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Nouvelle crise du cacao : les exportations bloquées

Le cacao ivoirien ne s’exporte plus en témoigne les longues files de camions dans les ports d’Abidjan et de San Pedro. La raison qui explique cette situation est la baisse du prix de cette matière première agricole sur les bourses internationales notamment celle de Londres.

Divo, Gonaté, M’bahia-Koffikro, Gabiadji, Vavoua…dans tous ces haut-lieux de la production et du négoce de Cacao, la tristesse et la désolation se lisent sur le visage des producteurs. Les fêtes de fin d’année ont eu un goût amer pour les amoureux de la terre qui n’ont pas pu profiter du fruit de leurs efforts. En effet, depuis la fin du mois de novembre 2016, le prix du cacao est en chute libre. Au pays des éléphants – premier producteur mondial – les sacs de cacao s’entassent dans les entrepôts des coopératives, idem pour ceux des exportateurs qui attendent des jours meilleurs avant de faire bouger leurs achats. Prendre le risque de vendre une seule tonne de cacao en cette période d’incertitude sur le marché mondial, c’est avant tout vendre à perte.

La dégringolade du prix à la bourse

Le prix bord champ fixé à 1.100 f CFA par le Gouvernement Ivoirien est indexé sur le prix mondial. Pour permettre à tous les acteurs de s’en tirer à bon compte et pouvoir respecter le prix d’achat bord champ pour la campagne, la tonne de cacao sur la bourse ne peut descendre en dessous des 1.800 livres (GBP) soit 2.200 dollars (US) ≈ 1.370.000 f CFA. C’est ce prix pratiqué à l’international qui est aujourd’hui en chute libre. Le prix le plus attractif du cacao sur la bourse de Londres qui était fixé à 2.512 livres remonte au 18 août 2016. Depuis cette date, le prix qui cacao ne cesse de baisser. Le prix a atteint la barre critique des 1.698 livres le 9 décembre 2016 après une semaine de dégringolade qui a débuté le 29 novembre 2016.

Chute du prix du cacao depuis le 18 août 2016 (Graphique Eburnie Today)

En des termes plus simples, pour que le prix bord champ soit fixé à 1.100 f CFA/Kg, il faut que le cacao puisse se négocier au bas mot à 2.200 f CFA/Kg à Londres or il est aujourd’hui d’environ 1750 à 1800 f CFA/Kg. Face à cette morosité inquiétante sur le marché mondial, aucun exportateur ne semble disposé à vendre. Résultat, ce sont les producteurs qui sont gagnés par le découragement.

« En début de campagne les gens faisaient les déblocages (méthode de ventes anticipées) autour de 1.800, 1.850 voire 1.900 f CFA. Vous ne pouvez pas faire les déblocages à 1.900 f CFA et aller vendre à 1.750 f CFA ! Il y a un problème » nous explique Yatté Adou, directeur de Société coopérative agricole Binkadi d’Affery (SOCOOPABA).

Dans l’immédiat deux options peuvent permettre de juguler la crise du cacao. La première est la révision à la baisse du prix d’achat bord champ bien qu’elle soit moins avantageuse pour les paysans. La deuxième option est purement et simplement l’annulation des taxes imposées à l’exportation et le maintien du prix bord champ. Les paysans et les exportateurs seront les premiers bénéficiaires mais l’Etat de Côte d’Ivoire enregistrera un manque à gagner énorme.

Les sacs de cacao s’entassent chaque jour un peu plus dans les entrepôts

Du jamais vu depuis la stabilisation

Au siège de la Coopérative agricole d’Affery (COOPAF), 8 chargements de cacao de 30 tonnes chacun attendent désespérément. Aka Yapi Martial le directeur de la coopérative ne cache pas son amertume.

« Depuis la stabilisation lors de la campagne 2011-2012, c’est cette année que nous rencontrons ces difficultés : on n’a jamais vécu une telle situation. Lorsque les sacs de cacao sont convoyés vers les exportateurs, vous pouvez facilement être en stationnement pendant au moins une semaine avant le déchargement d’un seul camion. Ces dernières semaines la situation s’est durcie : tout est bloqué depuis près d’un mois ».

Ce ‘’blocus’’ sur le cacao entraine d’importants préjudices pour les producteurs et les coopératives. Les ressources sont de plus en plus rares pour assurer les besoins quotidiens des agriculteurs et leurs familles notamment les chapitres santé, éducation et alimentation. Pour les coopératives, c’est le gel forcé des salaires et des dépenses courantes pour satisfaire les fournisseurs. Parmi ces fournisseurs, les compagnies de transport.

« La COOPAF loue le véhicule de transport à 350.000 f CFA pour 3 jours. Une fois ce délai passé, une pénalité de 30 à 50.000 f CFA/jour s’applique » indique Aka Yapi Martial.

