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Les vols de bétail inquiètent aux frontières nord de la Côte d’Ivoire

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Le vol de bétail devient récurrent sur la bande frontalière nord de la Côte d’Ivoire. Et ce, au moment où l’extrémisme violent menace.  A Doropo, frontière avec le Burkina, on se pose des questions…

L’économie de Doropo, outre l’agriculture, repose sur le bétail. La population dépend étroitement de l’exploitation des ressources animales. Aujourd’hui, les éleveurs sont contrariés dans leur activité par de nombreux vols de leur bétail. Faut-il s’en inquiéter ? Quand on sait que les groupes armés ont souvent profité des tensions préexistantes pour exporter l’extrémisme violent. Ainsi que les activités illicites tels les trafics de drogue et de médicaments. Une stratégie utilisée pour financer leurs opérations et accroître leur influence au sein des communautés locales.

La dégradation de la situation sécuritaire au Burkina Faso a accentué le phénomène de vol de bétail dans le nord de la Côte d’Ivoire plus précisément dans la région du Boukani. Alors que le vol du bétail s’intensifie, l’activité du parc à bétails de Doropo ainsi que la transhumance transfrontalière semblent en pleine effervescence. Doropo (région du Bounkani, nord-est de la Côte d’Ivoire), dernière commune de la Côte d’Ivoire est à 12 km de la frontière avec le Burkina Faso. Dans cette localité, on retrouve le plus grand parc à bétail de la région de Bounkani. Ici, l’élevage et le commerce du bétail constituent l’activité principale.

« Vol de bétail là, vraiment ça nous créer trop de problèmes. A cause de ces vols, on ne peut pas avoir la quantité qu’on veut. Alors que la vente de lait de vache est notre principale activité génératrice de revenu. C’est la vente de lait et de bœufs qui nous permettent de subvenir à nos besoins. Honnêtement, ce phénomène nous » explique Barry Karidiatou, présidente de l’Association des femmes peuhl de Doropo, en larme.

La vente de bétail est pourtant bien organisée dans la ville de Doropo. La gestion du parc à bétails est confiée à une faitière, l’Association pour la Gestion du Marché à Bétail de Doropo (AGEMAD). La procédure de vente est aussi règlementée. Le tuteur, appelé ‘’Tèfa’’ en langue peulh et le ‘’Boudja‘’ sont les deux intermédiaires reconnus dans la vente de bétails au parc à bétails de Doropo. Lorsque l’éleveur ou le marchand convoie le bétail au parc, il a l’obligation de s’attacher un ‘’Téfa’’, qui réside à Doropo avec sa famille et connu pour sa bonne moralité.  En plus du premier tuteur, un autre, le ‘’Boudja’’ joue un rôle aussi clé dans la chaine de commercialisation de bétails. Ici, le propriétaire de bœuf ne donne pas de prix. C’est l’acheteur lui-même qui dit le prix auquel il veut prendre l’animal.

Selon le Secrétaire Général de l’AGEMAD, ce processus permet de garantir la provenance des animaux et faciliter les recherches en cas de vol de bétails. « Si après la vente, quelqu’un dire que l’animal vendu a été volé, nous nous referons directement aux deux tuteurs le ‘’ Tèfa’’ et le ‘’boudja. Ceux sont eux qui sont chargés de retrouver le vendeur et le faire venir pour nécessité d’enquête » indique Ballo Djakalia, Secrétaire Général de l’AGEMAD. Le chiffre d’affaires du parc de Doropo, c’est une centaine bœufs vendus par semaine. Ce parc à bétail est donc un point stratégique pour l’approvisionnement en viande. L’essentiel des têtes de bœufs et de moutons du parc viennent du Burkina Faso.

Ravages, chaos, désespoir… des communautés échirées

Selon un rapport de la DAARA, la structure gouvernementale en charge de mettre en œuvre la politique d’asile en Côte d’Ivoire, il y’a environs 36 mille personnes en majorité des éleveurs qui ont trouvé refuge en Côte d’Ivoire dans la région du Bounkani. Ils ont été obligés de quitter le Burkina Faso sous la menace des groupes armés. Salia, un éleveur demandeur d’asile, originaire du Burkina Faso, province de la Comoé, département de Sidéradougou nous explique son calvaire. « En janvier 2023, il y avait l’insécurité autour de notre province et cela a provoqué des déplacés et comme nous sommes les autochtones de Sideradougou, on les a accueillis. A Sidéradougou, la situation était difficile. Invivable. Plusieurs habitants ont été chassés de leurs terres, leurs récoltes et bétails arrachés ». Selon Salia, un témoin oculaire, désormais déplacé en Côte d’Ivoire.

