Société

Immigration clandestine : la Côte d’Ivoire dans le rouge

Dans un passé récent, la Côte d’Ivoire ne faisait pas parler d’elle lorsque la question de l’immigration irrégulière était évoquée. Hélas, ces dix (10) dernières années, les jeunes ivoiriens tentent de plus en plus de rallier l’Europe par des voies non officielles.

L’immigration irrégulière est devenue pour la Côte d’Ivoire un véritable fléau et le dire n’est pas une simple vue de l’esprit. En effet, le pays est aujourd’hui un véritable « exportateur » de jeunes à la recherche d’une vie meilleure sur le vieux continent. L’analyse récente des données concernant les arrivées à Lampedusa (Italie) fait état de 71.000 personnes sur la période de janvier à juin 2016. Selon ces chiffres rendus publics par la Direction Générale des Ivoiriens de l’Extérieur (DGIE), la Côte d’Ivoire est passée de la 10ème à la 4ème position en ce qui qui concerne les pays d’origine des migrants. La Côte d’Ivoire occupe cette place très peu reluisante avec 7% de l’effectif total des migrants clandestins enregistrés soit 4.970 arrivées. La Côte d’Ivoire vient ainsi après le Nigéria (15%), l’Erythrée (13%), la Gambie (8%), et partage ce triste record avec la Guinée (7%) détrônant des pays comme le soudan (6%), la Somalie (6%), le Sénégal (6%) ou encore le Mali (5%) !

Si de plus en plus de jeunes ivoiriens partent vers l’Europe, c’est bien parce que la Côte d’Ivoire compte aujourd’hui de nombreux passeurs et de réseaux de passeurs très organisés. Ces réseaux sont si efficaces que des migrants viennent d’Afrique centrale pour bénéficier de leurs services. La filière la plus juteuse et la plus utilisée au départ de la Côte d’Ivoire est le trajet Daloa – Tripoli via Agadez (Niger). La ville de Daloa, capitale de la région du Haut-Sassandra dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire est le point de départ de nombreux migrants clandestins qui rêvent de rallier l’Europe depuis les côtes libyennes. Les volontaires au départ avancent une raison fondamentale qui les motive à partir : le manque d’emploi et de perspective d’insertion socio-économique. Au-delà, partir « derrière l’eau » (Europe) devient de plus en plus un véritable phénomène de mode nous explique Soro Mamadou le président de l’Union de la jeunesse communale de Daloa.

La fièvre du départ gagne les cœurs et il ne s’agit pas seulement des jeunes démunis ou issus des quartiers défavorisés. Des salariés et fonctionnaires sont prêts à investir toutes leurs économies pour financer leurs voyages. Les autres ont le choix entre le vol, l’endettement ou le soutient de leurs familles pour immigrer. En effet, des parents sont prêts à s’endetter pour financer le périlleux voyage de leurs enfants. Un voyage à l’issue incertaine dont le billet en aller simple oscille entre 800.000 (1200 €) et 1.000.000 f CFA (1500 €).

« C’est une véritable rivalité qui s’installe entre les familles. Si l’enfant du voisin a pu regagner l’Espagne ou l’Italie et qu’il ramène de l’argent à ses parents alors il faut bien que mon fils arrive aussi à passer la méditerranée. C’est malheureusement ce sentiment qui habite de nombreux parents » se désole Traoré Idriss, le directeur de Radio Tchrato (radio communautaire de Daloa).

Le professionnel des médias fait remarquer que des cérémonies de bénédiction et des sacrifices pour la réussite du voyage clandestin sont organisés avant le départ des migrants. Pourtant toutes les odyssées clandestines vers Tripoli ne se terminent pas de la meilleure des manières. Certains jeunes – et ils sont nombreux – perdent la vie dans le désert du Sahara ou en mer !

Koné Mamadou fait partie de ceux qui ont échoué sur la route clandestine qui mène à l’Europe. Il décrit des conditions de voyage difficile dans « des véhicules de type 4 × 4 bondés de monde » se remémore la gorge noué le jeune homme.

