Il y a dans les régimes politiques africains des particularismes qui relèvent parfois d’une tenure authentiquement traditionnelle. Les choses se déroulent comme s’il fallait retourner dans nos époques précoloniales pour reprendre les us et coutumes de l’époque. Mais, il en est déjà ainsi tous les samedis ou jeudis dans les cérémonies traditionnelles d’unions coutumières. Ces dernières voient des rituels parfois fades mais hautement symboliques, comme pour manifester notre attachement à une pratique, une tradition en laquelle nous croyons sans toutefois y attacher exagérément notre passion.
A l’identique, sous les soleils des indépendances, les régimes politiques africains continuent leur processus d’adoptions insatiables de pratiques consacrées par les peuples à travers le vote d’un texte dénommé « loi fondamentale » : LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE. En Côte d’Ivoire particulièrement, la dernière en date émane d’un suffrage populaire exprimé le 8 novembre 2016. Au regard des arrêts récents du Conseil Constitutionnel, il s’agit d’une 3e République : l’émanation d’une troisième temporalité dans la vie de la « nation » ou du « peuple ». Le peuple, s’exprimant solennellement, affirme son attachement à une gestion commune des affaires publiques dans le cadre d’une République dont les règles sont fixées par la nouvelle loi votée, la loi fondamentale, la Constitution. Mais parfois les règles sont écorchées quand elles ne sont pas ignorées. Comme pour dire qu’on peut parfois faire sans elles.
En Côte d’Ivoire, la Constitution du 8 novembre 2016 nous a apporté un « retour vers le futur » à travers l’institution de la Vice-Présidence de la République. Ce poste naguère introduit dans la constitution de la première République au gré des vacillements du père fondateur Félix Houphouët-Boigny dans la désignation de son dauphin constitutionnel. Il avait ainsi, à l’occasion de la révision constitutionnelle de 1980 introduit le poste de vice-président sans qu’il soit occupé jusqu’à sa suppression en 1985. En 2016, le constituant ivoirien a pris sur lui de remettre au goût du jour cette invention pour en faire l’avenir de notre jeune nation. Son premier occupant parti, le poste était resté vacant jusqu’au 19 avril dernier, date de la désignation de Monsieur TIEMOKO MEYLIET KONE par le Président de la République à l’occasion d’un discours sur l’état de la nation, devant le congrès réuni à sa demande.
Dans la vie d’une nation, cette désignation ne peut être retenue comme un fait banal. D’ailleurs, les circonstances de la désignation achèvent de démontrer qu’il s’agit d’une date forte et d’un geste politique de haute portée. Or, comme dans toute démocratie et toute République, les actions politiques doivent être couvertes du sceau de la légalité avant tout débat sur les aspects purement politiques, en conséquence, il apparaît nécessaire d’analyser la conformité du processus à la Constitution. Le Conseil Constitutionnel a certes déjà validé la désignation au regard de la prestation de serment intervenue mais il est utile d’éclairer nos concitoyens qui ont voté « OUI » en novembre 2016 sur les modalités de mise en pratique des règles qu’ils ont décidées, par les personnes qu’ils ont élues.
Deux points majeurs retiendront notre attention : la régularité constitutionnelle de la convocation du Congrès par le chef de l’Etat (1) et la conformité constitutionnelle de la désignation du nouveau Vice-Président (2).
La convocation du Congrès (a), sa présidence (b) et le contenu du discours sur l’état de la nation (c) feront l’objet de notre grille d’analyse.
La loi fondamentale ivoirienne prévoit deux situations de convocation du Congrès. La première, prévue à l’article 98 est relative à une convocation du Congrès par le Président de la République en vue de la présentation d’un discours sur l’état de la nation. La seconde a trait à l’adoption par le Congrès d’une révision constitutionnelle à travers les dispositions de l’article 177 de notre loi fondamentale.
