La Côte d’Ivoire à l’ère de la dématérialisation de l’offre de santé
L’Etat de Côte d’Ivoire a lancé depuis plus d’une dizaine d’années un vaste projet de digitalisation de son administration et de ses services publics. Le secteur de la santé n’est pas en reste et la volonté de dématérialiser l’offre de santé publique a pris forme en 2019 par la mise en place d’un Centre E-santé logé au sein de l’Institut National de Santé Publique de Côte d’Ivoire (INSP).
La dématérialisation de l’offre de santé publique à travers des projets de E-santé se développe un peu partout en Afrique. Sur le continent, plusieurs problèmes de santé publique persistent et l’un d’entre eux est l’accès des populations isolées aux professionnels de la santé. Le nombre de médecins, infirmiers ou sage-femmes est encore très bas par rapport à la taille de la population. A titre d’exemple, la Côte d’Ivoire compte à peine un médecin (1,6) pour 10.000 habitants selon l’OMS. A cela s’ajoute le fait que 30 % des Ivoiriens vivent à plus de 5 kilomètres d’un centre de santé. La situation se complique pour les patients quand il s’agit de pathologies nécessitant l’avis d’un spécialiste comme le diabète ou le cancer. De nombreuses zones de la Côte d’Ivoire sont encore de véritables déserts médicaux avec une inexistence d’infrastructures sanitaires et de professionnels de santé.
Pour combler ce déficit et réduire les déserts médicaux, la Côte d’Ivoire a lancé en 2017, un vaste programme dans le domaine de la santé. Une enveloppe de 887 milliards de francs CFA va servir à la construction de 22 infrastructures sanitaires et la réfection de 20 autres. L’autre stratégie pour améliorer l’offre de santé consiste à tirer un meilleur avantage des infrastructures publiques numériques (IPN) pour développer la E-santé. C’est la mission assignée au Centre E-santé de l’Institut National de Santé Publique (INSP) lancé en 2019 avec l’appui de partenaires comme l’Organisation mondiale de la santé, la Banque mondiale et l’UNICEF.
« C’est un centre dédié à la dématérialisation de l’offre de santé à travers l’utilisation d’outils techniques et numériques. En l’état actuel de ses capacités, le centre est une référence dans la formation en ligne des professionnels de la santé et dans la recherche numérique pour la promotion des soins de santé primaires » nous explique Docteur Koffi Guy Roland Arnaud, médecin spécialiste en santé numérique et chef du service E-recherche du Centre E-santé.
Le personnel du Centre E-santé travaille à développer des plateformes et applications mobiles de formation qui facilitent le partage de données, de connaissances et de compétences entre professionnels de la santé. Un premier cap de la télémédecine a été franchi par la Côte d’Ivoire car les plateformes numériques permettent de former les professionnels de la santé. Ils peuvent alors profiter des espaces numériques de partage de données en ligne pour réaliser des télé-consultations et télé-conseils à distance.
« Je vous donne un exemple pratique. Un patient est reçu par un infirmier ou un médecin généraliste pour une consultation en présentielle dans un centre de santé. Une fois la consultation achevée, si le médecin estime que son diagnostic nécessite l’avis d’un spécialiste comme un oncologue ou un cardiologue, il peut se connecter sur la plateforme e-santé et demander un avis à distance. Le partage de données entre le médecin traitant et le spécialiste facilite la prise en charge du patient » détaille Docteur Koffi Guy Roland Arnaud.
Pour rendre la télémédecine, le e-learning et la téléconsultation effective, le Centre e-Santé a décentralisé ses équipements dans 15 hubs régionaux, 113 districts et 33 régions sanitaire. Du matériel de visioconférence a été installé et est effectivement utilisé par les professionnels de la santé. Ce déploiement a permis la formation d’un peu plus 53.000 personnes.
« L’objectif du Centre E-santé est d’aller plus loin en faisant basculer la Côte d’Ivoire dans l’ère de la médecine connectée pour améliorer l’offre des soins de santé. Et la meilleure manière de pratiquer la télémédecine et la téléconsultation c’est d’arriver à doter nos structures sanitaires de valises et de chariots de télémédecine connectées. L’utilisation du stéthoscope connecté, d’un otoscope connecté ou d’un glucomètre connecté vont permettre une collecte des données précises sur le patient qui peuvent être consultées à distance » décrit Docteur Tano-Ve Annick, médecin en santé publique et responsable de l’unité E-promotion des soins de santé primaire du Centre E-santé.
Le projet pilote de déploiement des valises connectées est lancé et se fera dans 10 établissements sanitaires de premier contact (ESPC) dans les districts sanitaires de Divo et Boundiali. Une fois la consultation effectuée grâce à la valise connectée, un dossier médical numérique unique est créé par le médecin en charge du premier contact avec le patient. Ce dossier médial créé avec un logiciel de télémédecine peut être simplement consulté à distance et en temps réel par un spécialiste (téléconsultant ou télé-expert) via une tablette ou un ordinateur.
L’utilisation d’outils connectés permet de collecter et conserver des informations précises relatives aux patients, limitant ainsi les erreurs liées à l’intervention de l’homme. « Les données collectées à l’instant T par le médecin sont celles effectivement transmises de façon numérique vers un serveur grâce à internet » renchérit Mme Konan Gileguy Christelle, responsable de l’unité E-technique du Centre E-santé. Elle précise que « le passage aux dispositifs médicaux connectés comme les valises ou les chariots sera une étape importante pour la mise en place du carnet de santé numérique ».
La gestion des informations numériques relatives aux patients va s’accompagner d’une formation du personnel de santé et des opérateurs de télémédecine. Il y aura également une politique de collecte et de protection des données personnelles des patients rassure Docteur Koffi Guy Roland Arnaud, médecin spécialiste en santé numérique et chef du service E-recherche du Centre E-santé. Les projets existants et ceux projetés par le Centre E-santé pour les années avenirs vont permettre à la Côte d’Ivoire de conduire à bien son Plan national de développement de la télémédecine. Les infrastructures publiques numériques (IPN) déployées dans le domaine de la santé vont aider la Côte d’Ivoire à collecter, numériser, stocker et gérer en toute sécurité les données des patients.
Cette médecine qui se dématérialise de plus en plus va aider à réduire les déserts médicaux et permettre à un plus grand nombre d’ivoiriens d’avoir un accès plus facile aux médecins spécialistes qui sont en nombre insuffisant dans plusieurs départements et villes du pays. A titre d’exemple, la Côte d’Ivoire compte 475 gynécologues, soit un ratio de 1,40 pour 10.000 habitants. Le pays n’a que 14 cancérologues médicaux ou oncologues (PNLCa 2022-2025) et moins d’une vingtaine d’endocrinologues pour plus de 24 millions d’habitants. L’utilisation des IPN pour promouvoir la E-santé est un excellent début de solution pour rapprocher les rares spécialistes des populations reculées qui ont besoin de soins.
Suy Kahofi
Article produit dans le cadre de la bourse de journalisme sur les infrastructures numériques publiques (IPN) organisée par la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest et Co-Develop.