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Le site de Timalah entre inquiétude et espoir d’un retour

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La région du Bounkani dans le nord-est ivoirien fait face à l’arrivée massive de populations déplacées du Burkina Faso voisin. En effet, depuis quelques années, ce pays qui partage un peu plus de 500 km de frontière avec la Côte d’Ivoire, traverse une crise sécuritaire marquée par des attaques d’hommes armés.

La crise sécuritaire que vit le Burkina Faso a poussé un nombre important de ressortissants Burkinabé à descendre vers le sud, confrontant l’Etat Ivoirien à des défis humanitaires et sécuritaires importants. Comme solution le gouvernement ivoirien a autorisé la construction de deux sites de transit à Bouna et Ouangolo. Ces deux sites visent à offrir un cadre de vie provisoire à ces demandeurs d’asile. Cependant comme cela a été le cas dans certains pays africains, les camps de réfugiés pourraient être des sites de propagation de l’extrémisme violent. C’est la situation qui se dessine plus ou moins dans la région du Bounkani.

Promiscuité, chômage, ressentiment ethnique… peuvent être des éléments déclencheurs de la radicalisation. A ce jour, le nombre de demandeurs d’asile burkinabés accueillis en Côte d’Ivoire s’élève à plus de 37.000 personnes, et cette tendance à la hausse se poursuit en raison des récentes offensives menées par l’armée burkinabè.

D’importants efforts pour la construction du site de Timalah

D’importantes ressources ont été injectées dans la construction du site de recasement des déplacés baptisé Timalah, du nom d’une rivière jouxtant les environs du site. D’une superficie de 20 hectares, ce site de transit compte 1.102 abris (maisons en terre battue), comprenant chacun deux pièces pouvant accueillir jusqu’à sept personnes. Quatre forages, notamment des pompes à motricité humaine, ont été réalisés pour assurer l’approvisionnement en eau des déplacés, ainsi que 50 blocs sanitaires. Le site bénéficie d’un éclairage par système photovoltaïque (énergie solaire) avec des plaques incorporées sur des pylônes. Ces lampadaires projecteurs sont présents aux extrémités du camp et dans les ruelles. Au total, 22 entreprises ont, en un temps record, réalisé l’ensemble des travaux, sous la supervision du Conseil national de sécurité (CNS).

« Timala dans le Bounkani tout comme Niorningué dans le Tchologo, ce sont deux sites qui sont intervenus en réponse à la problématique d’abris pour les demandeurs d’asiles. Le gouvernement a identifié deux sites pour pouvoir abriter les demandeurs d’asiles. Le gouvernement a déployé des moyens pour pouvoir construire ce site » a déclaré Guening Massama Kiliouto, chef de bureau régional du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) basé à Ferké.

Cet humanitaire salue les moyens exceptionnels déployés par la Côte d’Ivoire pour l’accueil de ces déplacés tant dans le Bounkani (Nord-Est) que dans le Tchologo (Nord), une première sur le continent africain, selon lui.

Une vue du camp de Timalah

Des réfugiés venus d’horizons divers du Burkina Faso

« Nous venons de Kohina vers la zone de Djedougou au Burkina Faso. Nous avons quitté notre village à cause des VPD, les volontaires pour la défense de la Patrie. Chaque fois qu’ils attaquaient notre village, on fuyait pour se cacher en brousse » raconte le réfugié Ismael Diallo. Barry Ali, Infirmier au Burkina Faso fait partir de ces réfugiés en quête de calme et de sécurité. « Avant qu’on ne vienne ici, nous avions subi beaucoup de traumatismes. Les bandes armées sont arrivées dans notre village situé à 9 km de Loropeni, à 5h du matin. Ils ont rassemblé les habitants sur la place publique. Ensuite, ils ont enlevé ceux qu’ils voulaient. Ils étaient autour d’une centaine » a-t-il relaté le cœur meurtri.

À leur arrivée dans le Bounkani, certains ont trouvé refuge dans des familles d’accueil, d’autre dans des abris de fortune ou des maisons de location selon leurs moyens. Les domiciles des leaders communautaires aux premières heures ont été complètement envahis. Tall Mamadou, tuteur de réfugiés à Doropo, signale que son défunt père était le responsable de la communauté Peulh dans cette commune. « Depuis 2022, nous avons commencé à recevoir les réfugiés jusqu’ en janvier 2024. Grace au soutien des parents et des autres communautés de Doropo, nous essayons de gérer la situation. Avec le recensement du HCR nous avons enregistré plus de 300 réfugiés chez nous » a rappelé Tall Mamadou.

