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Présidentielle ivoirienne de 2025 : du rôle des médias ivoiriens contre la désinformation

La désinformation constitue un enjeu critique à l’approche des élections d’octobre 2025 en Côte d’Ivoire, notamment en raison de sa propagation rapide sur les réseaux sociaux. Pour prévenir les risques de tensions et de violences, plusieurs initiatives ont été mises en place afin de former et sensibiliser les citoyens, ainsi que les professionnels des médias, acteurs essentiels dans la chaîne de l’information.

Traoré Bakary & Martine Zogbé – Eburnie Today

Depuis près d’une dizaine d’années, l’écosystème informationnel de la Côte d’Ivoire fait face à au moins deux types de menaces. Les manipulations domestiques de l’information et les manipulations étrangères de l’information (FIMI). La première est essentiellement menée par des acteurs se présentant comme des influenceurs proches des chapelles politiques et la seconde est orchestrée principalement par des pages et comptes localisés en dehors de la Côte d’Ivoire, notamment dans des pays voisins  (1, 2, 3).

Ces deux menaces ont poussé les autorités ivoiriennes à accentuer la lutte contre la désinformation à travers une vaste campagne nationale de sensibilisation dénommée En ligne tous responsables et un renforcement du cadre législatif à travers l’article 65 de la loi n°2013-451 sur la cybercriminalité et l’article 372 du Code pénal ivoirien, qui prévoient des sanctions allant de six mois à deux ans d’emprisonnement et une amende d’un à cinq millions de francs CFA pour la diffusion de fausses informations.

En dépit de cette offensive portée par le gouvernement et ses partenaires dont l’Ambassade des Etats Unis en Côte d’Ivoire et l’Union Européenne, force est de constater que le phénomène des fausses informations mêlé aux discours de haine gagne en puissance notamment dans le contexte électoral.

« Il y a une tendance accrue de la désinformation notamment sur les réseaux sociaux et cela constitue un défi important pour les médias ivoiriens dans le contexte électoral. Il s’agit du défi de la rigueur dans le traitement et la diffusion de l’information pour contrer les fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux », a souligné Alafé Wakili, commissaire général de Abidjan Media Forum 2025.

Lors d’une brève interview accordée Eburnie Today, le 18 septembre 2025 durant le forum, il a rappelé l’impact de la désinformation et ses dangers pour la stabilité d’un processus électoral. Il s’agit, entre autres, « de la crise de confiance envers les institutions, le trouble à l’ordre public, les offenses aux hommes politiques et au chef de l’Etat ou l’instauration d’un climat de panique ».

Créer la psychose et l’inquiétude

La désinformation en période électorale ivoirienne se manifeste souvent par de fausses déclarations, des images et vidéos sorties de leur contexte, des rumeurs anxiogènes (enlèvement d’homme politique), de faux contenus médiatiquehttps://eburnietoday.com/le-monde-diplomatique-na-jamais-revele-lingerence-de-la-france-dans-les-elections-ivoirienne-et-camerounaise-podcast/s ou des publications mensongères sur la santé des candidats à la présidentielle. L’intelligence artificielle (IA) est également de plus en plus utilisée pour créer des contenus trompeurs.

Des rumeurs sur l’arrivée de 700 militaires français en Côte d’Ivoire pour sécuriser les élections, sur un affrontement entre partisans d’Alassane Ouattara et de Tidjane Thiam ou encore sur l’ingérence de la France dans les élections ivoiriennes sont autant d’exemples diffusés pour créer l’inquiétude et la confusion autour de la présidentielle. Ces fausses informations circulent dans le même écosystème que les informations crédibles partagées par les médias. Dans ce contexte, comment arriver à distinguer la vraie information de la fausse ?

« Il faut tout simplement que les journalistes apprennent à certifier l’information : j’entends par certifier l’information proposer une information vraie, sourcée, crédible et capable d’être vérifiée par le citoyen. La prolifération des fake-news sonne l’heure de gloire du journalisme professionnel qui permet aux hommes de médias de se distinguer des autres faiseurs d’information qui aujourd’hui pullulent sur internet », explique Alain Ahimou, journaliste indépendant et fondateur du média citoyen Micro Libre.

Alain Ahimou reste convaincu que la désinformation en période électorale ne cible pas seulement les populations : elle cible aussi et surtout les journalistes et les médias. « Si un homme politique veut vendre du faux aux électeurs, l’une des manières de rendre crédible sa politique de manipulation de l’information c’est de la faire endosser par des médias. Le journaliste, pour des raisons partisanes ou économiques, devient un relai de la fausse information », soutient le journaliste.

