Economie

Fuite du cacao au Ghana : vers une solution durable ?

L’épineuse question de la fuite du cacao ivoirien vers le Ghana reste d’actualité malgré toutes les mesures déployées par le Gouvernement ivoirien pour faire face à ce fléau. Pourtant, en ce début d’année 2018, l’espoir semble permis grâce aux accords signés entre la Côte d’Ivoire et le Ghana.

Le cacao c’est la richesse de la Côte d’Ivoire et sans cette matière première agricole, il serait bien difficile de parler de développement économique dans ce pays. Avec 1.200.000 tonnes produits chaque année, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao. C’est une matière première qui représente à elle seule 40% des recettes d’exportation et contribue pour 10% à la formation du PIB. 600.000 actifs constituent le corps des producteurs et leurs exploitations vont vivre environ 6.000.000 de personnes.

Le dynamisme de ce secteur agricole ne voile pourtant pas les importants problèmes qui gangrènent la filière. La chute des prix sur les marchés mondiaux, la fuite des fèves vers les pays voisins, le travail des enfants, la déforestation et l’occupation illégale des forêts classées, la corruption et les prix bord champ non respectés par les acheteurs véreux sont des problèmes omniprésents dans cette filière. En ce qui concerne la fuite du cacao vers les pays limitrophes, deux facettes de ce fléau existent.

La fuite du cacao liée à la crise ivoirienne et celle liée au prix bord champ. Concernant la première facette citée, elle était d’actualité durant 10 ans. La rébellion des Forces Nouvelles (FN) a contrôlé le nord de la Côte d’Ivoire et une partie de l’ouest du territoire riche en plantations de cacao. Le fruit de ces plantations échappant au contrôle du pouvoir central, les com-zone et autres seigneurs de guerre ont pillé et rapatrié les fèves vers le Burkina Faso qui sans posséder un seul pied de cacaoyer est devenu par le plus grand des miracles pays exportateur de cacao !

L’autre facette de la fuite du cacao, celle-ci quasi endémique, se concentre principalement dans l’est de la Côte d’Ivoire. Dans cette partie du pays, des réseaux bien organisés font passer les matières premières agricoles comme le cacao et l’anacarde vers le Ghana où les prix garantis aux producteurs sont plus attractifs. Les instances de régulation de la filière cacao en Côte d’Ivoire estiment à un peu plus de 350.000 tonnes la quantité de cacao qui passe chaque année la frontière soit autour d’un cinquième de la production nationale. Une perte énorme pour la filière et le pays tout entier.

Les campagnes de sensibilisation des coopératives agricoles et les appels au civisme du ministère de l’agriculture n’ont pas été entendus par de nombreux paysans. Les réseaux de passeurs et autres trafiquants sont devenus si puissants dans l’est de la Côte d’Ivoire que le Gouvernement a été obligé de déployer des militaires pour sécuriser la frontière et freiner la fuite du cacao. Les éléments du bataillon mobile de Bondoukou patrouillent le long de la frontière ivoiro-ghanéenne depuis le 1er décembre 2017, notamment sur les pistes pour empêcher les passeurs d’opérer. Cette militarisation de la lutte fait suite au rapport de la direction régionale du Conseil Café-Cacao de la région de l’Indénié-Djuablin indiquant des complicités et des craintes au sein des comités villageois.

Ces comités installés dans les localités rurales pour lutter contre la fuite du cacao ont du mal à agir. Peuvent-ils réellement décourager les trafiquants ? Non, dans la mesure où un nombre important de paysans est attiré par les prix bord champ plus attractifs au Ghana.

« J’ai été interpellé récemment par le Gouvernement sur la fuite du cacao vers le Ghana. Ce phénomène que nous pensions avoir réussi à circonscrire, sévit à nouveau dans notre département » s’inquiétait le préfet de la région de l’Indénié-Djuablin en mars 2017.

Des milliers de tonne de cacao passent illégalement la frontière ivoirienne chaque année

Mais pour les producteurs de la région, le Gouvernement semble s’attarder sur tout sauf le fond du problème. « Le cacao ivoirien continuera de finir sur le marché au Ghana aussi longtemps que le Gouvernement va nous proposer des prix en dessous de ceux qu’offre le Ghana. C’est le même cacao et il n’y a qu’une ‘petite’ frontière qui nous sépare. Mais pourquoi des prix aussi différents ? » s’interroge un producteur basé à Agnibilékro que nous avons pu joindre par téléphone.

La Côte d’Ivoire peut donc mettre fin à la fuite de son cacao vers le Ghana et la solution réside dans le respect du prix bord champ. En assurant les mêmes prix qu’aux producteurs ghanéens, le Gouvernement ivoirien pourrait stopper tout net la fuite de son cacao. Pour le moment, la Côte d’Ivoire ne parle pas de revalorisation du prix bord champ garanti aux producteurs ivoiriens. Il est question dans un premier temps « d’harmonisation de politique commerciale ».

« Nous avons convenu d’harmoniser nos politiques de commercialisation, de manière à freiner la fuite du cacao dans un sens comme dans l’autre. Quand nous aurons désormais une politique harmonisée, nous aurons des prix aux producteurs qui vont s’avoisiner et ce phénomène va prendre fin » indique Mamadou Sangafowa Coulibaly, le ministre ivoirien de l’agriculture.

Une harmonisation des prix serait moins préjudiciable pour les deux pays mais qui de la Côte d’Ivoire ou du Ghana devra faire des efforts pour permettre ce ‘prix garanti’ sous régional ? En effet deux systèmes se font face dans cette ambition d’harmonisation des politiques commerciales notamment au niveau du cacao. D’un côté le Ghana, pays où les paysans sont habitués à des prix très attractifs. Au pays des black stars, le producteur de cacao s’en sort car le système lui redonne le pouvoir économique après son labeur. Peut-on en dire de même pour la Côte d’Ivoire ? Au pays des éléphants, être producteur de cacao rime trop souvent avec misère. Le fruit de la cacao-culture profite aux acheteurs véreux et aux gros intermédiaires de la filière proches des familles régnantes d’Abidjan.

Il s’agit aussi et surtout de deux systèmes qui n’ont pas la même appréciation – ou mieux – la même lecture des offres du marché mondial. Lors de la récente chute vertigineuse du prix du kilogramme de cacao, contre toute attente, le Ghana a décidé de maintenir le prix du kilogramme à 960 f CFA et la tonne à 1.735 dollars (environ 1 million de f CFA). Cette décision représente une perte annuelle estimée à 1.1 milliard de dollars. De l’autre côté de la frontière, la Côte d’Ivoire a revu le prix du kilogramme de cacao à la baisse autour de 700 f CFA. La tonne de fève se négociait alors autour 700.000 f CFA soit une marge inférieure de près de 25% du prix garanti par le Ghana.

Le dialogue entre les deux pays risque de buter sur plusieurs points concernant le cacao et le récent bras de fer sur le tracé de la frontière maritime ne va pas militer en faveur de la Côte d’Ivoire.

SUY Kahofi

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