aux touristes nudistes NDLR]. Il y a des endroits dans cette forêt, deux lieux qui sont sacrés. Il y a une famille du village qui a ses génies à la plage et notre famille a également son génie. Nous avons donc présenté ces deux endroits sacrés où ils ne devaient pas pénétrer. Cette mesure n’a pas été respectée et l’un de ces nudistes a même installé sa tente dans cet espace sacré. Je l’ai vu de mes yeux » indique Jerome Djagnan, frère du chef de village de Kounouko. Pour les populations autochtones, ce triste spectacle sous protection des forces de l’ordre porte atteinte aux mœurs et à leurs valeurs traditionnelles.
« Cette situation me fait tellement honte que je ne trouve pas les mots pour en parler. Voir des étrangers qui viennent ici se mettre nus c’est décevant » s’indigne Désiré Djirika. Le président des jeunes de Cantondougou – un campement situé dans la forêt classée de Monogaga – indexe la chefferie pour son laxisme et ses accointances obscures avec celui à qui le gouvernement à céder le contrat de restauration de la forêt classée, un dénommé Bilal Hallal. Désiré Djirika déplore le fait que la nudité de ces touristes soit exposée aux enfants. Au-delà, c’est la réputation du village qui prend un coup. Kounouko et ses campements désormais « le village des woubis » !
Un ‘village de woubi’…malgré lui
Depuis début novembre 2024, Kounouko ressemble à une scène de tournage de film X pour ne pas dire porno comme l’homme de la rue. Dans ce paisible petit village, les populations locales – hommes, femmes et surtout des enfants – sont sous le choc de voir ces étrangers se promener nus. Choc culturel et des civilisations sans doute pour des africains qui n’ont jamais été témoin de ce type de scène.
En plus de se balader à poil, les orientations sexuelles de ces étrangers choquent les riverains. Certains villageois ont confié à nos reporters avoir vu des scènes de lesbianisme entre ces nudistes. Une adolescente du village a déclaré avoir été invitée par un de ces touristes à regarder des films pour adultes. Il se raconte que des idylles sont nées entre des femmes nudistes et des jeunes du village. Ici au village, on parle de scandale, de dépravation et surtout d’entrave à la liberté de mouvement car le site occupé par ces naturalistes est un passage obligé pour les riverains de Kounouko.
« Ce lieu que les nudistes occupent c’est notre marché. C’est là-bas que nous pêchons les crabes poilus et le poisson car c’est la zone où se trouve le lac Kunuku. Nous sommes donc présents chaque jour là-bas » explique Robé Djirro, un habitant du village de Kounouko. « On était choqué de les voir nus. Nous allons sur ce site avec nos enfants qui étaient aussi choqués de les voir nus. Il n’y a pas eu d’explication or nous sommes chez nous et nous avons l’habitude d’être présents sur le site. On ne peut pas du jour au lendemain se retirer parce que ces gens se mettent nus » soutient le jeune homme.
Les riverains sont certes choqués mais ils sont incapables de réagir car ces nudistes sont protégés par un important dispositif de forces de l’ordre qui campe sur la plage 24 h/24. Ils ont érigé une barrière à l’entrée du site des touristes pour interdire l’accès, notamment aux anti-nudistes du village. Memsah Dominique est identifié comme l’un des fils du village qui s’oppose à cette présence. Il s’est vu interdire l’accès à la tombe de son grand père dans son propre village.
« C’était début novembre et chaque 2 novembre, je vais déposer des gerbes de fleurs sur la tombe de mon grand grand-père. Sur le chemin à environ 200 m du site occupé, je suis arrêté par un agent des Eaux et Forêts qui me dit ‘non, vous n’avez pas le droit d’y aller’. Je lui ai dit que c’était une bonne chose de protéger les touristes mais il n’était pas normal de nous empêcher de vivre » témoigne Memsah Dominique.
Les villageois sont empêchés de vivre et de surcroît empêcher de se réunir. Les forces de l’ordre veillent au grain. Les plus récalcitrants à la présence de leurs protégés non désirés sont quasiment bannis de leur village. « Nous avons tenté de faire une réunion pour discuter de cette présence de touristes. Nous nous sommes retrouvés entourés de corps habillés dont des gendarmes et des sapeurs-pompiers » relate Désiré Djirika, le président des jeunes de Cantondougou.
Selon les informations qui ont circulées au moment des faits, c’est que la réunion devait aboutir à des actes de violence contre les jeunes, le chef de village et les touristes si aucun accord n’était trouvé sur la question de la présence des nudistes. « C’était une fausse information car nous vivons en harmonie avec les étrangers et jamais ce type de violence n’a été signalé » conclut Désiré Djirika.
Paradoxalement, la gendarmerie si prompte à empêcher une réunion pacifique sur la base de rumeurs peine à faire respecter l’article 360 du code pénal. Ces touristes, en s’exhibant ainsi nus dans le village viole cet article qui punit de trois mois à deux ans de prison quiconque commet un outrage public à la pudeur. Mais ici, ces nudistes bénéficient de l’impunité avec en bonus, la protection des forces de l’ordre.