Le professionnel des médias, désormais ciblé par la désinformation, doit éviter de se faire prendre aux pièges de la manipulation car des contenus faux diffusés par les médias peuvent être lourds de conséquences lors d’un processus électoral. Cela est encore plus vrai dans un pays comme la Côte d’Ivoire où la presse, politiquement marquée, a contribué à exacerber les tensions comme le rappelle Dr Waliyu Karimu dans sa thèse « Pacifier la presse écrite en Côte d’Ivoire. Analyse de deux décennies de tentatives de professionnalisation des quotidiens ivoiriens depuis 1990 ».

« L’un des premiers pièges que les professionnels des médias doivent éviter est celui de la rapidité dans le traitement de l’information. Le piège de vouloir être le premier à diffuser l’information, la course au scoop. Il faut prendre le temps de bien vérifier les informations, de les recouper et de les sourcer avant de les diffuser », précise Dr David Youant, enseignant-chercheur en journalisme et patron du groupe de presse Alerte-info.

La précipitation dans le traitement de l’information s’est de nouveau matérialisée lors d’un dossier judiciaire impliquant un cadre du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), le 1er octobre 2025. Alors que plusieurs sites d’information en ligne avaient annoncé l’arrestation et la mise sous mandat de dépôt d’Odette Lorougnon pour propos xénophobes, le ministère ivoirien de la Justice et des droits de l’homme a démenti l’information.

Capture d’écran de la page du ministère de la justice
Légende : le site l’infodrome a retiré son article relatif à Odette Lorougnon

Le bureau du procureur a même émis un communiqué contredisant les médias trop pressés et précisant que le cadre du PPA-CI a plutôt été placé sous contrôle judiciaire.

Capture d’écran du communiqué du bureau du Procureur

Veille et formation pour contrer les fausses informations

Les deux institutions chargées du monitoring des médias ivoiriens, conscientes des dérives liées aux fausses informations ont décidé de renforcer le monitoring des médias et de miser sur la formation. L’Autorité nationale de la presse (ANP) et la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) travaillent à assainir le milieu des médias notamment face à la menace des fausses informations. L’ANP a lancé l’application « J’alerte ANP.CI ».

« C’est un outil de veille citoyenne. Un dispositif qui permet à chaque lecteur de presse de signaler d’éventuelles transgressions aux règles éthiques et déontologiques du métier. Une information inexacte ou déséquilibrée, un propos haineux ou discriminant, une image choquante, une information qui porte atteinte à la vie privée, une image non floutée qui viole la présomption d’innocence ou les droits d’auteur. En quelques clics, le lecteur pourra alerter le régulateur de manière structurée et responsable », a expliqué Koné Samba, président de l’ANP.

Cette veille citoyenne s’impose car en 2024, l’ANP a enregistré vingt-sept (27) saisines contre trente-quatre (34) saisines en 2023 pour des faits d’atteinte à l’image et à l’honorabilité, fausse information, déséquilibre de l’information ou atteinte à la confraternité. « Avec toutes ces dérives que nous observons, ces chiffres pourraient être à la hausse pour la presse d’où la nécessité de mieux former les journalistes pour comprendre les enjeux de l’information en période électorale » propose Alain Ahimou. Le journaliste indique « qu’en l’absence d’une initiative de monitoring des réseaux sociaux, le nombre de cas de discours de haine, de désinformation et d’atteinte à l’image et à l’honorabilité des acteurs politique risque d’être élevé mais restera inconnu ».

La formation, c’est justement la stratégie utilisée par la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) pour améliorer la qualité des contenus des médias et lutter contre la désinformation. À travers le projet sur « Le traitement de l’information par les radios privées non commerciales en période électorale », l’institution veut aider les acteurs des médias à produire des contenus équilibrés tout en garantissant un accès gratuit aux médias publics pour les partis politiques. En s’associant à des structures comme la Commission Electorale Indépendante (CEI) et l’entreprise Meta (Facebook, Instagram et WhatsApp), la HACA veut encourager une meilleure modération des réseaux sociaux, une bonne régulation des médias et accompagner un journalisme responsable en période électorale qui évite le piège de la désinformation.

Cet article a été réalisé par le média ivoirien Eburnie Today, membre de la Coalition Anti Dohi – une initiative qui œuvre pour l’intégrité de l’information dans le cadre de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2025. La Coalition Anti Dohi est soutenue par le projet Renforcer la fiabilité de l’information en Afrique de l’Ouest de la GIZ, dans le strict respect de l’indépendance journalistique et éditoriale qui régit la Coalition.

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