La vie nocturne typique de la capitale économique ivoirienne reprend petit à petit son cours normal avec la levée du couvre-feu et surtout la réouverture des maquis, ces restaurants populaires difficiles à dissocier de la ville d’Abidjan.
L’odeur du bon poisson braisé et du poulet piqué qui m’accueille dans la chaleur de la nuit de Yop city me rappelle automatiquement qu’Abidjan est passé d’une étape à l’autre face au Covid-19. « C’est fini le vieux, on peut rentrer à n’importe quelle heure » me lance soulagé un jeune gérant de cabine téléphonique dans la commune de Yopougon, la plus grande d’Abidjan. Yopougon est connu pour être l’antre de la joie et du divertissement dans la capitale économique ivoirienne. Alors c’est ma première destination lorsque sonne la fin du couvre-feu imposé en raison du coronavirus.
Le long de l’ancienne rue princesse et de plusieurs autres avenues, je retrouve l’ambiance qui prévalait il y a environ deux mois. Quelques CFA en poche, un jean, une paire de tennis et un tee-shirt avec mon enregistreur…me voici parti pour être témoin du retour des ‘maquisards’. Selon le ministère du Tourisme, Abidjan compte 45.000 maquis, 200.000 dans toute la Côte d’Ivoire ; une activité qui représente 15% du produit intérieur brut (PIB). Alors lorsque la bière coule à flot dans un maquis, c’est aussi l’économie ivoirienne qui tourne !
Les bruyants DJ et leurs sonorisations diffusent du coupé-décalé à plein volume pour la poignée de clients venus savourer le premier week-end post couvre-feu. « On est de retour, c’est ça Abidjan ! On était vraiment fatigué de cette histoire de coronavirus et de rester entre quatre murs » m’explique Félix Kouassi, un enseignant qui se désinfecte les mains avec du gel hydro-alcoolique proposé par une serveuse du maquis où il prend place. Avec deux amis, ils partagent une petite table où sont posées quelques bières blondes.
Je me fais volontiers offrir une bière brune fraîche avec une remarque à propos de la serveuse : « on dit de s’assoir à un mètre de vos amis, donc séparez-vous un peu ». « La distance entre nous vaut un mètre hein » réplique Sié Idrissa un chauffeur de taxi qui a décidé de tirer le frein à main pour rejoindre ses amis. « On est un peu soulagé par la décision du président mais on est aussi prudent. On se promène même avec le gel, on se lave les mains, on ne se serre toujours pas les mains… Vraiment le coronavirus nous impose une autre manière de vivre mais on fait avec pour notre santé et celle des autres » m’indique le jeune homme d’une quarantaine d’année.
Lorsque les maquis d’Abidjan ouvrent, c’est aussi le petit commerce de nuit qui reprend ses droits. Les vendeuses d’attiéké et de poisson braisé, les rôtisseurs de viande de bœuf et de mouton, les spécialistes du poulet piqué et de la sauce kédjénou sont de nouveau opérationnel. Et pour Florence N’dri il était temps. « Toutes les femmes que toi vois au bord de la route en ce moment ne vivent que des recettes qu’elles font chaque soir. Donc nous sommes restées à la maison deux mois sans payer le loyer à vivre avec nos maigres économies. Nous sommes vraiment soulagées ».
Mais la reprise ne rime pas avec la grande affluence reconnait la vendeuse d’attiéké au poisson fumé. Il faudra du temps car « même les clients ne savent pas quand cette histoire [coronavirus] va finir » s’inquiète Barros un gérant de maquis. « Tout le monde vit avec ses économies, le pays même ne tourne pas bien…donc demander à quelqu’un de venir dépenser 10.000 ou 20.000 comme avant pour se faire plaisir ça sera compliqué ».
Les bars et les boîtes de nuit prisés par les noceurs de baby [Abidjan dans l’argot ivoirien] sont toujours fermés et certains maquis ont réduit le nombre de chaises et tables pour être dans l’esprit du « strict respect des mesures barrières » comme l’a souhaité le président Alassane Ouattara au terme de la réunion du Conseil National de Sécurité du jeudi 14 mai 2020 où il avait annoncé la levée du couvre-feu.
Dans les ruelles, les jeunes qui jouaient au chat et à la souris avec les forces de l’ordre lors du couvre-feu déambulent librement cigarette en main. Certains ne manquent pas de taquiner les policiers en patrouille. « Autorité, je suis au serré » hurle un jeune homme en faisant le salut militaire sous le regard amusé des hommes en uniforme. « C’est la reprise pour les maquis mais il n’y pas eu de récréation pour nous » m’indique un commissaire de police assis à l’avant d’un 4×4 côté passager. « Aujourd’hui c’est vrai il n’y pas trop de monde dans les maquis mais nous sommes là pour assurer la sécurité et rassurer les usagers » m’indique l’homme avant d’ordonner le départ du véhicule.
Les tenanciers de maquis et autres vendeurs avec lesquels j’ai échangé ce vendredi nuit sont certes heureux d’avoir repris du service. Cependant, les deux mois d’inactivité ont créé un trou dans les finances qu’il va falloir combler. Tous ont le regard tourné vers le Gouvernement qui a annoncé la création de fonds de soutien aux petites et moyennes entreprises (150 milliards) et au secteur informel (100 milliards). Les tenanciers de maquis, restauratrices et autres vendeuses espèrent pouvoir « toucher quelque chose de ce fonds juste pour relancer les activités » plaide Florence N’dri.
Ebony T. Christian
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