Des maisons en terre battue de ce type accueillent les demandeurs d’asile (photo DR)

Procédure d’identification et de relocalisation des réfugiés

« A ce jour nous sommes à 37.354 personnes qui sont identifiées sur le sol ivoirien parmi lesquelles 28.000 sont enregistrées avec la biométrie pour faciliter la gestion, la programmation des interventions à leur profit » a souligné Guening Massama du HCR qui rappelle que cette opération se fait en collaboration avec la direction d’aide et d’assistance aux réfugiés et apatrides (DAARA).

Cet enregistrement est fait en prenant en compte les noms, l’âge, le sexe, le lien familial entre les membres de la famille. Un processus qui permet également d’aboutir à la relocalisation des familles. En effet le processus de relocalisation consiste à déplacer les demandeurs d’asile dans leurs localités d’accueil vers le site de Timalah. M. Guening Massama explique que les sensibilisations sont faites et les personnes volontaires pour la relocalisation sont identifiées, enregistrées et le lendemain de cette opération, les moyens Logistiques notamment les camions les bus sont mis à leur disposition pour les déplacer de là où elles vivaient vers le site de Timalah. Une fois sur le site, dirigé par la DAARA, il est procédé à l’attribution des abris.

Le traitement à Timalah n’est pas du goût de la majorité des réfugiés

Nous sommes le 24 juillet 2023, les premiers pensionnaires arrivent sur le site de Timalah, Le camp a accueilli ses premiers pensionnaires le mardi 24 juillet 2023. Il s’agit d’une cinquantaine de familles, environs 200 personnes qui étaient pour la plupart dans des familles d’accueil. Ce sont aujourd’hui 6000 hommes, femmes et enfants répartis dans neuf cent quatre-vingt-huit (988) familles qui vivent sur cet espace. Ces familles doivent se partager 200 latrines, ce qui engendre de graves crises sanitaires. Autour de ces latrines qui ne suffisent plus à cette grande population, nous avons rencontré Moussa préférant aller se soulager dans la broussaille non loin du camp.

Vêtu d’un boubou déteint et déchiré sur les bords, il explique le traitement des réfugiés sur le site. « En fonction de la taille du ménage, on vous donne les vivres, les couvertures, les nattes, ustensiles de cuisines. Par la suite chaque fin du mois, on revient vous donner quelque chose. Le gros souci actuellement, comme le problème diffère, C’est la sante. Il des gens quand ils reçoivent leur argent lis doivent faire face à certaines ordonnances, faisant basculer le coté alimentaire ».

Ces réfugiés ajoutent que des humanitaires notamment le PAM leur octroient perçoivent de la part des humanitaires notamment le Programme alimentaire mondial (PAM) une allocation mensuelle de 10.000 FCFA par membres dans chaque ménage. Nous le laissons partir. Pour faire face aux besoins quotidiens de la famille, certains réfugiés du camp exercent des activités génératrices de revenus. En fonction de la nature de leurs activités, d’autres se sont retrouvés dans d’autres localités ou régions plus éloignées. Ceux qui sont restés ont même créé un marché juste en face du camp.

Dans ce marché, une table couverte de légumes. Diallo Aminata, 47 ans, s’adonne à un commerce tiré des allocations mensuelles. Nous l’abordons pour avoir plus amples détails. « J’ai démarré mon commerce avec cette allocation pour pouvoir aider mon mari et prendre en chargé nos enfants ». Comme elle, ce sont de nombreux hommes et femmes qui mènent des activités génératrices de revenus au sein du site ou même en dehors. Barry Alaye, un réfugié en provenance de Pô au Burkina Faso s’est quant à lui érigé en boucher. Il fait la navette entre Bouna et le site, soulignant qu’il gagne bien sa vie, après s’être trouvé une petite place au grand marché de la ville. « Dieu merci, je me débrouille bien et ça marche ».

Si pour certains il y a une insertion socio-professionnelle, pour d’autres c’est encore l’hésitation, comme Ali Barry qui vit dans ce camp depuis 7 mois. Il était Infirmier au Burkina Faso. La situation sécuritaire dans son pays l’a contraint à abandonner son emploi. Le traitement à Timalah n’est pas du goût de la majorité des réfugiés sur de nombreux aspects dont la santé. En effet, l’un d’entre eux signale que la seule case de santé du site fait des ruptures en médicaments, contraignant certains à se rendre à l’hôpital général de Bouna.

