Environnement

IDEF tire la sonnette d’alarme sur l’approvisionnement du cacao venant du Liberia

L’association Initiatives pour le Développement communautaire et la conservation de la Forêt (IDEF) a publié son 5ème rapport d’observation indépendante consacrée à la filière cacao. Ce nouveau rapport publié lundi met en lumière deux fléaux dans l’ouest ivoirien : l’exode des producteurs de cacao ivoirien vers les forêts du Libéria et l’entrée sur le marché du cacao ivoirien de production issue de la déforestation au Libéria.

L’ONG environnementale ivoirienne a mené ses investigations sur une période de six mois. La cible de cette recherche est un groupe de villages situés dans le sud-est du Libéria à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Libéria. Si ce groupe de villages constitue l’épicentre de la déforestation en lien avec la cacaoculture au Libéria, IDEF fait remarquer dans son rapport que ce phénomène est courant le long de la frontière entre ces deux pays d’Afrique de l’Ouest.

Carte de la zone d’observation de terrain, réalisée à partir des données collectées lors de la mission du 20 au 29 janvier 2024, IDEF

Rien qu’en 2022, le Liberia a perdu environ 150.000 hectares de forêt naturelle, selon l’organisation de protection de la nature Global Forest Watch. L’exploitation des forêts pour les besoins de la production du cacao est un facteur qui aggrave cette perte du couvert forestier et elle est favorisée par l’arrivée massive des producteurs de cacao ivoirien. IDEF a notamment constaté que les agriculteurs (migrants venus de la Côte d’Ivoire) ont commencé à planter du cacao sur des terres louées à des villageois libériens depuis 2018.

« Il y a un phénomène d’exode (déplacement) de producteurs de cacao de la Côte d’Ivoire vers le Libéria » souligne le rapport qui explique que « lors de la réunion publique organisée par la mission d’observation indépendante dans le village de Yargbeken, le chef du village a affirmé que depuis 2020, son village a accueilli et donné des parcelles forestières à précisément 48 personnes venues de la Côte d’Ivoire ». Rien que pour les trois villages ciblés par l’enquête d’IDEF, les communautés donnent le chiffre de 183 producteurs accueillis dont environ 60 uniquement pour la période de décembre 2023 à janvier 2024.

« C’est un exode des producteurs de cacao qui s’accélère et qui va continuer à s’accélérer », a déclaré Traoré Bakary, directeur exécutif de l’ONG IDEF.

Si les premiers producteurs sont arrivés au Libéria autour de 2018, on peut donc estimer qu’il s’agit d’une longue pratique qui permet aujourd’hui de produire du cacao au Libéria et de le faire entrer illégalement dans la chaîne de commercialisation ivoirienne. L’équipe d’enquête déployée par IDEF a pu constater qu’il existe deux types de plantations : celles qui sont déjà en production et celles qui sont en phase de développement.

Carte réalisée grâce aux données collectées sur le terrain du 20 au 29 janvier 2024, IDEF (mouvement du cacao du Libéria à la Côte d’Ivoire)

A l’échelle internationale, les efforts et initiatives de lutte contre la déforestation liées à la cacaoculture ainsi que la traçabilité des chaînes d’approvisionnement dans les principaux pays exportateurs de cacao se sont multipliés. Le 5ème rapport d’observation indépendante d’IDEF consacrée à la filière cacao qui met en lumière l’exode des producteurs de cacao ivoirien et la déforestation au Libéria montre que cette pratique compromet les différentes législations en matière de déforestation.

C’est la raison pour laquelle, IDEF appelle les différents acteurs à travailler pour que l’exode des producteurs ivoiriens vers le Libéria puisse être endigué. « En réalité, les contrôles sur le terrain sont pratiquement inexistants et en l’absence d’une surveillance rigoureuse, ce cacao arrivera sur le marché européen » a fait savoir Traoré Bakary.

Les défrichements généralisés liés au cacao risquent de conduire le Libéria sur une trajectoire irréversible : une perte de son couvert forestier comme la Côte d’Ivoire le connait aujourd’hui. Le chiffre clé concernant la forêt ivoirienne est un pourcentage inquiétant. Les terres qui sont classifiées comme forêt représentent 9,2% du territoire soit 2,97 millions d’hectares (chiffre IFFN 2021).

En lançant à Bruxelles le 22 avril les résultats de son rapport, l’ONG IDEF a voulu aussi montrer que du cacao exporté vers l’Union Européenne et estampillé « produit en côte d’Ivoire » provient en fait d’un autre pays, le Libéria. L’appel est donc lancé aux différents acteurs de la filière cacao et surtout aux autorités libériennes et ivoiriennes. Les autorités ivoiriennes sont par exemple invitées à coopérer avec l’Union européenne pour mettre en place des moyens de contrôles robustes permettant d’identifier le cacao issu de défrichement après l’année de référence du RDUE (31 décembre 2020).

Quant aux autorités libériennes, elles sont invitées à travailler avec les autorités ivoiriennes pour lutter contre la contrebande du cacao de part et d’autre de la frontière et bénéficier aussi de l’expérience du pays en matière d’organisation du système de commercialisation, des acteurs locaux (mouvement coopératif), gestion foncière, de sorte à s’inspirer, en tirer les leçons, pour organiser sa filière cacao.

La rédaction

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