L’approche collaborative et multisectorielle pour mieux prendre en charge les maladies tropicales négligées
Les maladies tropicales négligées (MTN) ne doivent plus l’être car elles affectent malheureusement de nombreuses communautés à travers l’Afrique. Et l’une des meilleures manières d’arriver à les prévenir et mieux les contrôler est de mettre en place des programmes de lutte basés sur l’approche collaborative et multisectorielles.
Les maladies tropicales négligées (MTN) sont un groupe de maladies qui se signalent le plus souvent dans les zones tropicales et qui affectent les populations les plus démunies. Il s’agit de maladies qui sont facilement évitables avec des gestes simples comme se laver les mains, maintenir une bonne hygiène ou boire une eau purifiée. Malheureusement, ces maladies continuent d’affecter un peu plus de 400 millions d’africains et elles sont négligées parce qu’elles ne touchent pas des populations qu’on pourrait considérer comme étant des populations importantes.
« Il s’agit de maladie qui pour beaucoup d’entre elles, ne tuent pas tout de suite mais les conséquences sur le plan sanitaire et sur le plan social sont dramatiques. Ces maladies touchent environ 1,7 milliard de personnes à travers le monde » indique Docteur Babacar Fall de l’Organisation ouest-africaine de la santé. Sur le continent africain, les maladies tropicales négligées (MTN) qui se signalent le plus sont l’ulcère de Buruli, la dengue et le chikungunya, la trypanosomiase humaine africaine, la lèpre, la filariose lymphatique, l’onchocercose, la gale et les autres ectoparasitoses, le taeniasis/cysticercose, les ascaris, le trachome…
« Cette liste n’est pas exhaustive mais comme vous pouvez le constater, il s’agit majoritairement de maladies parasitaires quand bien même nous pouvons aussi avoir des maladies causées par des virus. On peut vivre avec ces maladies pendant des années. Les conséquences sont sévères et parfois irréversibles surtout chez les enfants de moins de quinze ans. Elles peuvent affecter leur compétence motrice, leur faculté intellectuelle et mentale et même le cycle de leur croissance » détaille Docteur Babacar Fall.
Les maladies tropicales négligées ont montré leur capacité à épuiser financièrement les familles et les communautés affectées et par la suite maintenir le cycle de la pauvreté. Ces maladies qui, malheureusement, ne sont pas pris en charge sur le plan financier, ne sont pas pris en compte également par l’industrie pharmaceutique parce que touchant des populations qui n’ont pas la capacité d’acheter les médicaments. L’industrie pharmaceutique ne voit pas l’utilité d’investir dans des médicaments pour des personnes qui ne peuvent pas les acheter.
« La question des maladies tropicales négligées est constamment d’actualité mais nous avons des stratégies qui pourraient nous aider à lutter contre ces maladies et surtout à les prévenir » avance Professeur Traoré Youssouf, spécialiste de santé publique épidémiologie. L’enseignant de la Faculté de médecine d’Abidjan (Université Félix Houphouët Boigny) souligne que l’approche une seule santé (en anglais One Health) est une « approche collaborative et multisectorielle qui peut aider à aller dans le sens de l’intégration parce qu’un seul secteur ne pas lutter contre ces maladies ».
Il faut donc mettre en place des programmes de santé publique dédiés aux maladies tropicales négligées qui intègrent le secteur de l’environnement, celui de la santé humaine et les acteurs de la santé animale. A cela s’ajoute un quatrième partenaire : le secteur de l’éducation. Pour Docteur Benedict Quao, du Ghana Health Service du ministère ghanéen de la santé, « l’éducation et la sensibilisation en commençant surtout par les enfants à l’école est un moyen important pour prévenir les maladies tropicales négligées et permettre aux programmes et activités de lutte d’être durables ».
Les deux autres défis majeurs à surmonter consiste à mettre un terme à la crise du financement pour les programmes de santé dédiés aux maladies tropicales négligées et de lutter contre l’absence de médicaments pour les malades. « Selon une étude réalisée en 2022 dans le cadre du projet spécial élargi de l’OMS Afrique pour l’élimination des maladies tropicales négligées, près de 99 millions de personnes de 26 pays africains » risquaient, cette année, « de ne pas avoir accès à un traitement contre des maladies telles que la filariose lymphatique, l’onchocercose, les géohelminthiases et la schistosomiase ».