Le flux de demandeurs d’asile s’accroit au rythme des opérations militaires (photo DR)

Un dispositif sécuritaire

Au-delà des questions sociales et humanitaires, l’autre défi du site de Timalah reste la sécurité. Cet aspect est placé sous l’autorité du Conseil National de Sécurité, représenté par le préfet de Région Yacouba Doumbia. Il a délégué la sécurité spécifique du site au Commissaire de Police de Bouna Kouassi Maxime. Rencontré à son bureau, il s’est voulu rassurant sur le dispositif sécuritaire mise en place. Pour la sécurité des lieux, des fils de barbelés longs de deux kilomètres ceinturent la zone avec la présence d’un poste de contrôle mixte de police et de gendarmerie. S’y ajoute l’affectation d’un personnel civil pour la gestion courante du site.

« Depuis le 24 juillet 2023 jusqu’ à ce jour, on n’a enregistré aucun incident sécuritaire sur le site. Il n’y a jamais eu d’attaque perpétrée sur le site, parce que nos collaborateurs veillent à la sécurité de ces populations. Nous demandons seulement qu’il y ait un peu plus d’appui pour nous permettre de véritablement assurer cette mission qui vient s’ajouter à notre tâche qui est déjà énorme. Nous faisons avec les moyens de bord et grâce à l’appui de la hiérarchie, nous arrivons à maintenir le cap » s’est exprimé le commissaire de police.

Il a ajouté qu’en collaboration avec les gestionnaires du camp, plusieurs cellules ont été mises en place par les réfugiés de Timalah, pour règlementer la vie de ces milliers de personnes. Une cellule sécurité, composée de jeunes volontaires collabore avec les Hommes en tenues. Barry Moussa membre de cette cellule, nous explique son fonctionnement : « nous avons notre propre sécurité, parce que les responsables qui sont à la porte ont jugé que c’est mieux qu’on forme un comité de sécurité en notre sein vu que nous nous connaissons. Maintenant, si nous voyons quelques choses de suspect, nous leur faisons signe. Nous vérifions les entrées et sorties et beaucoup d’autres choses. En face de nous, nous avons un service de sécurité proprement dit 24h/24h, ils sont là. Des corps habillés font le tour du camp, d’autres y rentrent. Du Coté de la sécurité, pour le moment nous n’avons pas de souci ».

Malgré cette assurance la vigilance doit être de mise. En effet, différentes sources sous anonymat, nous ont confié qu’une victime aurait reconnu parmi les réfugiés du camp, un individu qui aurait pris part à l’attaque de leur village au Burkina. L’une de ces sources ajoute même que ce dernier aurait été appréhendé par les autorités judiciaires. Interrogé sur une probable infiltration d’individus mal intentionnés dans le camp, voici la réponse du représentant du HCR dans le Nord Guening Massama Kiliouto.

« Bon je ne saurais répondre avec exactitude à cette question mais ce qui est sûr à ce jour, les enregistrements que nous faisons et les personnes qui ont été relocalisées sur le site sont supposés être des civils qui ont fui l’insécurité au Burkina et qui recherchent l’asile en Côte d’Ivoire. S’il s’avère qu’il y a des possibilités d’infiltration nous laissons la latitude au gouvernement de pouvoir effectuer ce travail qui lui permettra éventuellement d’identifier ceux qui n’entrent pas dans cette catégorie. Et ce travail normalement doit se faire avant d’entrer dans le site et nous sommes confiants qu’à ce jour les choses se passent normalement » a-t-il fait savoir.

Cependant les populations des villages riverains de Timalah, semblent ne pas apprécier la proximité du site à leurs villages. Dah Ollo, chef de Boromakoté, village situé à 5 km du camp fait partie de cette population du Bounkani, notamment celle de Bouna et des villages riverains à avoir émis quelques réserves sur la construction du camp des réfugiés de Timalah. « Ce camp n’aurait pas dû être ici. Pourquoi sont-ils en côte d’ivoire ? Pourquoi ? Ils disent qu’il y a la crise. C’est vrai, mais ce n’est pas tout le Burkina qui est en crise » s’est-il enflammé. Pour lui, l’Etat n’a pas fait de communication au sujet de la construction de ce camp.

Les populations déplorent l’envahissement de leurs champs

Des signes de tensions entre populations riveraines et réfugiés

Sept mois après la relocation des premiers réfugiés, des signes avant-coureurs de tension entre population riveraine et refugiés se manifestent. En effet, les familles de demandeurs d’asile, pour faire le feu de ménage, envahissent les champs et plantations situés dans les environs du site de Timalah et y amassent du fagot. Une situation que n’approuvent pas les agriculteurs propriétaires des champs, qui ont porté cela à la connaissance des autorités.