Des nudistes de la Rainbow Family
Ces touristes nus que nous avons pistés durant notre séjour appartiennent à une communauté spirituelle mondialement connue, dénommé Rainbow Family (la famille arc-en-ciel). Née dans les années 70 aux Etats Unis, ce sont des naturalistes anti-système qui revendiquent leur nudité.
Leurs rassemblements annuels, notamment aux Etats Unis font l’objet de contrôles policiers réguliers, et pour cause, ils sont taxés d’être des lieux où la drogue circule et la violence est aussi présente. Cette surveillance policière sous d’autres cieux peut expliquer aisément pourquoi ces naturalistes ont choisi la destination Côte d’Ivoire. Ici, c’est quartier libre ! Un no man’s land, avec en supplément, une armée à leur pied. Qui a donc autorisé l’arrivée des membres d’une communauté spirituelle controversée dans la forêt classée de Monogaga ?
Pour avoir une réponse à cette question, nous avons sollicité le ministère des eaux et forêts qui a royalement ignoré notre courrier. Puis, nous avons joint le chef du village de Kounouko par téléphone le 19 novembre 2024 après avoir quitté le village précipitamment en raison du risque élevé d’être démasqué. Yoh Michel, le chef du village de Kounouko, affirme que « les autorités préfectorales nous ont appelé pour nous informer de l’arrivée de ces gens-là [les nudistes NDLR] ». « Ils ont adressé un courrier au préfet, à la direction du tourisme…donc à plusieurs administrations avant de venir ».
En revanche, personne ne lui avait parlé de nudisme, nous confie-t-il…avant d’essayé même de banaliser cette pratique. Mais quand on l’informe que nous détenons les preuves de ses agissements, c’est la fuite en avant. « Si vous avez les preuves moi je n’en ai pas puisque moi je ne vais pas sur la plage depuis le 1er novembre. Je suis toujours assis chez moi à la maison » se défend Yoh Michel.
Possible que le chef, qui réside pourtant au village, dise vrai surtout quand il se raconte que la présence des touristes n’a rien rapporté au village et sa chefferie. Pourtant, une source qui a pu infiltrer ce milieu des nudistes va nous confier que ce rassemblement a une base financière non négligeable.
Une touriste aurait confié à la source qu’elle a déboursé 800 dollars US (soit plus de 400.000 FCFA) pour participer à ce rassemblement. Si les touristes sont au bas mot une cinquantaine, on peut aisément deviner ce que cette escapade à poil dans la forêt classée de Monogaga a rapporté à ceux qui ont autorisé l’arrivée des membres de la Rainbow Family.
« On ne nous a pas parlé d’une compensation financière. C’est la préfecture qui nous a appelé pour nous dire que comme les gens [les nudistes NDLR] sont déjà là et que nous qui sommes autochtones, qui sommes de ce village, y compris les fils de ce village, qu’on s’entende pour pouvoir faire une doléance à présenter à l’autorité administrative qui est la préfecture et la préfecture va aussi essayer d’harmoniser pour l’adresser à la fondation si c’est pour apporter un soutien financier, une aide qui va dans le sens du développement du village. Pour dire qu’ils ont déposé 5 francs ou quiconque a pu prendre la somme de 500 francs ou de 1.000 francs avec quelqu’un, cela ne s’est jamais passé » se défend Yoh Michel, le chef du village de Kounouko.
Cette fondation dont parle le chef s’appelle la Roots Wild Fondation. C’est à elle, que l’état de Côte d’Ivoire a confié le projet de reforestation de la forêt classée de Monogaga. Son fondateur, un certain Bilal Hallal fut la première personne à informer le Chef du village de l’arrivée de ces touristes. « Comme je vous l’avais dit, la première personne qui nous a informé c’est Mr Bilal. Il ne nous a pas parlé de nudistes » indique Yoh Michel. Une déclaration du chef en phase avec la version de Bilal Hallal. Voici le facsim de la réponse du président de la Roots Wild Foundation.
Le président de la Roots Wild Fondation reconnaît avoir donné son aval à ces touristes sans aucune autre information. « Je ne connais pas le nombre de touristes venus à Kounouko, je ne m’occupe en aucune façon de la gestion ou de l’organisation de leur séjour, et ces personnes sont toutes venues à titre privé » se dédouane Bilal Hallal dans le courrier adressé à la rédaction.
Cette réponse pose un véritable problème : quel sens de la responsabilité du président de la Roots Wild Foundation qui a en charge un si grand projet, dont l’une des composantes majeures est l’écotourisme ? Bilal Hallal ne sait pas ce qui se passe dans la forêt classée dont il a la charge !
