Pour les pays africains, la question n’est pas de savoir comment réduire les émissions de gaz à effet de serre et les émissions de CO2, mais plutôt comment faire face aux effets nocifs du changement climatique. Présents à Madrid, les représentants africains sont fidèles à cette ligne.
L’Afrique représente moins de 4% du total mondial des émissions de CO2, mais le continent est le plus vulnérable en termes d’impact du changement climatique, selon l’ONU. Alors que la plupart des pays du monde s’efforcent de réduire considérablement leur empreinte carbone, en Afrique, le débat semble être différent. La logique est plutôt celle de trouver des moyens de faire face au nombre croissant de catastrophes naturelles liées au changement climatique et de parvenir à un développement économique avec un minimum d’émissions de CO2. Ces deux objectifs nécessitent des fonds énormes que les pays africains ne peuvent pas mobiliser à eux seuls.
Avant le sommet des Nations Unies sur le climat qui se tient actuellement à Madrid (COP25), les scientifiques avaient averti que le monde devait réduire les émissions de carbone – cinq fois plus que ce qui avait été promis à Paris (COP 21) – si l’on veut éviter un changement climatique aux effets dévastateurs. Bien que ce programme s’avère difficile à mettre en œuvre, les différents blocs de négociation présents au sommet de l’ONU ont leurs propres priorités en fonction de leur situation et l’Afrique a les siennes.
Quelles sont les priorités de l’Afrique ?
Une étude de l’ONU estime que l’Afrique subsaharienne aurait besoin à elle seule d’un financement d’environ 50 milliards de dollars US par an pour l’adaptation au changement climatique d’ici 2050. « L’Afrique a besoin de recevoir des moyens de mise en œuvre » de son plan d’adaptation, a déclaré Tosi Mpanu, négociateur en chef du Groupe Afrique, lors d’une réunion de presse de la COP25 à Madrid. « Nous avons besoin de ressources financières, de transfert de technologie et de renforcement des capacités ». Pour Tosi Mpanu, ces requêtes de l’Afrique ne sont pas une démarche pour l’obtention d’une aide superflu. Cette prise de position est exprimé alors que de nombreux pays africains pauvres – 33 figurent parmi les 47 pays les moins avancés – s’inquiétaient du fait qu’ils n’avaient pas reçu le financement promis par les pays riches et que tout ce qui était mis à leur disposition par les organismes internationaux était très difficile d’accès.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – un organisme représentant 36 des pays les plus développés du monde – a toutefois déclaré l’année dernière que le financement public du climat des pays développés aux pays en développement était passé de 37,9 milliards dollars en 2013 à 54,5 milliards dollars en 2017. Cependant, la mauvaise gouvernance et la corruption dans certains pays pauvres ont été citées comme un des facteurs de la mauvaise gestion de ces fonds.
Pourquoi l’Afrique doit s’adapter au changement climatique ?
La nécessité pour l’Afrique de s’adapter aux phénomènes météorologiques extrêmes, dont beaucoup sont liés aux impacts du changement climatique, devient de plus en plus urgente, selon les experts. La ‘prolifération’ des cyclones, des inondations et de graves sécheresses sont des indicateurs clés de ce bouleversement climatique. « La santé, les moyens d’existence et la sécurité alimentaire des populations africaines ont été affectés par le changement climatique », a déclaré le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Ce groupe est l’organe des Nations Unies sur la science du climat et cette assertion émane de son cinquième rapport d’évaluation publié il y a déjà cinq ans environ.
Le rapport indique que la production de blé et de maïs dans certaines parties de l’Afrique a déjà été affectée par le changement climatique, de même que la productivité des pêcheries des Grands Lacs et du lac Kariba sur la frontière Zambie-Zimbabwe et des arbres fruitiers dans le Sahel. Plus d’une demi-décennie depuis la publication du rapport, les climatologues affirment que les effets se sont intensifiés et sont devenus plus fréquents. « Aucun continent ne sera frappé aussi durement par les effets du changement climatique que l’Afrique », précise le Programme des Nations Unies pour l’environnement dans un rapport. « Compte tenu de sa position géographique, le continent sera particulièrement vulnérable en raison de sa capacité d’adaptation considérablement limitée et exacerbée par la pauvreté généralisée », a-t-il déclaré.
