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Orpaillage et braconnage : les principales menaces qui pèsent sur le Parc national de la Comoé

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Orpaillage, braconnage et autres agressions minent le Parc national de la Comoé (PNC) depuis la reprise en main de sa gestion par l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) après la crise ivoirienne de 2010. Ceci n’a pas empêché la riche biodiversité de cette aire protégée de se régénérer et d’être en bon état de conservation aujourd’hui.

Inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1983, le Parc national de la Comoé (PNC) est un sanctuaire de conservation de la biodiversité. Situé dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, avec une superficie de 1 148 756 ha, le PNC est la plus grande aire protégée de Côte d’Ivoire, la troisième en Afrique de l’Ouest après la Réserve de l’Aïr-Ténéré du Niger (7 736 000 ha) et le Parc national du Banc d’Arguin en Mauritanie (1 200 000 ha). Il fait partie d’un réseau de 16 aires protégées, à savoir huit parcs nationaux et huit réserves naturelles que compte le pays, dont la gestion est assurée par l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR) créé en 2002. Malgré les efforts déployés pour sa conservation, le parc subit de multiples empiètements.

Le parc national de la Comoé est une aire protégée qui présente une diversité de formations végétales (formations savanicoles, forêts claires, boisements denses, formations aquatiques et savanicoles). On y trouve également une faune variée composée de grandes communautés d’espèces de mammifères. Comme le souligne Zago Hugues Martial, chercheur spécialiste des Oiseaux du parc :

« La faune ivoirienne présente un endémisme très faible, il faut comprendre par là qu’il y a peu d’espèces rares qui vivent uniquement que dans les écosystèmes présentes en Côte d’Ivoire. Cependant, le PNC a la particularité d’être un vestige relativement bien conservé des savanes ouest-africaines et de la faune typique de cet écosystème. Cela dit, malgré la crise qu’a connue le pays, de nombreuses espèces comme les antilopes chevalines (les Hippotragues), les cobes Defassa, les Bubales dont les populations sont décroissantes à travers toutes leurs aires de distribution se trouvent dans ce parc. Des espèces emblématiques comme le Chimpanzé et l’Eléphant chez les Mammifères s’observent dans les forêts du sud-ouest. Des nombreux rapaces et oiseaux migrateurs sont inféodés aux savanes du parc ». Le parc regorge d’une diversité de faune suivant ses différents habitats.

Source : Dr Atta Cyrille-Joseph, 2022

Le PNC procure aussi maints services écosystémiques (avantages), notamment une bonne qualité de l’air, une source d’approvisionnement en eau potable, un microclimat favorable à l’agriculture particulièrement la culture d’anacarde et de coton dans la zone périphérique, etc. Malgré les efforts pour sa préservation, cette aire protégée est l’objet de multiples agressions qui constituent une menace pour la conservation de la biodiversité faunique et floristique qu’elle regorge.

L’orpaillage et le braconnage, les principales menaces

« L’orpaillage est la principale agression que subit le parc national de la Comoé », constate le Lieutenant N’Guessan Yao Emile, Chef secteur Bouna de la Direction de zone nord-est (DZNE). Ce phénomène a pris de l’ampleur dans la zone de Bouna avec la crise ivoirienne de 2010 qui a engendré la pénétration dans le parc et sa périphérie entre 2014 et 2016 des orpailleurs originaires pour la majorité des pays voisins comme le Burkina Faso, le Mali et la Guinée.

Depuis lors, ce phénomène s’est intensifié dans le parc. « Le phénomène de l’orpaillage s’observe dans des zones bien précises du parc, notamment le sud-est et le nord situées dans les secteurs Bouna, Téhini et Nassian », fait remarquer le Lieutenant-Colonel Zouo Richard, coordinateur de la brigade mobile de la DZNE. Grâce aux différentes missions et aux recoupements d’informations reçues, la brigade mobile déploie ses agents sur le terrain afin de traquer les agresseurs du parc. Elle a pu durant ses patrouilles régulières dans le parc saisir 600 orpailleurs et 85 braconniers entre 2017 et 2021.

Plus les patrouilles s’intensifient, plus les arrestations augmentent. L’année 2020 le montre bien puisque la brigade a ratissé 93,5% du parc, ce qui a occasionné l’arrestation de plus de braconniers et d’orpailleurs sur ces cinq dernières années.