Lorsqu’il s’agit de prononcer un discours sur l’état de la nation, les dispositions de l’article 98 de la Constitution de notre Constitution prévoient que : « L’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent à la demande du Président de la République (…) ». La nature de cette demande peut être recherchée premièrement dans l’adoption d’un décret de convocation du Congrès. A minima, elle peut se traduire par un simple courrier. Dans tous les cas, la demande doit émaner de la Présidence de la République agissant de façon proactive conformément à la Constitution.
Or, les circonstances de la cause laissent entrevoir que la convocation du Congrès a été actée par un communiqué émanant de la l’Assemblée Nationale. Il n’y a donc pas eu de publication d’un décret de convocation du Parlement en Congrès. Il n’a pas été publié par ailleurs une convocation signée de la Présidence de la République invitant le Parlement à se réunir en Congrès afin de prononcer un discours sur l’état de la nation.
En conséquence, nous constatons que les modalités constitutionnelles de convocation du Parlement en Congrès par la Présidence de la République n’ont pas été scrupuleusement respectées au regard de l’absence d’un décret de convocation adressé aux deux chambres ainsi qu’en l’absence d’acte de toute autre nature ayant le même objet.
Il est bien de rappeler que la pratique en France consiste en une convocation du Parlement par un décret contresigné qui fixe par ailleurs l’ordre du jour. La solennité du discours à prononcer justifie les modalités formelles de convocation. Notre jeune nation devrait pouvoir adopter un positionnement clair à ce sujet en précisant dans un futur proche les modalités concrètes de convocation du Parlement en Congrès.
Quid de la régularité de la présidence du congrès ?
Aux termes de l’article 98 de la Constitution de la République alinéa 2 : « Le Président de l’Assemblée Nationale préside le Congrès. Il est assisté du Président du Sénat, qui en est le vice-Président (…) ». Or, le Congrès qui s’est tenu a visiblement été présidé par Monsieur Ahoussou Kouadio Jeannot, actuel Président du Sénat. Ce, alors que, Monsieur Adama BICTOGO, Président par intérim de l’Assemblée nationale était présent à ses côtés. Très concrètement, le président de l’Assemblée nationale a assisté le Président du Sénat qui assurait la présidence effective à l’occasion du Congrès.
En conséquence, même si cette situation peut paraître bénigne, il importe de la relever dans le but de corriger dans l’avenir une mauvaise lecture de notre Constitution appliquée de manière quelque peu approximative : la présidence du congrès n’a pas été tenue en conformité avec la Constitution. La présidence du Congrès par une personnalité qui n’a pas qualité pour en assurer la présidence entache la bonne application de notre loi fondamentale.
Quid du contenu du discours du Président avec la désignation du Vice-Président à l’occasion du discours sur l’état de la nation ?
Le discours sur l’état de la nation est prévu à l’article 114 de la Constitution de la République au titre de la communication entre l’Exécutif et le Parlement. Le discours sur l’état de la nation est une pratique importée dans notre vie politique ivoirienne à l’occasion de l’adoption de la loi fondamentale en 2016. On la retrouve sous diverses appellations au gré des structures étatiques. C’est une pratique qui a cours aux Etats-Unis où elle est dénommée « discours sur l’état de l’union », les Etats-Unis étant un Etat réunissant plus de 50 états fédérés. Il en est ainsi à la Commission de l’Union Européenne où l’on retrouve également la même appellation. En France, il s’agit d’un discours prononcé par le Premier Ministre, responsable devant l’Assemblée nationale.
Sous toutes ses coutures, ce discours sert à présenter un cadre général de la politique de l’Etat donc du gouvernement pour les années à venir. Ainsi, aux USA, il couvre le programme de l’année en cours, à la Commission Européenne il fait le bilan de l’action de l’exécutif et présente les trajectoires futures quand au Luxembourg, il s’agit de couvrir les aspects économiques, sociaux et financiers.
Or, il a été donné de constater qu’à l’occasion de son discours sur l’état de la nation , le Président de la République a également désigné et présenté un vice-Président au lieu d’adresser essentiellement un discours sur sa vision politique pour les années à venir à travers son bilan actuel et les orientations socio-économiques qu’il envisage.