« On nous a annoncé 200 ou 300 individus qui doivent venir sur un site pour faire, entre guillemets, ce qu’on appelle l’éco-tourisme. Mais quand on a plus d’une centaine d’individus, ce n’est plus de l’éco-tourisme, c’est du tourisme de masse et le tourisme de masse a des conséquences évidentes sur ceux qui vivent sur les lieux, les riverains, en l’occurrence nous, les populations autochtones » dénonce Vincent Djiropo, gestionnaire de patrimoine et membre de la communauté Winnin.
Le tourisme de masse représente également un danger pour la nature et la forêt classée de Monogaga que le gouvernement ivoirien dit vouloir sauver. Dans cette forêt vivent plusieurs espèces animales et végétales endémiques des zones côtières et des espèces protégées. Bilal Hallal, qui dirige pourtant une organisation censée restaurer la forêt, fait l’ignorant quand la question est abordée. « Selon mes informations, ces touristes vivent en parfaite harmonie avec les populations du village (sport, échanges culturels, échanges culinaires, échanges musicaux, dons, etc.). Ces touristes ne sont en aucun cas des nudistes » atteste le président de la Roots Wild Fondation.
Ignorance chronique de Bilal Hallal…peut-être…ou plutôt volonté affichée de nous détourner de la vérité ? Pour les populations locales, il n’y a que du faux dans les propos de Bilal Hallal. Dominique Mensah, fils de Kounouko et propriétaire des bungalows occupés par les naturalistes, sans son avis, a pu obtenir des informations d’une naturaliste sur les agissements de sa communauté.
Deux pythons ont été introduits par ces nudistes sur le site pour leur rituel. Des pythons présentés comme inoffensifs face aux craintes exprimées par Dominique Mensah en ce qui concerne la sécurité des populations surtout les enfants. « A ma question de savoir s’ils ont prévenu les populations, la réponse a été la suivante : ‘non, nous n’avons pas informé les populations mais on a prévenu Bilal. C’est Bilal qui est avec nous, qui a envoyé ces deux pythons avec l’aide des rangers’ » relate Dominique Mensah.
Malgré les témoignages sur l’implication de Bilal Hallal dans l’arrivée des membres de la Rainbow Family, il campe sur sa position en ce qui concerne la prise en charge de ces touristes. « Comme je vous l’ai dit plus haut, ces touristes ne sont ni gérés par la Roots Wild Foundation, ni par ma personne et sont tous venus à titre privé ». Toutefois, sur la présence des forces de l’ordre à Kounouko, celui qui prétend ne pas être impliqué dans l’organisation devient du coup, concerné par le sort de ces naturalistes. « Vous imaginez bien qu’il est obligatoire d’organiser un dispositif de sécurité et médical pour tout rassemblement de personnes ».
Contrairement aux affirmations de Bilal Hallal, il n’y avait aucun dispositif médical prévu dans cette zone reculée, ce village sans électricité et sans la moindre structure sanitaire. Preuve de l’absence de toute prise en charge médicale, l’un des touristes – un allemand de 29 ans – a perdu la vie le 9 novembre 2024 à 14 h 28 à son arrivée à l’hôpital de San Pédro. Selon les informations que nous avons pu recueillir, l’homme serait décédé d’un paludisme. Ce décès n’a fait l’objet d’aucune communication comme s’il y avait une volonté inavouée de cacher ce drame.
Après la diffusion sur Micro Libre de la version vidéo de cette enquête, qui a indigné de nombreux ivoirien, les agents des forces de l’ordre présents à Kounouko pour assurer la sécurité des nudistes ont discrètement quitté le village le 4 décembre 2024. Comment peut-on expliquer cette présence des agents des forces de l’ordre sur un site abritant des nudistes ?
La question mérite d’être posée puisque dans la nuit de samedi à dimanche 15 septembre, à l’occasion de la célébration officielle du Maouloud 2024 qui commémore la naissance du prophète de l’islam Mohammad (Paix et Salut sur lui), le général Vagondo Diomandé, ministre ivoirien de l’intérieur et de la Sécurité a martelé qu’en « aucune façon, le gouvernement ivoirien avec à sa tête le président Alassane Ouattara n’encourage le phénomène dit des Woubi, c’est-à-dire des homosexuels et autres transgenres ». Le président Alassane Ouattara était témoin de ces propos.
Le patron de l’administration du territoire qui condamne en pleine mosquée l’homosexualité et la dépravation des mœurs ignore-t-il que ses hommes outrepassent son autorité et celle de Dieu pour protéger des nudistes ? La question a été posée en plein Conseil des ministres par un journaliste et la réponse du porte-parole du gouvernement en dit long sur les dessous troubles de la présence de ces nudistes dans la forêt classée de Monogaga.
En attendant que le ministre en charge de l’administration du territoire puisse faire la lumière sur cette affaire de mœurs, c’est aujourd’hui le peuple Winnin qui est humilié…mais à qui le tour demain ? Allons nous voir des nudistes dans une forêt classée ou sacrée à Kong, dans une forêt dédiée au Poro en pays sénoufo ou cohabiter avec la forêt du Goli à Béoumi ?
Alain Ahimou, Ebony T. Christian & Anderson Diédri