« Dans tous les champs, il n’y a même plus de fagots. Ils ont tout ramassé. Même les brindilles » s’est offusqué le chef Dah Ollo qui a également fait remarquer les dégâts de cultures commis par les bêtes des demandeurs d’asile. « Allez- y à la sous-préfecture pour voir. Ils vont vous dire combien de fois les paysans vont là-bas pour des conflits entre les éleveurs là et les cultivateurs » a-t-il ajouté tout furieux. Les réfugiés restent conscients de la colère des populations riveraines. Leur président Barry Zakaria signale que certains parmi eux entraient dans des champs pour cueillir de la pomme d’anacarde toute fois des sensibilisations internes ont permis de mettre fin à cela. Cependant il a révélé qu’il n’y pas de fagots pour la cuisine. Ce qui contraint des réfugiés à parcourir des dizaines de kilomètres pour en chercher alimentant ainsi des tensions avec les populations.

« Les autorités nous ont dit de faire très attention. La solution c’est qu’on nous fournisse du bois de cuisson ou du gaz ou augmenter la somme qu’on nous donne par mois » a souhaité le président des réfugiés. Si la présence du camp de réfugiés de Timala continue de soulever autant d’inquiétude, c’est bien parque ce que les populations craignent qu’elle ne soit un nouveau problème qui mettrait à mal la cohésion sociale. Le Bounkani est régulièrement perturbée par des conflits communautaires. Pour rappel en mars 2016, les différends entre agriculteurs et éleveurs s’est transformé en conflit communautaire entre les Lobis et les Peulhs. Il y a donc lieu de créer les conditions d’une cohabitation pacifique entre les réfugiés du camp, majoritairement de la communauté Peulh, traditionnellement des éleveurs et les populations riveraines qui sont pour la plupart des agriculteurs Lobis.

Pour faciliter la cohabitation avec les villageois autour du site de Timalah, des foyers améliorés ont été offerts, vendredi 09 février 2024, à 700 familles de demandeurs d’asile vivant sur le site de la localité de Timalah par l’association des éleveurs de bovins de la région du Bounkani (AEBRB). Cette action sociale qui s’est déroulée en présence du préfet de Bouna, Yacouba Doumbia, s’inscrit dans le cadre du projet Résilience des populations rurales sur le territoire transfrontalier (REPOT), coordonné par Acting for Life et financé par le Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères.

Pour le coordonnateur de l’AEBRB, Soro Daouda, face aux plaintes des planteurs et agriculteurs, le comité de pilotage, présidé par le préfet de région, a trouvé comme solution de doter les demandeurs d’asile de foyers améliorés et de sacs de charbon, en vue de faciliter la cohabitation avec les villageois autour du site de Timalah. Soro Daouda a précisé que ces foyers améliorés seront également distribués à 100 familles des villages environnants. D’autres initiatives de ce genre, doivent être multipliées pour éviter tout éventuel drame pouvant impacter la tranquillité des demandeurs d’asile qui pour la plupart souhaiteraient rentrer un jour au pays.

Rapport de la situation des demandeurs d’asile au Nord (05 août 2024 UNHCR Cote d’Ivoire)

L’espoir d’un retour au bercail

Fuyant les massacres des groupes armés dans leur pays, des hommes, des femmes et des enfants en provenance du Burkina Faso ont trouvé gite, couvert et sécurité en côte d’ivoire. Toutefois ils fondent leur espoir dans un retour prochain sur la terre de leurs ancêtres. C’est le rêve de Barry Ali. « Oui, je vais repartir. Tous ceux qui sont restés là-bas, ce sont les mêmes Burkinabès que nous. Ils ne sont pas plus Burkinabè que Nous. C’est vrai que nous avons subi des traumatismes. On nous a accueilli ici. Nous avons des toits, de quoi manger mais il est bon d’être chez soi ».

Une étude entreprise par le Projet Résilience pour la paix financée par USAID, portant sur les signaux d’alerte précoce de l’extrémisme violent dans le nord de la cote d’Ivoire, donne cette précise : « les attaquent récurrentes dans le nord de la cote d’ivoire en 2020 et 2021 indiquent l’expansion croissante des militants islamistes qui opèrent depuis le Burkina Faso et le Mali près de la frontière nord de la cote d’ivoire. Ces extrémistes profitent des conflits récurrents et non résolus, comme ceux qui opposent agriculteurs et éleveurs ».

Cissé Morimoussa, Oulai Natem, Hien Emma & Bamba Allassane

Cet article s’inscrit dans le cadre du projet résilience pour la paix financé par le Peuple américain à travers l’USAID et mis en œuvre dans les zones frontalières nord de la Côte d’Ivoire.

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