L’on ne peut retenir d’atteinte particulière aux dispositions constitutionnelles au regard de l’absence de l’encadrement par la Constitution des modalités pratiques et du contenu du discours sur l’état de la nation. Si le constituant a très certainement voulu donner au Président de la République, monarque constitutionnelle dans notre régime présidentialiste, le pouvoir de déterminer les actes qu’il entend accomplir à l’occasion d’un discours sur l’état de la nation, il n’en demeure pas moins qu’il reste nécessaire d’encadrer les actes qui peuvent être entrepris dans ces circonstances au regard des conséquences possibles en matière de régularité constitutionnelle comme nous le développerons ci-après.
Nous pouvons à présent décliner notre point de vue sur la régularité du processus de désignation du nouveau vice-Président.
Aux termes de l’article 55 nouveau de la Constitution de la République, le Président choisit un vice-Président en accord avec le Parlement. L’accord du parlement doit s’analyser en acte formel d’acquiescement du Parlement. Cet acquiescement doit résulter d’une manifestation claire de la volonté du parlement. La seule convocation d’un Congrès ne peut valoir consentement en pareille circonstance au regard de la formalité expresse exigée par l’article 55 nouveau.
En conséquence, la manifestation de la volonté du Parlement ne peut résulter que d’un vote. Or, au regard de nos dispositions constitutionnelles, il ne peut se tenir un vote à la suite d’un discours sur l’état de la nation. Il en est ainsi également en France. Le débat pouvant intervenir après un discours sur l’état de la nation ne peut se tenir en la présence du Président de la République. De là suit que le Parlement, suite à la désignation d’un Vice-Président de la République, doit formellement adouber le postulant désigné de manière discrétionnaire par le Président à travers un vote.
En revanche, quelques jours après sa désignation, Monsieur TIEMOKO MEYLIET KONE a prêté serment devant le Conseil Constitutionnel réuni en audience solennelle. Lors de celle-ci, le Conseil Constitutionnel n’a nullement évoqué la formalité de l’article 55 nouveau de la Constitution. Par ailleurs, aucune information relative à un éventuel vote par le Parlement suite au discours du Chef de l’Etat n’a été publiée.
En conséquence, nous constatons que le Parlement, au moment de la prestation de serment du Vice-président de la République n’avait pas encore donné son consentement prévu à l’article 55 de la Constitution.
Si aux Etats-Unis, le Vice-Président est élu au même moment que le Président, le vote de confirmation est une pratique courante pour les nominations aux plus hautes fonctions de l’Etat. Il en est ainsi de la désignation des juges à la Cour Suprême qui doit être validée par un vote d’acquiescement du Sénat. A cet effet, le Sénat américain se réunit de manière formelle et procède à un vote, suite à un débat.
En conséquence, il nous paraît particulièrement difficile d’admettre la régularité de la prestation de serment du vice-Président de la République en l’absence d’accord formel du Parlement.
Toute autre lecture de la formalité de l’article 55 nouveau ne nous paraît pas pertinente dès lors qu’elle tend à interpréter le consentement du Parlement comme pouvant émaner d’une action passive. L’expression de la volonté du Parlement ne peut être qu’active dans le cadre d’un vote au sein des deux chambres : le Sénat et l’Assemblée nationale. Il est aussi utile d’évoquer que la désignation du Vice-président requiert l’onction du Parlement pour protéger le Vice-président de la République contre des attaques à l’égard de sa légitimité, celui-ci n’étant pas désigné au suffrage universel direct. La solidité de nos institutions le demande.
Le Président Barack Obama le rappelait à juste titre à l’occasion de son discours au Ghana le 11 juillet 2011 : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes fort mais d’institutions fortes ». Nos institutions ne seront fortes, solides et pérennes que si nous nous engageons continuellement dans la voie de la quête perpétuelle de la légalité.
Bokou Charles Ghazeler MELY, Président du Comité de Contrôle du Mouvement Politique Objectif République
Consultant en régulation de l’économie numérique & Doctorant en droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
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