Parfois, les Ivoiriens se plaignent des ordures aux odeurs pestilentes qui les envahissent dans les différents quartiers sans être enlevés, ou du moins à temps. A qui incombent cette responsabilité de rendre propre la capitale économique du pays ? Quels sont les différents acteurs qui interviennent pour le ramassage des déchets urbains ? Qui fait quoi dans ce secteur ?
Officiellement, deux types d’acteurs interviennent dans les communes d’Abidjan : les entreprises de pré-collecte et les entreprises de collecte des déchets domestiques. Mais les pré-collecteurs individuels ont réussi à s’incruster dans la chaine. Leur rôle consiste à enlever les ordures dans les domiciles et sous-quartiers directement auprès des ménages pour les déposer dans des points de collecte. C’est cette activité que fait Mamadou dans le quartier des Deux-Plateaux Macaci, dans la commune de Cocody.
Pour ce service, chaque ménage concerné débourse au moins 1000 francs Cfa par mois. Mais précise ce pré-collecteur, ce marché étant détenu par son « patron », ce dernier lui verse une rémunération mensuelle de 35 000 francs Cfa. Au moyen d’une charrette communément appelée ‘’pousse-pousse’’, Mamadou transporte chaque – sauf les dimanches – les déchets vers des bacs à ordures situés vers le ‘’Carrefour Deux-Plateaux’’, un espace contigu à Williamsville, dans la commune d’Adjamé. Mais parfois, sa tâche est allégée. Un camion-tasser de la société K&D qui sillonne le quartier récupère son chargement. Un ouf de soulagement pour lui.
Ce job de pré-collecteur individuel a pris de l’ampleur à cause de l’inaccessibilité de certains quartiers. Mais des spécialistes estiment que cette activité informelle s’est développée du fait des ménages eux-mêmes, qui sont obligés de payer en contrepartie de cette prestation. Car, expliquent-ils, il revient aux populations de sortir leurs ordures jusqu’à des points de chute pour que les entreprises commises à cette tâche prennent le relai. Les sociétés de collecte se chargent ensuite de transporter les ordures à la décharge d’Akouédo, d’une superficie de 153 hectares, créée en 1965.
Etat, mairies, entreprises : qui fait quoi ?
A Yopougon, quatre entreprises de pré-collecte viennent d’être sélectionnés à l’issue d’un appel d’offres, même si jusque-là seulement trois sociétés que sont Eida, Sygmaci, Ecica-Nede officiaient dans cette commune. Leur rôle est de récupérer les ordures auprès des ménages pour les déposer dans des coffres ou des centres de groupages. Elles font aussi le ratissage après le passage des entreprises de collecte. En plus de la pré-collecte, ces entreprises qui utilisent des tricycles et des camions bennes, s’occupent également du balayage des voies publiques, du désherbage et de l’entretien d’espaces verts. Dans la plus grande commune du district d’Abidjan, c’est un demi-milliard de francs Cfa qui est décaissé par an pour ces activités.
« La mairie a un budget de près de 500 millions par an dédié à la pré-collecte. Et pour se faire, on a divisé la commune en six zones de pré-collecte. Et ces entreprises de pré-collecte sont recrutées par appel d’offres ouvert », explique Coulibaly Bengaly, le directeur du développement humain à la mairie de Yopougon.
Quant aux entreprises de collecte, elles sont sélectionnées à l’issue d’un appel d’offres et « affectées » dans les communes par le gouvernement à travers l’Agence nationale de salubrité urbaine (Anasur). Cet organisme étatique est chargé depuis 2008 de gérer et réguler la filière des déchets en Côte d’Ivoire. Il est sous la tutelle du ministère de l’environnement. Il faut le préciser, avant l’Anasur, cette prérogative était du ressort du district et des communes. Ces opérateurs de collecte sont de deux types dans les communes. Il y a celles qui ont les véhicules à coffres qui viennent retirer ces bacs à ordures déposés à certains endroits avec des camions-bennes. Trois personnes travaillent généralement sur les camions. Ensuite, il y a celles qui ont les tassers, ces grands camions qui klaxonnent à leur passage pour inviter les ménages à sortir leurs ordures.
Ces derniers tournent avec au moins quatre personnes : le chauffeur et des éboueurs. C’est un secret de polichinelle : les ordures sont souvent enlevées par les opérateurs les matins, au moment où les populations se rendent au travail, ou dans la journée. Alors que selon leurs cahiers de charges, 75% de la collecte doit se faire la pendant la nuit. Ces horaires posent problème d’autant que ces camions créent souvent des obstructions sur les voies aux heures de pointe. Lorsqu’ils ne sont pas couverts par les filets, les bennes déversent les ordures le long de leur trajet jusqu’à la décharge.
La décharge d’Akouédo ne répond plus aux normes
Dans la commune du maire Gilbert Kafana Koné, opèrent deux entreprises à Tasser (LVS et Villers) et deux entreprises à coffres (Ets Coulibaly et Moya). Ces opérateurs, qui peuvent intervenir dans plusieurs communes à la fois, sont chargés de prendre les déchets dans les points de collecte pour les déverser sur le quai de la décharge d’Akouédo. Une fois à la porte de la décharge, c’est un parcours du combattant pour y accéder. A l’entrée, il y a un poste de contrôle. A cet endroit, explique Serge Méa, convoyeur à ETS Coulibaly, il faut présenter la feuille de route du camion de ramassage sur laquelle il est mentionné le nom de la société, le nom du chauffeur, l’immatriculation du véhicule, la commune de provenance et le tonnage.
