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L’île de Gorée au Sénégal : l’avenir d’une histoire africaine en question

Renommée, l’île de Gorée au Sénégal attire régulièrement des milliers de visiteurs. Mais l’avenir de ce site touristique qui concentre une partie de l’histoire africaine est aujourd’hui interrogé.

Bâtiments à l’architecture coloniale, monuments symboliques, objets séculaires… L’évocation de l’île de Gorée se confond avec l’histoire de l’esclavage en Afrique. Et les mots introductifs de Mathar, un guide touristique sénégalais, sont frappants : l’île symbolise « la traite négrière, l’esclavage, la déportation, la souffrance, les larmes et la mort ». « Gorée fut capitale de souffrance et de larmes », insiste-t-il. Ce lieu – jadis – du martyr attire régulièrement du beau monde qui vient revisiter l’histoire.

Au port autonome de Dakar, on se bouscule au portillon. Il faut d’abord présenter à la police une pièce d’identité. Ensuite, se procurer un ticket : 1500 francs pour les sénégalais, 2700 francs Cfa pour les africains et 5200 francs Cfa pour les autres ressortissants (européens, américains, asiatiques). C’est le titre de transport pour prendre place à bord de la chaloupe qui mène à la célèbre île. Vue de loin, Gorée est semblable à un bateau sur la mer qui s’approche du quai. Mais au bout de 25 minutes de navigation, la desserte de 350 places accoste sur ce site de 27 hectares où vivent 18 000 habitants.

Une fois la bordure sableuse franchie, il faut à nouveau payer 500 francs Cfa aux services de la mairie, une sorte de droit de visite de l’île qui n’inclut pas la Maison des esclaves où il faut encore débourser 500 francs Cfa pour y accéder. Des montants auxquels il faut ajouter 8000 francs Cfa pour le guide touristique à charge de conduire la visite d’une délégation de 20 personnes composée d’africains et de français cet après-midi du lundi 18 décembre 2017. « L’argent qu’on paie, c’est beaucoup trop », s’agace Olivier Ribouis, journaliste béninois qui pense qu’il faut faciliter l’accès à la richesse que renferme ce patrimoine.

Mais pour comprendre l’histoire, le coût en vaut le déplacement. Selon les services d’enregistrement du port de Dakar, Gorée accueille par jour « jusqu’à 3000 personnes les week-ends ». Le guide Mathar, lui, renseigne : « 15 à 20 millions d’esclaves ont transité par Gorée pour aller en Amérique. 6 millions sont morts au cours du trajet par privation ou mauvais traitements », rappelle-t-il, insistant : « Cet endroit que vous foulez aujourd’hui a vu passer des millions d’africains sur des sinistres navires européens », l’île ayant été successivement occupée par les portugais, hollandais, anglais et les français.

A lire sur la route des esclaves https://eburnietoday.com/route-de-lesclave-a-ouidah/

Indifférence

Il y avait 28 maisons d’esclaves dont la première avait été construite par les portugais en 1536 et la dernière – l’actuel Presbytère – fut construite en 1776. Leurs effectifs variaient entre 150 et 200 esclaves où ces derniers attendaient jusqu’à 3 mois et demi avant le voyage pour l’Europe. Une réalité qui suscite l’émotion chez les défenseurs d’une prise de conscience collective contemporaine.

« J’ai été traversé par un frisson parce que c’est comme s’il y avait l’âme de millions d’africains qui était encore là, c’est comme s’il y avait une partie de moi qui est là à Gorée », retient Olivier Ribouis. Mais il juge incompréhensible l’attitude distraite de certains visiteurs au moment où les guides touristiques expliquent l’histoire édifiante du continent noir : « J’ai aussi été marqué par l’indifférence des jeunes. Je pense que Gorée n’est pas un lieu de selfies mais un lieu de recueillement ». Une banalisation par la jeunesse africaine de ce passé douloureux mais évanescent dont l’évocation est gênante pour l’Occident qui a organisé la traite négrière ? Monsieur Couillet, un français sexagénaire venu avec son épouse visiter l’île pense qu’il faut tourner la page pour regarder en direction de l’avenir. « C’est du passé. On ne peut pas s’appuyer sur ce qui s’est passé à l’époque. Il faut souhaiter que ça change », exhorte-t-il.

Fierté

Changement. Ce lieu aujourd’hui très fréquenté par les africains n’a pas été toujours porté le manteau synarchique occidental. En effet, outre cet épisode peu glorieux, l’île a connu aussi des moments de fierté. Gorée a été l’incubateur de l’élite africaine d’hier et l’est encore aujourd’hui. Les premiers cadres de l’Afrique de l’ouest sont sortis de la célèbre Ecole normale William Ponty entre 1913 et 1937 : Modibo Kéita (Mali), Hamani Diori (Niger), Hubert Maga (Benin), Ouézzin Coulibaly (Haute-Volta, aujourd’hui Burkina-Faso), Sylvanus Olympio (Togo), Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire). Le premier président ivoirien décédé en 1993 est sorti en 1925 major de sa promotion de la première école de médecine de l’Afrique occidentale française, qui est aujourd’hui le centre médico-social de la commune de Gorée.

Une ruelle parsemée d’œuvres d’artisans sénégalais

L’ancienne base de la marine française sur l’île a été érigée en Maison d’éducation Mariama Bâ, nom de la romancière sénégalaise qui a notamment écrit ‘’Une si longue lettre’’, figure de l’émancipation de la femme africaine, décédée le 17 août 1981. Cet établissement d’excellence accueille chaque année les 25 meilleures jeunes filles ayant réussi au CEPE au Sénégal, admises dans cette école qui forme de la 6ème et la Terminale. La Maison d’éducation Mariama Bâ réalise chaque année un taux de réussite de 100% au Baccalauréat.

A l’abolition de l’esclavage en 1848, l’île de Gorée est classée plus tard monument historique du Sénégal en 1975 et inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1978. Le mémorial de Gorée, en forme de bateau – puisqu’à l’époque c’était le seul moyen de transport des esclaves – qui symbolise la déportation noire, a été érigé en 1999 sur l’île rocheuse. Gorée est une commune sénégalaise qui vit principalement de tourisme. Outre quelques restaurants et boutiques, vêtements traditionnels, objets d’art, tableaux… sont commercialisés à tous les coins de l’île. L’artiste peintre Gorgui N’Diaye et ses équipes produisent les tableaux sablés à chaque passage de touristes. Matériaux utilisés : du sable naturel et un morceau de planche. Il prévient avant toute démonstration : « Il faut bien regarder pour ne pas dire que c’est de la magie ! ». Résultat final au bout de 5 minutes et c’est l’émerveillement : « Wahou ! », s’écrit un groupe de visiteurs fascinés. « C’est comme ça qu’on réalise les tableaux sablés », réagit Gorgui N’Diaye.

En tout cas, l’île de Gorée qui ne désemplit pas. Mais entre le rôle d’édification culturelle, de réappropriation de l’histoire esclavagiste et d’émancipation d’une élite héraut des Etats africains modernes, que retenir de ce lieu touristique aujourd’hui ?

Anderson Diédri, envoyé spécial à Gorée au Sénégal

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