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Parrainage citoyen : les ivoiriens entre doute et interrogation

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Le parrainage citoyen a été introduit à l’article 53 du code électoral lors de sa révision par ordonnance du président de la République en avril 2020. Depuis ce jeudi 16 juillet, les aspirants candidats sont invités à déposer leur dossier de candidature auprès de la commission électorale indépendante. Parmi les pièces du dossier de candidature, il faut y avoir le parrainage d’au moins 1% du corps électoral avec une représentativité géographique nationale. Autrement dit, chaque aspirant candidat doit être parrainé par au moins 1% des personnes inscrites sur la liste électorale dans chaque région et dans les deux districts autonomes. Nous avons demandé l’avis de certains électeurs sur cette nouveauté.

Dans un coin de rue près de la station pétro ivoire d’Angré dans la commune de Cocody, des hommes regroupés autour d’un tableau de « loto » parlent de tout et de rien. Quand l’on leur demande un avis sur le parrainage des candidats à l’élection, personne n’en a entendu parler et ne sait ce que cela signifie précisément. Après explication de la règle tel que prévue par le code électoral, un premier lâche péremptoire « de toutes les façons, cette affaire ne sent pas bon du tout. Toute l’élection risque d’être mélangée ». Il s’appelle Alexandre et vit à Cocody depuis sa naissance il y a 41 ans. Environ un mètre soixante-dix, teint clair et un regard fuyant, il se dit extrêmement préoccupé pour les prochains mois.

«  Je crains de nouvelles violences comme pour 2010. Et dans mon entourage, les gens ne parlent pas souvent mais chaque fois qu’on parle de l’élection, tout le monde pense que ça ne va pas bien se passer » poursuit-il d’une voix triste et monocorde. Comme pour se recentrer, il enchaîne « pour revenir à ta question sur le système de parrainage, c’est bien ça hein le terme ?! Je pense que ça peut être une bonne chose si l’objectif est d’avoir des candidats sérieux pas comme on a vue par le passé avec des gens qui ne pouvaient même pas défendre leur programme. Le problème ici, c’est que chaque fois qu’on a une élection, les gens inventent de nouvelles règles pour chercher à écarter des adversaires. C’est pourquoi je suis un peu mitigé sur le sujet ».

Une règle anti démocratique ?

Sur la même lancée mais avec un ton un peu plus énergique et une voix marquée, Richard, la trentaine est tout sauf convaincue par ce qu’il considère comme « une nouvelle façon d’aller acheter des votes avant l’élection ». Il ajoute par ailleurs que cette nouvelle règle fait la part belle aux partis politiques au détriment d’éventuelles candidatures indépendantes. Il argumente « les partis politiques ont leur fief donc ils pourront avoir les parrainages facilement grâce à leurs délégués locaux etc. Mais si un jeune ou disons une personne qui n’est pas dans les partis qu’on connait veut être candidat, ça sera presqu’impossible ».

Julien, étudiant, était quant à lui plutôt ouvert à l’idée avant de déchanter. Il raconte « moi quand j’ai entendu parler de parrainage, je me disais que ça pouvait être une avancée. Mais quand j’ai lu la règle, j’avoue que j’ai changé d’avis ». Selon Julien, ce n’est pas tant le fait d’avoir le parrainage qui pose problème. « Parce que pour avoir le parrainage de 1% du corps électoral, ça ce n’est pas compliqué pour une personne qui a sérieusement préparé sa candidature. Ce n’est pas ça le problème ». Le vrai obstacle dit-il, « c’est que ça doit être représentatif géographiquement. Avec une représentativité géographique, ça veut dire que le candidat doit avoir des signatures dans toutes les régions du pays. Avec toutes les reformes ces dernières années je ne sais plus on a combien de région maintenant mais ça doit être une trentaine ».

Il met le doigt sur le poids financier qui pourrait être une limite à l’ambition de possibles candidats notamment des jeunes. « Avec plus de 30 régions, déjà si tu n’as pas beaucoup de moyens pour aller partout, ça t’élimine. Pour un jeune qui veut être candidat indépendant, c’est quasi injouable. Est-ce que ça c’est la démocratie ? » Interroge-t-il.

La loi sur le parrainage a conduit à des émeutes au Sénégal (photo DR)

La fin du secret du vote ?