Depuis le début de cette crise dans la filière cacao, les exportateurs communiquent très peu – ou même pas du tout – sur les causes réelles du blocage. Seul le Conseil du Café Cacao (3 C) a adressé une note officielle aux coopératives pour réaffirmer le maintien du prix bord champ à 1.100 f CFA.

Fac-similé du communiqué officiel du Conseil du Café-Cacao invitant les acheteurs au respect du prix bord champ

Certaines entreprises qui ont vu venir la situation ont cependant anticipé. Traoré Adama, membre du conseil d’administration de la Société coopérative agricole Gédéon d’Affery (SCOOPAGEA) nous indique que le chocolatier CEMOI avait averti la coopérative d’un possible ralentissement au niveau des ventes dans la filière.

« Le cacao est commercialisé au niveau de la coopérative. Les chargements que nous avons convoyés vers CEMOI ont été effectivement déchargés. Un total de 3 chargements dont deux de 25 tonnes et un autre de 37 tonnes ».

Quand le silence entretient la colère

Les quelques ventes réalisées par les coopératives ne représentent que de brefs moments d’éclaircis dans le ciel sombre du cacao ivoirien. Car en plus du blocage, les acheteurs véreux refont surface dans les plantations. Le prix garanti du kilogramme de cacao dans certaines régions n’est pas respecté compte tenu du refus des exportateurs d’acheter le cacao. Le prix bord champ est fixé à la tête du client et oscille entre 900 et 1.000 f CFA. Au-delà, c’est le silence du Gouvernement et du Conseil du Café-Cacao qui alimente les plus folles rumeurs et la colère des producteurs dans le milieu du cacao.

Il se passe de bouche à oreille que le Président Alassane Ouattara aurait imposé lui-même le blocus sur les exportations pour faire grimper le prix à l’international puisque la Côte d’Ivoire produit 40% du cacao mondial. D’autres bruits de couloir font état d’une directive interdisant l’exportation du cacao venue directement du Conseil du Café-Cacao. Les moins alarmistes ont décidé de faire un lien entre la chute du prix du cacao et le Brexit notamment la dépréciation de la livre face au dollar et à l’euro… Toutes ces rumeurs ne font qu’accroître les craintes des producteurs déjà gagnés par le découragement.

Depuis deux mois, seuls quelques camions ont pu déverser leurs chargements dans les différents ports

La Coordination nationale des planteurs de Côte d’Ivoire (CNPCI) est montée au créneau pour dénoncer l’exploitation des producteurs par les acheteurs véreux. La CNPCI soutient que l’atmosphère de mauvaise gouvernance au sein de la filière café-cacao est pour beaucoup dans cette nouvelle crise. Surtout que le fond de réserve sensé servir en cette période de disette n’est étrangement pas opérationnel. Les conclusions du rapport de l’audit sur le Programme de vente anticipé à la moyenne (PVAM), réalisé le 29 septembre 2014 par le cabinet PWC d’Edouard Messou et Associés relève que « la BCEAO se refuse de divulguer toute information relative au montant exact du fonds de réserve ».

« Pire selon les mêmes conclusions, les 40 milliards déclarés par Massandjé Touré Liste (directeur général du Conseil du café-cacao ndlr) comme fonds de réserve, devant garantir le prix d’achat du café et du cacao aux producteurs, sont largement en deçà des prévisions estimées à 120 milliards » s’insurge Bilé Bilé président de la CNPCI.

En attendant que le fond de réserve ne soit activé, le Conseil du Café-Cacao tente de trouver une solution à la crise. Le mardi 10 janvier 2017, le président du conseil d’administration (Lambert Kouassi Konan ndlr) et l’armateur Olaf Dimter, responsable de la société UNICARGO Transport ont eu un échange.

« Cette rencontre qui s’est tenue en présence des directeurs généraux-adjoints des Ports de San Pedro et d’Abidjan, a été initiée en vue de faire face rapidement à la lenteur de l’évacuation du cacao stocké dans les deux (2) ports » a indiqué Lambert Kouassi Konan.

Bien que les points discutés n’aient pas été rendus public, Olaf Dimter a exprimé la volonté de sa structure et de son partenaire SONITEX Logistics d’œuvrer en accord avec le Gouvernement de Côte d’Ivoire enfin de mettre fin à cette nouvelle crise du cacao. Cependant, ne nous voilons pas la face: dans la filière cacao, tout est question d’intérêt et surtout d’argent. Au-delà des bonnes intentions affichées ici et là, il faudra consentir à des sacrifices – notamment financiers – pour mettre fin à cette crise du cacao qui n’a que trop duré.

SUY Kahofi & Anderson Diedri

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