Les négociateurs africains à la COP25 ont fait pression pour que les fonds s’adaptent à l’impact du changement climatique tout en exigeant que les principaux émetteurs de carbone réduisent considérablement leurs émissions pour agir sur un réchauffement climatique qui menace dangereusement les pays pauvres et les petits Etats insulaires appelés à disparaitre en premier face à la montée du niveau de la mer. « Nous, du bloc des pays les moins avancés, étions très optimistes quant au financement de l’adaptation lors de cette réunion », a déclaré Sonam Wangdi, du Bhoutan, qui dirige le bloc des PMA qui compte 33 pays africains comme membres. « Mais tous nos pays membres, y compris ceux d’Afrique, sont très déçus parce que nous ne voyons rien de concret », a déclaré M. Wangdi. Les négociateurs des pays en développement estiment donc que l’adaptation au changement climatique et son financement n’étaient pas encore suffisamment élevés.
Pourquoi l’argent tarde à être mobilisé ?
Une analyse de l’OCDE a montré que sur l’ensemble du financement climatique mobilisé par les pays riches, moins de 20% ont été consacrés à des projets d’adaptation en 2017. Une autre étude de l’Institut international pour l’environnement et le développement, basé à Londres, estime que moins de 10% des 17 milliards de dollars de financement international pour le climat ont été engagés pour des activités au niveau local entre 2013 et 2016. La part des pays les moins avancés serait encore plus faible, certains experts du financement de la lutte contre le changement climatique estimant ce chiffre à environ 5 %.
« La principale raison pour laquelle l’Afrique n’obtient pas de financement adéquat pour l’adaptation au changement climatique est que la plupart des organisations internationales de financement ne voient pas la possibilité d’un financement bancaire car il n’y a pas de profit à court terme », a déclaré Colin McQuistan, responsable de la résistance au changement climatique à Practical Action, une ONG aidant plusieurs pays africains dans leur programme d’adaptation au changement climatique. « L’Afrique est encore en grande partie une économie agricole et il s’agit principalement de petits agriculteurs… ce qui signifie que les organismes internationaux de financement de la lutte contre le changement climatique devront traiter avec ces agriculteurs individuellement, ce qui entraînera des coûts administratifs énormes », précise M. McQuistan.
Perte et dommages : qui gère quoi ?
Il s’agit là d’une autre question litigieuse qui suscite la controverse dans les pays développés et les pays en développement, et l’Afrique est très impliquée. Le Mécanisme international de Varsovie, un forum spécial créé il y a six ans pour traiter de l’idée des pertes et des dommages, est en cours de révision à la COP25 et les pays en développement veulent qu’il soit correctement financé. Certains experts considèrent que la « perte » s’applique à la destruction complète de quelque chose comme les vies humaines, les habitats et les espèces animales et végétales. Le terme « dommage » fait référence à quelque chose qui peut être réparé, comme des routes ou des bâtiments. Toutefois, les pays développés n’ont pas encore reconnu le concept de compensation des pays en développement touchés par ces deux notions.
Les négociateurs africains sont activement impliqués dans cette négociation, mais l’un d’eux a déclaré qu’il n’y avait pas eu de progrès sur ce front non plus. Tout comme pour le financement de l’adaptation, l’Afrique et plus largement les pays en développement espère pouvoir créer un mécanisme solide pour les pertes et les dommages. Cependant, ce mécanisme ne s’est pas encore mis en place. Or si l’Afrique en particulier ne reçoit pas d’argent, non seulement il lui sera difficile de parvenir tout seul à s’adapter aux impacts du changement climatique, mais le continent sera obligé de poursuivre un développement économique à forte émission de CO2 sur la base d’utilisation intensive de combustions fossiles.
Pour revenir à l’actualité de la COP de Madrid, le sommet est à mi-parcours. Comme cela est le cas depuis la création de ce rendez-vous international sur le climat, la première semaine a été largement dédiée aux sessions techniques. Avec l’arrivée des ministres cette semaine, tous les regards sont maintenant tournés vers eux pour des prises de décisions concrètes qui n’échapperont pas aux regards des ONG africaines présentes à Madrid.
Ebony T. Chrisitan envoyé spécial à Madrid
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