Pour Silué, la trentaine, il n’y a pas de doute, « c’est la fin du vote secret ou du secret du vote. C’est à vous de voir hein mais on se comprend ». Quand on lui demande de développer, il hésite un moment, marmonne des propos et se lance « j’espère que je n’aurais pas de problème hein » dit-il d’abord d’entrée. Puis développe « moi franchement je ne comprends pas cette affaire. Je pensais que le vote était secret. Mais avec le parrainage, on saura d’avance pour qui je compte voter. Car j’imagine mal une personne donner son parrainage à un candidat pour lequel il ne compte pas voter ». S’adressant à nous avec un sourire et un gestuel cherchant approbation de ses propos, il interroge « entre nous, toi-même est-ce que tu peux donner ton parrainage à quelqu’un pour qui tu n’es pas prêt à voter ? » Et lui de répondre en même temps « c’est une question de logique hein ».

Le même argument de la fin du secret du vote est aussi avancé par madame Asso mais pas que. A bord de sa 4X4, elle accepte de donner son avis après avoir pris son carburant à la station. Cadre dans une entreprise, elle dit ne pas vraiment s’intéresser à la politique même si elle a toujours voté et qu’elle le fera « bien-sûr en octobre prochain ». « Honnêtement je ne suis pas très informée de ce qui se passe actuellement sur l’élection. Je sais qu’il y a eu l’enrôlement. Ça j’ai bien suivi mais après le reste je n’en sais rien ». Entame-t-elle avec une certaine nonchalance dans le propos. « Mais tel que vous avez expliqué, je pense que dans un pays comme la Côte d’Ivoire ça peut être compliqué ».

Ce n’est pas tant le principe du parrainage qui pose question selon elle. En effet, développe-t-elle avec cette fois un peu plus d’enthousiasme « chez nous ici (en Côte d’Ivoire ndlr) quand on veut faire ça, mieux vaut qu’on le fasse au niveau des députés, les élus locaux quoi. Sinon quand c’est les électeurs, on va connaitre le vote de ceux qui parrainent. Or le vote est et a toujours été secret. C’est l’une des rares choses universelle. Il n’y a aucun pays au monde, à ma connaissance où, on connait le vote d’un électeur avant l’élection. Mais en donnant un parrainage, c’est clair qu’on va voter pour celui à qui on a donné son parrainage ».

Pour cette raison « je pense que ce n’est pas une bonne chose et moi personnellement, je ne donnerai pas de parrainage à un potentiel candidat. Je déconseillerais même de le faire ». Pour elle, c’est en plus une règle très dangereuse pour la démocratie parce que « connaissant les ivoiriens, ça va ouvrir la porte à des marchandages incroyables ». Elle s’en réjouit un peu car « pour une fois, ce sont les politiciens qui vont devoir demander des choses avant même d’être candidat et ils vont sans doute devoir payer certains pour avoir leurs parrainages. Et au final ça va profiter à des personnes. Mais ce n’est certainement pas une bonne chose pour la démocratie. C’est mon avis ». conclue-elle avec force et presque lyrique.

« C’est une très grande avancée démocratique »

Justement, le fait que ce ne soit pas les élus qui parrainent, voilà ce qui séduire Jean. Fonctionnaire, il se dit très heureux qu’on donne cette « grande considération aux citoyens ». Selon lui, dire qu’on n’est pas d’accord avec cette règle relève juste « de la mauvaise foi ». Très offensif dans le ton, il déroule « je pense que les gens ne savent pas ce qu’ils veulent souvent. On dit toujours que les citoyens ne comptent pas etc. Aujourd’hui on dit parrainage citoyen et il se trouve des personnes pour critiquer ça encore. Franchement, certains ne savent pas ce qu’ils veulent. Pour moi, c’est une très grande avancée démocratique ». Il poursuit son propos en évoquant l’élection présidentielle de 2015. Selon lui, certains candidats ont pu mettre l’image du pays en péril.

« Moi je me souviens très bien que beaucoup d’ivoiriens se sont moqués de certains candidats lors des élections de 2015. Y a une dame qui était candidate mais qui ne pouvait même pas défendre son programme à la télé. On s’est tous moqué. Mais imagine pour les étrangers voir ça. C’est l’image du pays qui s’en va. Les autres vont nous voir comment ? » Interroge-t-il. Avant de conclure « il faut qu’on soit un peu sérieux. Si tu n’es pas capable d’obtenir le parrainage de 1% du corps électoral, c’est que tu n’es pas digne d’être candidat. C’est aussi simple que ça ».

La commission électorale indépendante (CEI) a rendu public ce vendredi les « statistiques de nombre de parrains requis par région et district ». Sans surprise, c’est Abidjan qui a le plus grand nombre de parrain requis. En effet, avec une population électorale de 1 861 108, le nombre de parrain requis dans le district autonome d’Abidjan est de 18 612. Tandis que la région du Folon dont le nombre de population électorale n’est que de 30 132 a le plus faible nombre de parrain requis. Seulement 302 parrains que les aspirants candidats vont devoir aller chercher.

Traoré Bakary

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