Les groupes armés ont recours à différentes méthodes pour perpétrer le vol de bétail au Burkina Faso. Ils opèrent à travers des attaques directes, des raids éclairs et des embuscades. Une fois que les populations s’enfuient sous l’effet de la peur, les groupes armés peuvent s’emparer du bétail sans être inquiétés. Ces troupeaux volés sont conduits par la suite vers des sites de commercialisation en Côte d’Ivoire. De plus, ils exploitent souvent leurs connaissances du terrain pour échapper aux forces de défense et de sécurité. Par ailleurs, ces groupes utilisent le bétail volé comme moyen d’obtenir des fonds pour recruter de nouveaux membres et de renforcer leur emprise sur les populations locales.

Sur la bande transfrontalière Burkina -Côte d’ivoire, le département de Doropo est le principal point névralgique du vol de bétail. Pendant la saison sèche moment de pic de la transhumance, les bœufs sont parfois interceptés par des individus mafieux, qui opèrent parfois avec la complicité des bergers. Selon Boubacar Barry, expert burkinabé du pastoralisme, les pertes de bétails sont inquiétantes. « En 2020, il y’a eu 1300 bœufs disparus, en 2021 plus de 800 bœufs volés. Au Burkina Faso, on a essayé de globaliser pour dire que dans le grand ouest, il a eu au total 2000 animaux qui ont été volé en 2021 et 2022. Ce sont des chiffres approximatifs » a-t-il indiqué, lors d’un panel sur le vol de bétails, tenu à Bouna (chef-lieu de la région du Bounakani), nord-est de la Côte d’Ivoire.

Ces éleveurs étant désormais des réfugiés, ils doivent repartir de zéro car ayant tout perdu. Il arrive que par moment quelques chanceux parmi eux arrivent à retrouver une ou deux de leurs bêtes dans le parc de Doropo. Comment des bœufs volés au Burkina Faso peuvent ils se retrouver dans un parc officiel en Côte d’Ivoire ? Existe-t-il des complicités ? A ces questions, le silence est requis…

Assis sous un hangar de fortune, Ibrahima Alidjo le regard hagard, ne sait pas où donner de la tête. Le visage marqué par les soucis et la fatigue, ses épaules robustes semblent s’affaisser sous le poids de la déception. Son regard est voilé par la peine et l’incertitude. Sa fierté est ébranlée par cette épreuve. Ibrahim se rappelle des sacrifices consentis pour bâtir cette richesse qui s’est évanouie dans la nature.

Sa principale activité, l’élevage. Mais régulièrement victime de vol des bétails. Ibrahim dit avoir le présentement que ces vols contribuent à nourrir l’extrémisme violent dans la région. Une situation qui crée un climat de peur et d’insécurité parmi la population. Les propriétaires de bétails et les éleveurs vivent dans la crainte constante d’être les prochaines victimes, ce qui affecte profondément leur qualité de vie et leur bien-être psychologique.

Ibrahim Alidjo, n’a jamais retrouvé ses bœufs volés, mais il a récemment vécu une dont il a failli de voleur de bétail. « Résident à Bouna, je suis aussi un tèfa. Des étrangers viennent chez nous avec des bœufs pour qu’on puisse les vendre pour eux. Ils sont venus un jour avec des bœufs, ce n’était pas pour vendre ici. Ils voulaient charger pour l’intérieur du pays. Ils ont été arrêtés. Après partage d’information, les propriétaires des bœufs sont venus récupérer leurs bœufs » a-t-il expliqué.

Bœufs volés, le voyage vers l’intérieur

Les troupeaux de bœufs volés quittent généralement la ville de Banfora au Burkina Faso. Ils passent par la localité de Djigbè-hélintira toujours au Burkina Faso et transitent par Govitan, le premier gros village en terre ivoirienne situé dans le département de Tehini. Le bétail est ensuite conduit à Doropo. Ce trajet est pensé pour éviter les forces de l’ordre.

