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Le manque d’emplois et de perspectives exposent des jeunes de Kafolo Téhini aux propositions à risques

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La Côte d’Ivoire fait face depuis quelques années à plusieurs types d’attaques dont la première fut celle de Grand-Bassam en mars 2016. Ces différentes agressions se sont poursuivies dans le nord du pays notamment à Kafolo et Téhini. Cette situation a fortement impacté le quotidien des jeunes de ces localités, les exposant ainsi à l’extrémisme violent. La vulnérabilité de ces jeunes, dans un nouveau contexte sécuritaire qui secoue le nord de la Côte d’Ivoire, peut fragiliser la résilience des populations. Notre équipe de reportage a rencontré des jeunes de Kafolo et Téhini.

Ouattara Seydou, la trentaine révolue, fait partie de la jeunesse de Kafolo. Assis sous un arbre avec d’autres jeunes, ils s’adonnent au jeu de carte. Il accepte de nous raconter comment la plupart des jeunes passent les journées après les durs moments qu’a traversé le village, faute de métiers. « Aujourd’hui nous souffrons vraiment à Kafolo. Nous n’avons pas d’activités qui pourront nous aider à nous prendre en charge et scolariser nos enfants. Nous sommes livrés à nous même sans une activité réelle », a-t-il expliqué.

Pour aider les jeunes de Téhini et Kafolo à trouver du travail afin d’éviter d’être attirés par les groupes armés, l’Agence Emploi Jeune a lancé le projet de travaux à haute intensité de main d’œuvre (THIMO) dans les deux localités. A Téhini, ce sont au total cent quarante jeunes qui ont été recrutés. En ce qui concerne Kafolo, dix hommes et cinquante-trois femmes sont bénéficiaires du projet pour une durée de six mois. L’une des bénéficiaires de ce projet à Kafolo, Ouattara Maïmouna, se dit soulagée par la mise en œuvre des THIMO car au-delà de la situation sécuritaire, elle a été victime des inondations qui ont fragilisé les populations locales.

« Après les inondations, nous avons reçu de l’aide alimentaire et la somme de 30.000 F par personne. C’était juste une aide car après nous n’avons plus rien reçu. Aujourd’hui je travaille pour THIMO et je perçois directement 35.000 f par mois. Une épargne de 20.000 est conservée pour chaque travailleur. Ce montant nous sera versé dans six mois et servira à entreprendre une activité. C’est une opportunité à laquelle je m’accroche car le manque d’emploi à Kafolo a poussé ma petite sœur à se retrouver à Kong où elle exerce le travail de fille de ménage », a-t-elle affirmé.

En dépit de ce projet, plusieurs inquiétudes demeurent car il ne s’inscrit pas dans la durée. Cette situation est décrite par le porte-parole de la jeunesse de Kafolo, sall Ousmane. « Je tiens à remercier l’Etat ivoirien pour tous les efforts en faveur des jeunes de Kafolo. Maintenant c’est au niveau des activités que nous avons un véritable problème. L’arrivée du projet THIMO est un soulagement. Mais ce projet a une durée de vie de 6 mois. Nous demandons souvent ce que nous allons devenir après les six mois. Nous nous tournons vraiment vers l’Etat afin qu’une solution soit apportée pour soulager les jeunes ».

Toutes les femmes et les jeunes n’ont pas pu bénéficier des emplois THIMO

A kafolo et à Téhini, certains jeunes n’ayant pu bénéficier de projets de la part du gouvernement continuent de mener d’autres activités malsaines en vue de gagner leur vie. C’est le cas de Ouattara Sinan, un jeune chômeur à Téhini.

« Actuellement, je me débrouille dans l’orpaillage. Je sais que cette activité est dangereuse. Il y’a beaucoup de risques mais c’est ce qui me permet de faire actuellement face aux dépenses quotidiennes. Je n’ai aucune autre solution », a-t-il confié. Les activités de pêche traditionnelle ne permettent plus de gagner de l’argent. Au niveau de la pêche traditionnelle, pratiquée en grande partie par des ressortissants ghanéens à Kafolo, les problèmes sont multiples car elle ne permet plus d’avoir de gagner de l’argent. Les entraves à la pratique de la pêche sont liées à la situation sécuritaire sur le fleuve Comoé aussi bien au Burkina Faso qu’en Côte d’ivoire. Cette localité a déjà enregistré deux attaques djihadistes.

Aux vues de cette situation qui impacte financièrement des ménages, certains pêcheurs ont émis le vœu d’une reconversion en pisciculture. Mais faute de moyens financiers pour le démarrage de cette activité, certains jeunes se retrouvent sans activités réelles. « Les pêcheurs de Kafolo sont nombreux. C’est bien d’envoyer la pisciculture chez nous. Nous sommes d’accord que l’état nous aide dans ce sens. Le problème est que nous ne savons plus où pratiquer la pêche. Nous ne pouvons plus aller en amont. En bas se trouve le parc national de la Comoé. Là où nous partions auparavant, nous avons arrêté d’y aller parce que c’est là-bas que viennent les malfaiteurs. Si tu t’entêtes à aller et qu’il y’a un problème, on accusera tous les pêcheurs d’être des complices. Alors que c’est ce côté du fleuve qui nous permettait d’avoir de quoi nourrir nos familles et scolariser nos enfants. Aujourd’hui nous sommes livrés à nous-mêmes », a expliqué le jeune pêcheur de Kafolo, Ouattara Daouda.