Ensuite, au poste de pesage, il faut également déclarer le contenu du chargement qui est généralement de deux types : les déchets verts (feuilles d’arbres, herbes, etc.) et les ordures ménagères. Ce processus prend plusieurs minutes. Ce qui entraine de longues files à l’entrée et à la sortie de la décharge. Passés ces formalités, les camions de ramassage empruntent une voie – étroite et boueuse à la moindre pluie –pour aller déverser les ordures sur le quai de la décharge où souvent un agent de l’Anasur procède aussi à des vérifications de la feuille de route. Sur le quai, la société Pisa-Impex s’occupe du compactage des ordures avec des caterpillars et des engins compacteurs. C’est en moyenne 3 500 tonnes de déchets qui atterrissent à Akouédo chaque jour. Mais tout le monde s’accorde à reconnaitre que la décharge ne répond plus aux normes.
Sans oublier qu’elle représente une menace pour la santé des populations qui vivent à proximité à cause des odeurs peu agréables qui envahissent de manière permanente le village d’Akouédo.
« La décharge d’Akouédo est une décharge aujourd’hui qui est dépassée. C’est même une décharge sauvage. Raison pour laquelle je pense que le ministère et tout le monde s’activent pour préparer le déménagement afin de quitter Akouédo pour des infrastructures modernes et plus adaptées », souligne Dr Soumahoro Youssouf, président de l’Association interprofessionnelle des opérateurs de la filière déchets solides.
En tout cas, à Yopougon, les responsables de la commune tentent de s’assurer que les ordures sont régulièrement et efficacement collectées. Pour ce faire, un comité de suivi a été mis en place. Baptisé Comité local de salubrité, ce cadre se réunit chaque mercredi à la marie. Ce comité regroupe la marie (qui assure la présidence), l’Anasur, le Bnetd (Bureau national d’études techniques et de développement), toutes les entreprises de collecte et de pré-collecte, la police du district. Les réunions hebdomadaires sont ouvertes à la population qui peut venir poser directement des préoccupations concernant la salubrité. Si le service n’est pas satisfaisant, les entreprises concernées sont interpellées. Quant aux prestations des opérateurs de pré-collecte, la mairie assure qu’elles sont régulièrement payées.
« Depuis que le ministre Kafana est là, en tout cas, il n’y a pas de dette. C’est payer directement aux pré-collecteurs. Les collecteurs, c’est l’Etat qui les paye », fait observer Coulibaly Bengaly.
Une dette qui plombe le secteur déchet
Quelques 12 sociétés exercent dans le secteur déchet au niveau du district d’Abidjan. Elles pourraient atteindre 15 à 20 si on y ajoute les villes de l’intérieur du pays. La dette de l’Etat envers ces entreprises de collecte reste élevée. « Je pense que sommes à une dizaine de milliards que l’Etat doit aux opérateurs au jour d’aujourd’hui », note Dr Soumahoro Youssouf, président de l’Association interprofessionnelle des opérateurs de la filière déchets solides. La tonne d’ordures étant comprise entre 8 000 et 10 000 francs Cfa, selon le type de camion utilisé pour le ramassage.
« Avec les mairies dans la pré-collecte c’est plus grave parce que vous pouvez vous retrouver avec un à deux ans de retard. Ce qui fait que les dames qui font le balayage dans les rues par exemple sont confrontées à de gros retard de paiement [de leurs salaires] », fait-il remarquer.
Résultat : le secteur des déchets urbains est confronté à un sérieux problème de financement. Ce qui a un impact sur le fonctionnement des entreprises. Plusieurs éboueurs n’ont pas de cache-nez, ni de bottes et de gants. Ils bravent quotidiennement les ordures avec les moyens précaires. Certains que nous avons interrogés affirment que leurs employeurs ne leur fournissent pas ces équipements de travail, ou pas régulièrement. Ces entreprises ont-elles le choix ? Elles qui ploient sous le coût de la dette puisque les prestations ne sont payées à temps. Et les salaires et rémunérations des employés et travailleurs ne sont pas toujours versés.
Roger Eblin travaille pour l’entreprise Moya à Yopougon-Selmer. Sa tâche consiste à l’entretien de coffres à ordures. Il s’occupe du balayage et du ramassage des déchets déversés au sol pour les mettre dans les bacs. Il précise que les camions-bennes qui viennent les enlever font quatre tours par jour à la décharge d’Akouédo : deux la journée, deux la nuit. Mais ce jeune homme, qui travaille quotidiennement six jours sur sept de 6 heures à 19 heures, assure qu’il n’a pas reçu depuis plusieurs mois sa paie promise.
« En temps normal, l’entreprise devait nous payer un salaire chaque fin du mois. Elle nous a promis 20 000 francs par mois depuis février-mars passé. Donc ça fait plus d’un an qu’on ne reçoit pas de salaire », regrette-t-il. Contactés, certains responsables de la société n’ont pas souhaité réagir. Face aux difficultés, Roger s’est reconverti en collecteurs de déchets commercialisables. Avec son compagnon, il fait le tri des sachets et bidons qu’il vend chaque jour à partir de 16 heures auprès de commerçantes.
« Pour les bidons, je pèse les soirs à 50 francs le kilogramme, les sachets aussi à 50 francs le kilogramme (…) Je trie aussi les métaux (fer, aluminium) que je vends aux ferrailleurs. Par jour, souvent je peux avoir 3000, voire 3500 francs », détaille-t-il.
Si les entreprises du secteur des déchets sont confrontées à d’énormes difficultés, il n’empêche que les populations viennent en rajouter à cause de leur indiscipline. Car c’est courant de voir à travers la ville d’Abidjan des dépôts sauvages d’ordures ou le déversement dans des caniveaux, créant en plus de l’insalubrité, des problèmes d’assainissement.
Anderson Diédri
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