Les victimes du déversement des déchets toxiques du Probo Koala à Abidjan peuvent désormais pousser un soupir de soulagement. 17 ans après le déversement de la cargaison toxique du bateau battant pavillon panaméen, un tribunal des droits de l’homme a statué en leur faveur.
Des dizaines de personnes ont perdu la vie et plusieurs autres ont été intoxiquées à la suite de l’incident survenu le 16 août 2006, lorsque la multinationale TRAFIGURA a ordonné le déversement de 528 m3 de déchets toxiques provenant du raffinage du pétrole brut dans différents endroits de la capitale ivoirienne, Abidjan. TRAFIGURA, un groupe néerlandais de négoce de matières premières basé à Singapour, a loué les services du cargo Probo Koala, qui a obtenu l’autorisation du gouvernement ivoirien d’entrer dans le port d’Abidjan. Par l’intermédiaire d’un tiers, Trafigura a chargé une société locale, TOMMY, de se débarrasser du contenu du navire pour une somme de 17.000 dollars, a-t-on appris auprès du tribunal.
Les déchets ont été déversés en plein air par des camions dans la décharge d’Akouédo et dans une dizaine d’autres sites densément peuplés d’Abidjan. Au total, 17 personnes seraient décédées après avoir inhalé des gaz toxiques quelques jours plus tard, tandis que des centaines de milliers d’autres souffraient de problèmes respiratoires et cutanés. En 2018, soit 12 ans après le passage du Probo Koala, un audit d’ONU Environnement a été réalisé à la demande du gouvernement ivoirien. 130 échantillons de fruits et légumes, de sol, de sédiments et de mollusques ont été prélevés sur 18 sites à Abidjan et banlieue en juillet 2016 puis janvier 2017. Les prélèvements analysés dans des laboratoires accrédités sur le plan international ont permis d’évaluer l’état de contamination des sites de déversement.
Selon les conclusions de l’audit environnemental « aucun des sites où les déchets issus du Probo Koala ont effectivement été déversés ne présente une contamination supérieure aux seuils établis par le Gouvernement de la Côte d’Ivoire pour la dépollution. Par conséquent, aucun de ces sites ne nécessite une intervention complémentaire, même au regard des valeurs d’intervention néerlandaise, qui sont parmi les directives les plus fréquemment utilisées à travers le monde pour la gestion et la dépollution des sites contaminés ».
Une procédure d’indemnisation bâclée
Dans la foulée du scandale, l’État ivoirien a conclu un accord de règlement controversé avec l’entreprise, qui aurait versé 95 milliards de francs CFA (150 millions de dollars américains) à titre de dommages-intérêts et pour les opérations de nettoyage. Non seulement cet accord a exempté les personnes impliquées de poursuites judiciaires, mais la majorité des victimes n’a reçu aucune compensation, selon les défenseurs des droits de l’homme.
Un groupe de trois organisations de défense des droits de l’homme, composé de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO), du Mouvement ivoirien des droits de l’homme (MIDH) et de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), a porté l’affaire devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) en 2016, contestant le contenu de l’accord et demandant que toutes les victimes reçoivent une indemnisation équitable.
Le 5 septembre 2023, la Cour a rendu son arrêt, dans lequel elle a tenu l’État ivoirien pour responsable de ne pas avoir protégé les droits de l’homme en empêchant l’élimination des déchets en premier lieu. Selon les juges, l’État a violé plusieurs droits de l’homme protégés par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, notamment le droit à la vie, à la santé et à un environnement sain. Le gouvernement de la Côte d’Ivoire, alors dirigé par l’ancien président Laurent Gbagbo, a également été reconnu coupable de ne pas avoir offert de recours adéquat après l’incident. Les autorités ont également privé la population d’informations, a déclaré la Cour.
Cette décision a été saluée par les militants qui ont déposé le dossier au nom de l’organisation représentant les victimes. Il s’agit de l’Union des Victimes des Déchets Toxiques du district d’Abidjan et Banlieues (UVDTAB). Alice Mogwe, présidente de la FIDH, espère que cette décision empêchera de futures catastrophes ainsi que la connivence entre les entreprises et les gouvernements dans leurs efforts pour priver les victimes de tout recours légal en cas de violation de leurs droits.
« Il s’agit d’une décision historique de la Cour africaine qui établit clairement la responsabilité de l’État pour son incapacité à fournir une indemnisation adéquate aux individus qui ont vu leurs droits méconnus par les actes néfastes des entreprises » a déclaré Alice Mogwe, Présidente de la FIDH. « Nous espérons qu’une telle décision contribuera à prévenir de futurs désastres comme celui de PROBO KOALA, et à s’assurer que les entreprises et les gouvernements ne signent pas d’accords qui priveraient les victimes du recours à la justice » a-t-elle précisé.
Pour l’avocat Traoré Drissa, qui est également secrétaire général de la FIDH, il s’agit maintenant de veiller à ce que les décisions de la Cour soient mises en œuvre. « Après toutes ces années de combat aux côtés des victimes pour qu’une justice effective leur soit rendue, nous continuerons d’œuvrer pour que l’État ivoirien respecte la décision rendue par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples et donne pleine satisfaction aux victimes. Le retrait de la déclaration sous l’article 34(6) du Protocole à la Charte africaine établissant la Cour africaine, et permettant à des individus et des ONG de saisir la Cour africaine, décidé par l’État ivoirien en 2020, ne devrait en rien compromettre l’exécution de cet arrêt » a déclaré Me Drissa Traoré, Avocat et Secrétaire général de la FIDH.
Dans son arrêt, la Cour a ordonné à l’État de travailler, en consultation avec les victimes, à la mise en place d’un fonds d’indemnisation à partir du règlement de TRAFIGURA, dans un délai d’un an. Elle a également ordonné l’annulation de l’accord signé entre la société et l’État protégeant les responsables de toute poursuite. Elle demande la conduite d’une enquête « indépendante et impartiale » afin que les coupables soient traduits devant la justice. Le gouvernement de la Côte d’Ivoire doit également mettre en œuvre des réformes législatives et réglementaires interdisant l’importation et le déversement de déchets dangereux sur son territoire, ainsi que la responsabilité des personnes morales pour le déversement de déchets et d’autres activités nuisibles à l’environnement, selon la Cour.
Le gouvernement ivoirien s’est retiré en 2020 d’une disposition de la Charte africaine qui permet aux individus et aux ONG de saisir la Cour africaine. Le président de la FIDH espère que cela n’empêchera pas le gouvernement de respecter les ordonnances de la Cour.
« Cette décision vient rappeler le rôle et l’importance de la justice régionale quant au respect par les États de leurs obligations en matière de droits humains. Face aux violations graves des droits humains perpétrées contre les populations africaines, il est essentiel que le système africain de protection des droits humains soit renforcé pour constituer un recours effectif pour les trop nombreuses victimes qui restent en attente de justice » a déclaré Drissa Bamba, Président du MIDH.
L’utilisation de l’Afrique, et en particulier des pays du Golfe de Guinée, comme décharge pour les déchets fait l’objet d’un débat de longue date. Il s’agit soit de déchets électroniques, soit de substances toxiques. Il s’agirait d’une industrie de plusieurs millions de dollars impliquant des intermédiaires qui déguisent les matériaux indésirables en matériaux réutilisables, pour ensuite les déverser illégalement sous le manteau. Dans certains cas, comme en Côte d’Ivoire, cela se fait par des voies légales.
Anderson Diédri & Traoré Bakary
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