Guérir l’Afrique des atrocités de masse
Les atrocités de masse sont devenues ces 30 dernières années le lot quotidien de plusieurs populations en Afrique et les situations pour l’étayer ne manquent pas. Pourtant certains spécialistes estiment qu’il ne s’agit pas d’une fatalité car l’Afrique peut réellement s’en débarrasser.
Juillet 1990, 600 réfugiés tués par les AFL Armed Forces of Liberia dans une église luthérienne à Monrovia. Janvier 1999, siège de Freetown en Sierra Leone, 6.000 morts. Juillet 2012, attaque du camp de Nahibly en Côte d’Ivoire, 230 morts. Avril 2013, Bangui en Centrafrique, 83 morts attribué à la rébellion Seleka en moins d’une semaine. Octobre 2015 des soldats gouvernementaux sud-soudanais tuent plus de 60 hommes et enfants en les laissant suffoquer dans un conteneur de marchandises placé en plein soleil : seul garçon, âgé de 8 ans, aurait survécu au massacre !
Toutes ces situations décrites plus haut et qui sont des faits réels et documentés par des organisations nationales et internationales comme Amnesty International, International Crisis Group (ICG) ou le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme décrivent comment les hommes en armes, des communautés et autres milices se livrent à toutes sortes d’atrocités contre des populations sans défense lors des conflits.
C’est bien le caractère odieux de ces crimes qui en font des situation hélas tristement médiatisées. Pratique de la mutilation (amputation de mains, bras et jambes), viol systématique des femmes et même des fillettes, torture sur des groupes de civils…des actes pratiqués avec des objets comme des haches, des baïonnettes, des machettes et des couteaux pour sans doute voir la victime perdre toute son humanité avant de soupirer.
La guerre au Liberia et ses décapitations, celle en Sierra Leone et ses amputations, les massacres de l’ouest Ivoirien ou plus proche de nous boko haram et ses crimes religieux au Nigéria…voici autant de situations aux images insoutenables que l’on regroupe sous le vocable d’atrocités de masse. Eric Mouafo, chercheur à l’Institut Modus Operendi de Grenoble rappelle que « les atrocités de masse peuvent être définies comme des tueries ou des massacres sur des groupes cibles ou des populations de façon générale ».
Le crime revêt à la limite un caractère sadique ou cruel pour marquer au fer les esprits. Le bourreau ne tue plus simplement mais il viole, il égorge sauvagement, il éventre, il ampute, il dépèce les corps pour horrifier le crime ! Et ces crimes portent sur des centaines voire des milliers d’individus à l’image du génocide Rwandais. Des groupes socio-ethniques ou religieux sont pourchassés, violentés et tués du fait qu’ils n’épousent pas une logique sociale ou même une idéologie calquée sur la religion, l’histoire ou l’ethnie.
Aux sources de la barbarie
Les atrocités de masse peuvent être commises par différents acteurs. Il peut s’agir de groupes ethniques ou socio-professionnels, d’armées régulières, de bandes armées non officiels (rébellion, milice, groupe d’auto-défense…) ou d’organisations se réclamant d’une religion donnée. Les situations de tensions politiques ou les périodes électorales, les guerres et les attaques terroristes favorisent les atrocités de masse pourtant celles-ci peuvent être évitées.
Selon Omolara Balogun, la chargée de programme plaidoyer à la West Africa Civil Society Institute « des signes avant-coureur annoncent généralement que des crimes de masse seront commis ». Ces signes sont principalement les discours de la haine et de la xénophobie lancés par des leaders d’opinion, les idéologies religieuses détournées à des fins partisanes, les haines tribales amplifiées par des responsables communautaires ou le refus pour un politicien de reconnaitre sa défaite après un scrutin ou de contester par des actions violentes les résultats d’une élection.
Cette dernière situation trouve des illustrations parfaites dans les contextes électoraux kenyan et ivoirien avec des crises post-électorales qui auront entraîné la mort de centaine de personne. Au niveau des appels à la haine, « les médias qui les relaient sont tout aussi complices des crimes qui en découlent » indique le journaliste ivoirien Zio Moussa, président de l’OLPED (Observatoire de la liberté de la presse, de l’éthique et de la déontologie). Le rôle de Radio 1000 collines dans le génocide rwandais est encore présent dans les esprits.
Les mécanismes de prévention
Les signes avant-coureurs des atrocités de masse étant connus, il est donc possible de les prévenir. La meilleure manière de les freiner est de mettre en place des mécanismes d’alerte précoce qui permettent de détecter les discours de la haine ou tout autre dérive visant à monter un groupe ethnique, social, religieux ou politique contre un autre. Selon Safia Moulaye de l’ONG Al Qarama du Mali (nord), « ce travail de veille et d’alerte précoce devrait être celui des organisations de la société civile (OSC) mais bien trop souvent elles n’y sont pas parvenues ».
La montée en puissance de nouvelles menaces comme le terrorisme oblige donc les acteurs chargés de la veille à redoubler de vigilance et à mener le plaidoyer auprès de toutes les composantes de la société. Pour y arriver, François Fadoua du WANEP-Guinée (West Africa Network for Peacebuilding) propose deux stratégies : « la sensibilisation et le monitoring ». La sensibilisation est indispensable car elle permet d’impliquer les populations à la base dans les stratégies de prévention.