Entre paiement de rançon aux bandes armées et aux gardes-frontières, la maladie et la faim…seule une poignée de volontaires au départ verra l’Italie. « Il y a trop de morts sur les sentiers périlleux qui mènent à l’Europe. J’estime que les jeunes qui donnent leurs économies aux passeurs vont creuser leur propre tombe » indique Traoré Alassane, leader d’un mouvement de jeunesse à Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire. Alassane estime qu’avec 1200 ou 1500 € un jeune assez courageux peut monter son propre commerce en lieu et place d’un voyage dont l’issue reste incertaine.

« Quand on parle d’immigration irrégulière, on ne retient que les rares voyages qui se sont soldés par un semblant de réussite en Europe. Que deviennent ces vies brisées, ces corps à la dérive dans la méditerranée ? » s’interroge Jean Eudes Kouamé étudiant à l’université de Cocody (Abidjan).

Les dangers de l’immigration irrégulière sont réels notamment la perte en vie humaine et c’est la raison pour laquelle les autorités ivoiriennes sont entrés en guerre contre ce fléau. Pour décourager les volontaires au départ, la Direction Générale des Ivoiriens de l’Extérieur (DGIE) a lancé une caravane nationale de sensibilisation autour d’un slogan : « la mer tue, le désert aussi, la Côte d’Ivoire est mieux !« . Il s’agit au cours de cette caravane de présenter les dangers de l’immigration irrégulière aux jeunes non sans prendre le soin de les écouter pour proposer des pistes de solutions aux problèmes qu’ils évoquent.

« Certains migrants clandestins qui ont sollicité l’assistance de l’Etat de Côte d’Ivoire parce qu’ils sont en détresse à l’étranger sont jeunes et même très jeunes. Nos services ont identifié des compatriotes dont l’âge oscille entre 15 et 17 ans. C’est dire combien de fois la situation est critique » nous explique Issiaka Konaté, directeur général de la DGIE.
Campagne de sensibilisation de proximité contre l’immigration irrégulière

Dans ce vaste projet de sensibilisation visant à décourager l’immigration irrégulière, la Direction Générale des Ivoiriens de l’Extérieur bénéficie du soutien de la Fondation Friedriech Neuman pour la liberté. La fondation allemande s’est engagée depuis 2014 sur la thématique de l’émigration irrégulière conformément aux missions qui sont les siennes en Côte d’Ivoire. Sophie Konaté, la chargée de programmes de la fondation nous fait comprendre que le point sur lequel il est important d’insister « est avant tout la perte en vie humaine » et surtout le mythe d’une vie meilleure en Europe.

« Si autant l’Europe est l’eldorado comme les passeurs veulent le faire croire, pourquoi n’embarquent-t-ils pas eux-mêmes sur les pirogues de fortune qu’ils proposent aux migrants ? C’est bien parce qu’ils connaissent les dangers de la traversée clandestine qu’ils ne s’y aventurent pas » indique Sophie Konaté qui invite les jeunes à refuser le choix d’une mort certaine.

Chaque jeune ivoirien qui meurt dans la méditerranée est une perte pour sa famille et son pays. Il faut donc mettre fin au départ des jeunes vers l’Europe par des voies irrégulières. Cela implique de créer les conditions pour leur épanouissement dans leur pays. Un accès égal au travail, des moyens pour promouvoir l’entrepreneuriat et l’auto-emploi à tous les niveaux. Il faut également maintenir l’élan de la sensibilisation sur les dangers de l’émigration irrégulière mais face à la montée en force des réseaux de passeurs, l’Etat doit pouvoir penser à la répression pour freiner les ardeurs de ces mains obscures qui vivent qui trafic d’êtres humains. Sur la question, Issiaka Konaté, le directeur général de la Direction Générale des Ivoiriens de l’Extérieur estime que le cadre juridique sur le trafic des êtres humains doit être revu et adapté pour réprimer l’activité des passeurs. Ces passeurs sont au demeurant des hommes qui tuent chaque année des milliers de jeunes africains.

SUY Kahofi

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