Société

L’impact de la gouvernance sur l’immigration clandestine

Malgré les risques et les dangers, les flux de migrants qui arrivent en Europe par la mer sont considérables. Dans cette interview, Magloire N’Dehi, chargé de programme et communication de de la fondation Friedrich Naumann, explique les raisons fondamentales qui poussent les jeunes à braver parfois la mort pour rejoindre vaille que vaille « l’eldorado » occidental.

Selon vous, quelles sont les causes principales de l’immigration clandestine ?

Les causes principales de l’immigration irrégulière sont de plusieurs ordres. Déjà, il faut dire que selon une étude réalisée lors du retour de personnes qui ont été rapatriées, la raison première, la raison fondamentale de la majorité de ces migrants, c’est la recherche d’un mieux-être. Pourquoi ? Parce que dans les statistiques que nous avons, c’est que la plupart avait une activité économique. Certains avaient en moyenne 200 à 300.000 francs Cfa par mois. Deuxième chose, c’est que ce voyage nécessite beaucoup de ressources.

Au début, c’était 800.000 francs Cfa, maintenant nous sommes passés à près de 2 à 3 millions. Certains même sont partis avec 8 millions, selon leurs propres témoignages. Ça demande beaucoup de ressources. On comprend donc au travers de ces témoignages que la raison économique vient en second plan. Ceux qui partent pour des raisons économique viennent en seconde position. Mais la première raison, c’est la recherche d’un mieux-être. Maintenant, on peut se poser la question : c’est quoi le mieux-être ? Pour ces gens qui sont ici, qui ont un revenu, c’est vrai dans un environ précaire, mais ils ont un revenu qui leur permet de vivre, de prendre soin d’eux au quotidien mais ils recherchent mieux.

Maintenant, ce mieux-être qu’ils n’ont pas ici, est-ce que cela est entretenu par l’environnement socio-politique ? Cette précarité, cette insécurité politique qu’on a, l’instabilité qu’on a, c’est ce qui les rend vulnérables. Si vous n’avez pas un excellent niveau d’éducation, l’évolution professionnelle peut être difficile.

Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que la raison essentielle c’est un problème de gouvernance ?

Ça peut être l’une des raisons. Disons, une sous-raison parce que la raison principale c’est la recherche d’un mieux-être. Maintenant, dans ce mieux-être, on peut mettre tous ces aspects : l’environnement socio-économique, l’environnement de la formation, la question de la gouvernance, donc l’insécurité, l’environnement, le fait qu’on se sente sous pression, il n’y a pas de perspectives. C’est vrai, j’ai un petit revenu, je me débrouille quelque part, j’ai un revenu, mais est-ce que ça peut permettre de construire un avenir. Donc ils n’ont pas toujours la perspective d’un meilleur avenir ici.

Quelque part, ils se disent, mieux vaut aller ailleurs parce que j’ai vu un frère qui est parti et ça marche. Donc après cette raison fondamentale qui est la recherche d’un mieux-être qui est pour nous une conception philosophique, culturelle, sociologique…ce concept reste abstrait. Parce que c’est quoi le mieux-être ? Chacun peut avoir sa définition. Certains ont moins du SMIG, ils se disent ça va. Eux, ils sont dans la fourchette de 100 à 200.000 francs comme revenu, c’est ne pas suffisant, mais ils se disent qu’ils peuvent trouver mieux.

La deuxième raison, c’est bien entendu le chômage. La situation précaire de certains qui se disent : « je suis ici, je n’ai pas la sécurité économique donc je dois aller ailleurs pour trouver cela ». Donc ils vont pour des questions économiques. Donc en ce moment, ce sont les parents qui financent le voyage. Les parents se disent, il faut donner les moyens. Les parents mobilisent donc les ressources – notamment les mamans – pour qu’ils partent.

N’y a-t-il pas aussi le fait que l’Occident soit présenté comme un eldorado ?

Et puis à côté, il y a d’autres raisons comme l’illusion de l’Occident. Cela est entretenu par beaucoup de facteurs. On a eu la génération ‘’coupé-décalé’’ où on a le sentiment que tous ceux qui sont venus, ils ont donné le sentiment que là-bas (En Europe) ça va, qu’on peut avoir l’argent et puis revenir le distribuer, venir faire la java, comme on le dit. C’est entretenu aussi par notre histoire, la colonisation, où on donne le sentiment que c’est ce qui vient de l’Occident qui est bon. Donc de toutes les manières, là-bas, c’est sûr que ça va. Mais c’est aussi entretenu par les médias.