« Nous invitons les populations à refuser le discours basé sur la haine tribale ou la xénophobie, l’interprétation partisane des enseignements religieux ou des appels voilés à la haine généralement basés sur des frustrations. Nous insistons sur la nécessité pour les populations de dénoncer auprès des OSC tout acte ou discours visant à promouvoir la violence au sein d’une communauté » nous explique François Fadoua.
L’acteur des droits de l’homme relève que dans certains pays, les contextes nationaux marqués par des élections sont la porte ouverte aux violences pouvant déboucher à des atrocités de masse. Le discours politique cède la place au tribalisme et à la xénophobie. François Fadoua indique qu’à ce niveau, les populations doivent savoir analyser les propos des hommes politiques et privilégier « des programmes et discours faisant la promotion du vivre ensemble, de la bonne gouvernance et non ceux basés sur l’ethnie ou la religion ».
Le monitoring visant à prévenir les atrocités de masse est basé sur une synergie d’action et une bonne interaction entre les organisations de la société civile et les populations à la base. Car en alertant les acteurs en charge de la veille, les populations contribuent également à faire reculer le message de haine et de la violence. Reste aux autorités publiques (administratives, sécuritaires, politiques et religieuses) d’intervenir à temps pour éviter tout dérapage.
« Les OSC doivent donc collecter ces informations et les faire remonter aux décideurs afin que ceux-ci prennent les dispositions idoines pour éviter des violences pouvant aboutir à des tueries » soutient Yéo Karim de la COSOPCI (Coalition de la Société civile pour la Paix et le développement démocratique en Côte d’Ivoire).
Le Gouvernement pourra aisément décider de faire intervenir un médiateur communautaire pour calmer les esprits ou le cas échéant l’armée pour rétablir l’ordre.
Mettre un terme à l’impunité
Il est certes indispensable de prévenir les atrocités de masse mais il est souhaitable d’apurer le passif accumulé durant toutes ces années de tension et de crises sur le continent. Cela est un impératif car l’Afrique ne pourra pas construire durablement un climat de paix et de sécurité si elle ne tourne pas la page de cette impunité quasi chronique. Il faut que « les auteurs de crimes soient poursuivis et condamnés » estime Eric-Aimé Sémien président de l’Observatoire Ivoirien des droits de l’homme (OIDH).
En effet, après de nombreuses situations de violence, de guerre civile, de massacres ciblés et même de génocide, les auteurs de ces crimes ne sont nullement inquiétés. Il n’est pas rare en Afrique de voir d’anciens tortionnaires, chefs d’escadron ayant ordonnés des massacres et des génocidaires être bombardés haut-gradés de l’armée ou se promener librement aux frais du contribuable. Cette situation ne fait qu’accentuer la colère des victimes et ruiner tout espoir de réconciliation après les graves blessures laissées par des années de crise.
« C’est à ce moment que la justice doit servir la cause de la réconciliation en toute impartialité et crédibilité. Les auteurs de crimes doivent être poursuivis dans le respect de leurs droits aussi bien par les juridictions nationales qu’Internationales. C’est seulement de cette façon que la justice pourra aider à la recherche de la vérité, faciliter la réconciliation et restaurer la dignité des victimes » soutient Eric-Aimé Sémien.
L’action de la justice peut dans certains cas prendre du temps mais cela est avant tout lié à plusieurs facteurs. Il s’agit entre autres de la complexité des procédures, des enquêtes et des crimes imputés aux prévenus, de la protection politique ou juridique accordées à certains bourreaux, du manque de coopération entre les juridictions nationales et internationales. Eric Mouafo, chercheur à l’Institut Modus Operendi de Grenoble note que la justice peut ne pas aller au rythme des victimes mais son action – si elle est bien ficelée – conduit toujours à des résultats qui consolident la paix et l’Etat de droit pour longtemps.
La preuve palpable avec le procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré à Dakar. Après une longue procédure, des victimes et ayants droit à la limite du découragement, d’interminables interprétations de textes juridiques nationaux et internationaux, celui que certaines victimes n’hésitent pas à qualifier de dictateur est reconnu coupable de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et de torture par une Chambre extraordinaire africaine, mise en place par l’UA, au Sénégal le 30 mai 2016. Ceci est sans doute la preuve que la lutte contre l’impunité et la promotion de la justice pour les Africains peut être faites par les Africains.
Les atrocités de masse sont une réalité. C’est la raison pour laquelle il est important pour les différents pays d’Afrique et les instances régionales comme l’Union Africaine, la CEDEAO, la CEMAC…d’activer des mécanismes d’alerte précoce. Arpitha Peteru, coordinatrice des programmes de l’Organisation The Nexus Fund fait remarquer qu’une « approche régionale de la lutte pourrait permettre d’avoir de meilleurs résultats ». Cela est d’autant vrai car chaque conflit qui touche un pays membre d’un espace communautaire a des répercussions sur les pays frontaliers.
SUY Kahofi