Le braconnage était la première agression que subissait le parc avant la crise postélectorale de 2010. Aujourd’hui, le braconnage a régressé dans sa forme traditionnelle. Il est désormais associé à l’orpaillage clandestin dans le parc. En effet, pendant leur séjour dans le parc pour exercer leur activité illicite, les orpailleurs pour s’alimenter, braconnent et boucanent les animaux qu’ils trouvent. Dès lors, nous n’avons plus affaire aux grands chasseurs qui venaient du pays voisin, le Burkina-Faso et dont l’objet premier était de faire le commerce de la viande boucanée.

Il est important de noter que les peuples Koulango et Lobi sont à l’origine des agriculteurs, mais avec l’avènement de l’orpaillage qu’ils se sont appropriés, ils se sont transformés en braconnier occasionnel pendant leur séjour dans le parc où toutes les espèces d’animaux à porter de main sont abattues pour leur alimentation », relate Lieutenant-Colonel Amara Ouattara, Chef de service suivi écologique et système d’information géographique à la DZNE.

« Nous savons que nous devons protéger les animaux qui sont dans le parc. Nous-même, on ne consomme pas les animaux sauvages. Parmi eux, il y a des totems comme le crocodile, la biche noire, le serpent (vipère), l’éléphant, la tourterelle (rouge) que nous respectons actuellement. On sait aussi qu’il faut protéger le PNC pour prévenir la sécheresse, sinon on ne pourra pas bien pratiquer l’agriculture », ajoute Ouattara Koffi du village de Bania.

Un groupe de Cobe de Buffon (photo DR)

Ces deux activités ont une incidence sur la population de certains animaux comme le buffle africain Syncerus caffer (Sparrman, 1779). Une étude menée en 2018-2019 sur cette espèce par Dr Atta Cyrille-Joseph, spécialiste en mammalogie, met en évidence les indices d’activités humaines qui menacent le parc. « La pression sur le parc a considérablement diminué depuis les actions engagées par le nouveau coordonnateur de la brigade mobile. Il a mis en arrestation plusieurs membres des communautés qui travaillaient avec l’OIPR mais qui se sont avérés être des indicateurs pour des orpailleurs du parc après enquête. En revanche, l’OIPR a un déficit d’agents pour les patrouilles de surveillance, ceci explique la recrudescence des agresseurs dans le parc », explique-t-il aujourd’hui.

A côté de ces deux agressions majeures du parc, il faut noter les cas de transhumance et de pêche. La transhumance est un danger pour la biodiversité du parc dans la mesure où elle occasionne des cas de zoonoses, maladies transmises d’espèces animales domestiques (comme les bœufs, les moutons, les volailles, etc.) aux espèces sauvages du parc et vice-versa. La pêche qui est tout aussi illégale se pratique dans la zone de Kafolo.

Des actions au profit des communautés riveraines

Les agressions constituent une menace pour la conservation de la flore et de la faune et la fourniture des services écosystémiques aux populations. En effet, les aires protégées sont par excellence la solution de conservation de la biodiversité dans son état naturel. C’est pourquoi, certaines font l’objet de protection au niveau international par la convention du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le parc national de la Comoé est une aire protégée inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. La Direction de zone nord-est, qui est chargée de la gestion de ce parc, est subdivisée en cinq secteurs : Bouna, Dabakala, Téhini, Nassian et Kong. Chaque secteur est dirigé par un chef secteur. La brigade mobile est le service en charge de la répression dans le parc, le service suivi écologique et système d’informations géographiques est chargé de l’inventaire des espèces qu’abritent le parc. Le service des mesures riveraines accompagne les communautés à la périphérie (20 sous-préfectures qui ceinturent) en vue de leur implication dans la préservation du parc.

A ce sujet, le Lieutenant-Colonel Kissi D’Andous, chargé des mesures riveraines, assure que : « la réalisation des micro-projets et autres infrastructures sociocommunautaires, mis en place à travers les projets et programmes des partenaires de l’OIPR dans les villages prioritaires situés dans un rayon de 5 km environ et parfois, au-delà, autour du parc, s’inscrit dans la durabilité et est un processus en cours. Les résultats ne sont pas forcément visibles actuellement mais nous sommes sur le terrain pour suivre les activités mises en œuvre et contribuer ainsi au développement socio-économique de la Zone périphérique du parc ».

Le chargé d’études, responsable du suivi et évaluation suit toutes les activités des autres services afin de dégager la performance de la DZNE quant à l’exécution du Plan d’Aménagement et de Gestion du PNC et son amélioration.