Sur le chemin qui mène à Doropo, les bœufs volés passent la nuit à Gogo. Cette escale est importante car elle permet à ceux qui convoient le bétail d’obtenir les autorisations sanitaires. Bien évidement ses autorisations sont officieuses et obtenues contre paiement. Les témoignages recueillis auprès des victimes et des témoins oculaires du vol de bétail en lien avec les groupes armés opérant sur la bande frontalière du Nord de la Cote d’Ivoire révèle une situation inquiétante.

Très tôt le matin, après une bonne nuit de sommeil à Gogo, les troupeaux reprennent le chemin pour Doropo ou d’autres localités comme Latrougo toujours dans le département de Doropo. Ce bétail sera embarqué pour être vendu à l’intérieur du pays. « Le bétail vendu en Côte d’Ivoire vient en grande partie du Burkina Faso Les commerçants achètent les animaux au Burkina Faso et viennent les vendre au parc à bétail de Doropo. D’autres commerçants quittent l’intérieur du pays pour venir se ravitailler ici à Doropo » précise Dicko Aboudramane, marchand de bétail. Une fois dans les parcs à bétail de Bouna et de Doropo ces bœufs sont vendus à des prix très élevés. Le prix d’un bœuf varie entre 400.000f et 1.000.000 Cfa.

Dans le système du marché noir des bœufs volés, les acteurs opèrent en complicité avec certains jeunes des zones frontalières du Nord de la cote d’ivoire, et même des agents des structures étatiques. Ils arrivent à vendre les bœufs à des acheteurs en provenance de plusieurs localités du pays comme, Soubré, Daloa, Abengourou et autres.

Autorités et communautés pour la riposte
Photo DR

Face à la menace que représente cette situation, les autorités locales prennent des mesures. Il s’agit notamment du renforcement des effectifs de sécurité dans les zones à risques et la collaboration avec les communautés en vue de surveiller les mouvements suspects. Cependant, Tous nos tentatives auprès de la direction régionale du ministère des Ressources Animales et Halieutiques du Bounkani pour recueillir des informations relatives à la filière bétail ont échoué.

Au-delà des actions des autorités, des initiatives communautaires et des programmes de soutien sont mis en place pour renforcer la résilience des populations affectées.  Ces actions sont entre autres la diversification des activités économiques, la réduction de la dépendance à l’élevage, la promotion du dialogue intercommunautaire, la prévention des tensions et la création d’une plateforme de communication des acteurs de la filière bétails pour la traçabilité de bœufs volés ou égarer.

« Tout animal qui entre sur le marché à bétail, il faut que le propriétaire soit là. On ne reste pas derrière pour faire venir l’animal pour vendre. Le propriétaire de bœuf est présent, on fait le marché en sa présence. Ça veut dire en cas de quelque chose on arrive à joindre toujours celui à qui l’animal appartient. Déjà, il y’a un engagement qui est là. Les animaux, bientôt ils vont prendre des puces » a indiqué Ballo Djakalia, Secrétaire Général de l’AGEMAD.

Selon lui, la vente du bétail en présence de tuteurs et de témoins est une mesure traditionnelle conçue pour contrer les vols et assurer la sécurité des transactions. En impliquant des tuteurs, qui agissent comme garants ou garde-fous, et des témoins, qui attestent de la légitimité de la transaction, on établit un système de vérification et de surveillance qui dissuade les voleurs potentiels. Ces pratiques sont ancrées dans la confiance et la responsabilité communautaires. Elles assurent une certaine transparence dans les échanges commerciaux puis renforcent la confiance entre les parties prenantes.

La lutte contre le vol de bétail en lien avec l’extrémisme violent à Doropo nécessite une mobilisation de tous les acteurs de la filière et des forces de sécurité. Elle intègre des mesures de développement économique, de renforcement de la résilience communautaire et des actions sécuritaire. Cette approche est un bon début pour lutter contre le vol de bétail et éviter les conflits communautaires et barrer la voie aux groupes extrémistes violents.

Hego Ouattara, Ouattara Alassane, Dah Sié Hermann & François M’Bra II

Cet article s’inscrit dans le cadre du projet résilience pour la paix financé par le Peuple américain à travers l’USAID et mis en œuvre dans les zones frontalières nord de la Côte d’Ivoire.

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