On regarde aujourd’hui la télévision, c’est ce message qui est véhiculé. Et puis, il y a d’autres raisons qui relèvent aussi de l’ordre économique. C’est que certains qu’on a rencontrés ont une activité économique. Ils ont un petit commerce, une activité économique qui leur permet justement de se construire. Mais ils ont le sentiment que l’environnement économique n’est pas favorable aux très petites entreprises, donc l’environnement des affaires. Quelqu’un, il a un ou deux millions de francs. Il se dit je vais investir dans une affaire, dans un commerce. Mais l’environnement n’est pas favorable pour que je rentabilise, donc il ne croit même pas que son investissement peut produire.

Magloire N’Dehi, chargé de programme et communication de de la fondation Friedrich Naumann

On a rencontré certains qui avaient un commerce qui marchait, mais qui ont suspendu le commerce, qui ont pris le capital et qui sont partis. Et certains vous disent que c’est difficile pour avoir un marché. La corruption dans le milieu des affaires fait qu’ils se disent, c’est vrai j’ai de l’argent, j’ai deux millions, mais quand je vais investir, dans cinq ans, dans 10 ans, est-ce que ça va me rapporter. Ils se disent, ce n’est pas certains parce que j’ai vu mon frère qui a lancé son entreprise mais ça n’a pas marché parce que l’environnement n’est pas favorable. Donc je préfère prendre les deux millions, faire le voyage, là-bas, c’est sûr que je vais m’en sortir. Donc il y a aussi ce facteur de l’environnement des affaires qui fait que des gens ne croient plus…

Donc en somme, vous parlez de recherche de mieux-être, d’emploi, d’environnement des affaires. En clair, si on améliore la gouvernance, finalement, on réduira drastiquement ce phénomène…

C’est vrai qu’on ne va pas le réduire à 100% parce que le phénomène migratoire existe depuis des siècles. Ce qui va se faire, c’est que beaucoup seront moins enclins à partir. Donc il faut créer des perspectives notamment pour les jeunes. Les gens ne voient pas un horizon favorable. Ils se disent, est-ce que demain, ça ira. Donc quand ils ne voient pas l’horizon, ils se disent la meilleure manière, c’est de partir. On a rencontré plusieurs candidats au départ. Certains sont partis, certains veulent partir, certains sont revenus, ça reste toujours l’horizon, les perspectives. Ils ne croient plus en l’avenir sous nos tropiques.

Ça aussi, effectivement, il s’agit des questions de gouvernance. Si vous remarquez, on a connu le pic depuis la crise que la Côte d’Ivoire a connue. Donc on comprend que les Ivoiriens ne sortaient pas beaucoup, n’était pas dans ce peloton des grands migrants irréguliers, mais depuis la crise, les dix dernières années de crise que nous avons connus, ça a créé un environnement assez obscur et c’est là que nous avons connus le boom. Ça veut dire que l’environnement sociopolitique, l’environnement de la gouvernance a un impact considérable. Regardez le Niger. Le Niger fait frontière avec la Lybie mais il n’est pas dans le top 5 des départs. Un pays qui est plus proche et qui est beaucoup plus pauvre que la Côte d’Ivoire, qui fait frontière avec la Libye, donc c’est plus facile pour eux de partir, mais ils ne partent pas.

On peut se poser la question : est-ce que l’environnement politique, la stabilité socio-politique et militaire n’est pas une raison qui pousse les gens à partir ? Quand on regarde les pays qui sont dans le top, quand vous prenez le Nigéria, avec la situation de Boko Haram, l’instabilité, donc ça peut être des facteurs considérables qui font que les gens se disent que ce n’est pas très évident qu’on puisse trouver notre bonheur ici.

Est-ce que ceux qui sont revenus sont prêts à repartir ?

Pour certains, oui, pour d’autres non.

Ceux qui ne veulent plus tenter l’aventure, quelles sont les raisons qu’ils évoquent ?

Le danger, tout ce qu’on leur a fait croire, déjà le départ va être facile, la route c’est facile, ils se sont rendus compte que c’est faux. Déjà, vous êtes dépouillés de tous vos biens sur la route par ces trafiquants dans le désert. Vous êtes pris en otage donc on vous rançonne durant tout le parcours. Quand vous montez sur le bateau, il y a la mort. Certains ont vu leurs frères mourir en pleine mer. Ceux qui ont pu échapper ce sont retrouvés sur les côtes mais après vous êtes dans des situations très précaires là-bas. Vous êtes obligés d’être rapatriés parce que vous dormez en pleine rue, dans des camps de fortune.

Et ceux qui veulent partir aujourd’hui malgré les difficultés et les risques, comment ils le justifient ?

Ceux qui veulent repartir se disent, j’ai vu un, deux, trois, qui malgré les situations, sont arrivés. Donc je pense que moi aussi je peux faire partir de ce groupe. Mais en réalité, ils le disent souvent par désespoir. Quand ils se calment, quand vous échangez avec eux, ils n’ont plus envie de vivre l’expérience. Donc fondamentalement, la question c’est que les gens ont perdu espoir. C’est ça qu’il va falloir reconstruire.

Propos recueillis par Anderson Diédri

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