Renforcer les fonds pour la conservation du parc

La conservation de la biodiversité est la priorité de plusieurs institutions et organisations. Ainsi, le PNC bénéficie de projets et programmes soutenus par divers partenaires techniques et financiers, comme le projet « Protection de la biodiversité du Parc national de la Comoé » financé par la Coopération allemande (KFW) et prévue de 2021 à 2025.

Le budget de fonctionnement du parc est insuffisant. Il est de l’ordre de 300 millions de F CFA annuellement, alors que les estimations pour assurer un fonctionnement efficient s’élèvent à au moins 600 millions de Francs CFA par an.

La synergie de l’ensemble de ces services et des différents bailleurs de fonds a permis à la faune de se reconstituer et de sauvegarder leurs habitats critiques. Tous les grands Mammifères (les Bubales, les Cobes de Buffon, les Hippotragues, les Cobes de Fassa, les Eléphants, les Guibs harnachés, les Chimpanzés, etc.), qui étaient très rares dans ce parc en 2012, se retrouvent en effectifs forts encourageants. Ce qui lui a valu d’être retiré en 2017 du patrimoine mondial en péril de l’UNESCO après y être inscrit en 2002 en raison du braconnage intensif et l’absence de l’équipe de gestion.

Le suivi écologique, un outil efficient de conservation

Pour conserver la biodiversité et gérer efficacement des aires protégées, il faut régulièrement connaitre l’état des espèces et écosystèmes qui s’y trouvent afin de prendre des décisions pour résoudre les problématiques auxquelles ils sont confrontés. Ainsi, le suivi-écologique ou biomonitoring consiste à collecter sur le terrain le maximum de données nécessaires pour observer la dynamique d’une population animale et/ou d’un habitat ».

Les missions de suivi et évaluation se font régulièrement au sein du parc, selon le Lieutenant-Colonel Ouattara Amara, chef de Service suivi écologique depuis 2013 : « de 2014 à ce jour, nous avons fait cinq inventaires aériens de la faune du parc, donc le dernier vient à peine de s’achever en mai 2022. Depuis 2018, nous avons commencé le suivi de la faune aquatique et analysé la qualité de l’eau à travers les tests physico-chimiques parce qu’en amont du fleuve Comoé, du côté Burkina-Faso, l’activité d’orpaillage se pratique. Il faut donc suivre pour voir s’il n’y a pas d’impact sur les espèces aquatiques et la qualité de l’eau ».

L’inventaire aérien de la faune fournit des données (estimations des espèces) qui sont complétées par des missions faites par les agents sur le terrain. En ce qui concerne l’évolution de la végétation, le Lieutenant-Colonel Ouattara Amara précise : « nous avons une carte d’occupation du sol qui nous permet de savoir qu’il existe environ 90% de savane et 10% de formation forestière. Mais nous ne faisons pas encore d’inventaire floristique et de même qu’il n’y a pas de données sur les questions climatiques. Seulement dans les nouvelles orientations et partenariats, nous allons procéder à la mise à feu expérimentale des zones savanicoles prévue dans la stratégie de gestion des feux pour maintenir les formations savanicoles importantes pour les espèces qui y vivent ».

En plus du suivi écologique, il y a la recherche. Le PNC abrite une station de recherche qui contribue à l’orientation de la gestion du parc. Pour ce faire, des conventions de partenariat sont signées avec des universités en l’occurrence l’Université Félix Houphouët-Boigny, l’Université Nangui Abrogoua et celle de l’Université Peleforo Gon Coulibaly est en cours.

L’une des mesures essentielles à la sauvegarde de la biodiversité du parc est la préservation des zones GEPRENAF (Gestion participative des ressources naturelles et de la faune) de biodiversité situées dans les localités de Warigué au nord-ouest et des Monts Tingui au sud-ouest. Sans statut particulier, ces zones appartenant au domaine rural, qui ne relève pas de la compétence de l’OIPR, ne font pas objet d’investigations des agents de la direction de zone. Même s’il s’avère que certaines espèces de faune telles que les Mammifères s’y réfugient par moment, comme le montrent les inventaires aériens du service de suivi écologique.

Sonia Kouadja

Cette enquête a été réalisée avec l’appui de Eburnie Today et l’ONG IDEF dans le cadre du projet “Building the biodiversity media champion network in Côte d’Ivoire” soutenu par Earth Journalism Network et Internews Europe.

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