Dr Chotun Nafiisah, chef de programme des maladies endémiques et maladies tropicales négligées au CDC Afrique indique que les deux questions sont liées. Sans financement pas de médicaments pour les malades. Pour adresser ce problème, le CDC Afrique soutient une idée qui serait l’une des clés de l’indépendance sanitaire de l’Afrique. « L’un des piliers du nouvelle ordre de santé publique en Afrique que le CDC Afrique préconise pour que le continent africain puisse être autonome et puisse avoir une durabilité dans ses interventions de santé publique est justement la fabrication locale. Et lorsque nous parlons de fabrication locale c’est une fabrication sur le continent africain de nos médicaments, nos réactifs et nos équipements » souligne Dr Chotun Nafiisah.
L’autonomisation de l’Afrique dans la production des médicaments utiles à la lutte contre les maladies tropicales négligées (MTN) passe par deux axes. Si les MTN ne figurent pas dans l’agenda des grandes firmes pharmaceutiques, c’est à l’Afrique d’en faire une priorité. D’abord au niveau de la recherche pour de nouveaux remèdes et ensuite dans la production de médicaments accessibles à bas coût aux populations. Les priorités sanitaires africaines n’étant pas forcément les priorités sanitaires mondiales, c’est aux africains d’identifier leurs priorités et d’engager les moyens nécessaires pour l’atteinte de leurs objectifs.
En attendant cette autonomisation, l’heure est à l’adoption d’une approche collaborative et multisectorielle dans la lutte contre les maladies tropicales négligées pour favoriser une utilisation optimale des ressources financières, matérielles et humaines. C’est cette orientation que le Burkina Faso a choisie nous indique Appolinaire Kima, médecin de santé publique qui a travaillé dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
« Depuis les recommandations de l’OMS, nous avons décidé de mettre fin aux programmes isolés de lutte contre la lèpre, l’onchocercose ou la filariose pour mettre en place un programme nationale de lutte contre les maladies tropicales négligées avec des responsables techniques pour chaque maladie. Cela nous a permis de renforcer notre coordination de lutte mais aussi de dégager des stratégies intégrées » précise Appolinaire Kima. Il souligne que cette stratégie a permis au Bukina Faso de bénéficier de « la confiance de certains partenaires techniques et financiers, ce qui a permis de mobiliser davantage de moyens ».
Dans le combat de l’Afrique contre les maladies tropicales négligées, le continent reçoit l’appui de partenaires qui interviennent à différents niveaux. C’est le cas de la GIZ, l’agence de coopération internationale allemande qui soutient différents programmes dans plusieurs pays africains. « Notre engagement dans la lutte contre les maladies tropicales négligées s’explique par le fait que nous ne pourrons jamais atteindre l’ODD 3, qui consiste à permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge, si nous excluons certaines maladies et certains problèmes de santé publique de notre agenda. Notre souhait est donc de ne négliger personne et de ne laisser aucune maladie prospérer » soutient Dr Nicolas Watt, responsable Collaboration internationale One Health du Programme mondial de lutte contre les pandémies, la prévention et l’intervention One Health de la GIZ.
L’accès aux médicaments et traitements contre les maladies tropicales négligées est la priorité d’un autre partenaire. Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi), l’initiative pour l’accès aux médicaments et traitements contre les maladies négligées, aide les pays africains à travers des mécanismes de facilitation de contrat pour l’accès aux médicaments. « Notre organisation aide également au développement de nouveaux traitements à travers un appui à la recherche. Il s’agit ici d’un partenariat à but non lucratif qui a permis de proposer 12 nouveaux traitements contre 6 maladies potentiellement mortelles en 20 ans. Pour nous l’innovation et la recherche doivent être des leviers importants pour sauver des vies » avance convaincu Professeur Sam Kariuki, Directeur de DNDi pour l’Afrique de l’Est.
Suy Kahofi