La mauvaise compréhension des attributions de l’OIPR par les pêcheurs

L’OIPR a pour vocation de protéger le parc Comoé et non d’empêcher les activités économiques sur le fleuve

Depuis les différentes attaques perpétrées par les groupes armés dans la zone de Kafolo, certains pêcheurs nous ont indiqué que l’Office Ivoirien des Parcs et Réserves (OIPR) a adopté de nouvelles mesures afin de réduire leurs activités sur le fleuve Comoé. Une situation nouvelle qui aurait considérablement limité les activités économiques sur le fleuve. En réalité il n’en est rien. L’OIPR ne fait que veiller au respect des dispositions existantes en veillant sur les ressources naturelles. Le chef secteur de l’OIPR de Kong, le capitaine Ouattara Zié Mamadou nous explique.

« Au niveau de la protection du Parc National de la Comoé, il y’a des mesures qui sont prises pour la protection durable des ressources. Primo on a la surveillance que nous effectuons par des patrouilles pédestres. On a également la surveillance aérienne que nous assurons. On a une stratégie de surveillance que nous élaborons chaque année et toutes les activités à mener sont inscrites dans un document qu’essayons de dérouler. Nous adaptons à toutes les formes d’agression du parc que ce soit l’orpaillage, le pâturage, le braconnage, la pêche. Nous adaptons à tout. Souffrez que nous ne dévoilons pas notre stratégie de travail », a expliqué le chef secteur de l’OIPR de Kong, le Capitaine Ouattara Zié Mamadou.

A Kafolo comme à Téhini, certains jeunes, face au chômage grandissant, se disent prêts à accepter toutes sortes de propositions, pourvues que celles-ci les aident à sortir de la précarité. « Nous sommes nombreux à souscrire à des projets. Malheureusement nous n’en avons jamais bénéficié. Cela peut pousser les jeunes au gain facile. On nous dit que nous sommes dans une zone rouge. Si par exemple quelqu’un vient me proposer une remorque pour transporter leurs nourritures, je ne peux qu’accepter car nous sommes tous à la recherche d’un mieux-être », a expliqué un chauffeur contractuel à Téhini, Camara Amadou.

Selon Docteur Parfait N’goran, chercheur associé à la chaire UNESCO de bio éthique, travaillant sur l’engagement des jeunes dans l’environnement criminel et des questions de l’extrémisme violent, le manque d’activités génératrices de revenu dans les localités de Kafolo et Téhini sont de véritables vecteurs susceptibles de pousser les jeunes aux gains faciles.

« J’ai eu à conduire deux études. La première sur les signaux d’alerte précoce et puis la deuxième qui est plus récente sur la dynamique Dozo. Par rapport à la problématique des jeunes, au cours de ces études-là, les études que j’ai conduites ont parmi tant de localités visitées, Kafolo et Téhini et ce qui ressort par rapport à la situation des jeunes, c’est l’exposition des jeunes à la précarité, à la pauvreté et donc comme on le sait dans la littérature sur le mode opératoire des groupes armés terroristes, on sait que la pauvreté, la précarité, les tensions communautaires sont des fenêtres d’opportunité que ces groupes-là exploitent généralement pour pouvoir pénétrer un milieu ».

Docteur Parfait N’goran explique que les « jeunes de Kafolo et de Téhini ont vu leurs situations se détériorer avec les attaques. Il y’a beaucoup qui ont perdu les activités génératrices de revenu qu’ils menaient pour pouvoir se prendre en charge et donc avec la désarticulation des activités économiques ils sont véritablement exposés et quand les entrepreneurs de violences arrivent, ils font des offres d’argent pour pouvoir favoriser l’engagement de ces jeune ».

Des propositions aux décideurs

Les jeunes veulent un meilleur équipement pour cultiver la terre

Face au désespoir des jeunes des localités de Kafolo et Téhini, des leaders communautaires, conscients de l’exposition des jeunes à l’extrémisme violent, font des propositions aux décideurs afin de trouver des solutions idoines pour la paix et la sécurité. « Plusieurs personnalités sont passées ici à Kafolo notamment le premier ministre, le ministre de la jeunesse, le ministre de la défense. Toutes ces personnalités nous ont fait des promesses mais jusqu’à présent nous n’avons pas encore vu. Nous souhaitons que l’état aide les femmes en leur fournissant des intrants pour le maraicher. Au niveau des jeunes commerçants, que l’Etat leur octroie des prêts pour booster leurs activités », a plaidé l’adjoint au chef du village de Kafolo, Bamba Abdoulaye.

D’autres propositions ont été également faites par le vice-président de l’association des jeunes entrepreneurs du département de Téhini (AJET), Sawadogo Souleymane, toujours dans l’optique de l’amélioration des conditions de vie des populations locales. « Il faut que l’Etat mette l’accent sur la formation des jeunes à travers un système de formation adéquat avant de leur octroyer de l’argent. Une jeunesse bien formée peut mieux résister à la tentation car elle est apte à entreprendre. Il faut que l’Etat construise également des usines pour faire sortir les jeunes de Téhini du chômage ».

Les jeunes de Kafolo et Téhini attendent toujours des offres et le soutien qui leur permettront de mettre en place des activités génératrices de revenu. Cependant l’un des plus grands défis reste le respect des différentes promesses du gouvernement ivoirien pour les jeunes et les femmes de ces localités. C’est à nos décideurs de suivre de près la réalisation des projets annoncés pour les jeunes afin d’éviter les détournements et la mauvaise gestion des fonds. Le respect des engagements pris par le gouvernement ivoirien représente un pas important dans la prévention de l’extrémiste violent auquel les jeunes sont exposés.

Kouamé Ives, Dia Mamadou, Sanogo Mariam & Soro Sionfolo

Cet article s’inscrit dans le cadre du projet résilience pour la paix financé par le Peuple américain à travers l’USAID et mis en œuvre dans les zones frontalières nord de la Côte d’Ivoire.

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