La Société nationale d’opérations pétrolières de la Côte d’Ivoire (Petroci-Holding), société d’État, responsable de l’approvisionnement du pays en pétrole et en gaz naturel s’adonnerait-elle à des transactions financières opaques ?
Des documents confidentiels émanant du Réseau de lutte contre les infractions financières (FinCEN) du département du Trésor des Etats-Unis indexent l’entreprise publique ivoirienne. Une enquête réalisée par « L’Eléphant Déchaîné » et « Eburnie Today », avec le concours du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et BuzzFeed News, dans le cadre du projet FinCEN Files impliquant plus de 400 journalistes de 110 médias dans 88 pays a permis, en exploitant plus de 2 100 rapports d’activités suspectes (SAR en anglais), de découvrir que l’entreprise pétrolière étatique a reçu en 2015, de Petrowest SA basée aux Seychelles, un transfert électronique de fonds d’un montant de 6 292 072,60 dollars américains, soit 3 146 036 300 F CFA signalé comme potentiellement douteux par une banque américaine. Explication !
L’alerte donnée par une banque new yorkaise
Tout est parti des Rapports d’activités suspectes (SAR, l’équivalent des Déclarations d’opérations suspectes – DOS) déposés par la Bank of New York Mellon (BNYM) auprès du Réseau de lutte contre les infractions financières (FinCEN) du Trésor américain, l’équivalent de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières de Côte d’Ivoire [CENTIF] qui traite les DOS transmises notamment par les banques.
Cette banque a déposé lesdits rapports pour signaler des virements suspects effectués par l’intermédiaire de comptes de correspondants de la BNYM impliquant des entités fictives situées dans les Seychelles et effectuant des opérations bancaires dans d’autres pays.
Généralement, un SAR reflète les préoccupations des responsables de la conformité et ne sont pas nécessairement le signe d’une conduite criminelle ou d’autres actes répréhensibles. Mais pourquoi ces virements sont-ils considérés comme suspects par l’institution financière new yorkaise ? Selon elle, « ils impliquent des entités fictives qui ne peuvent pas être identifiées par des recherches open source ; et donc la source des fonds et/ou le but des transactions est inconnu ; beaucoup ont été envoyés en montants importants, arrondis, et parfois répétitifs ou tendancieux ; et les virements impliquent des contreparties situées et/ou des banques dans des juridictions à haut risque pour le blanchiment d’argent et d’autres crimes financiers comme les Seychelles, la Côte d’ivoire, Chypre, Monaco, et Macao. »
A cet effet, elle a effectué du 1er au 31 mai 2015, une recherche sur les virements bancaires impliquant les Seychelles. La recherche effectuée sur la période sur les virements bancaires impliquant les Seychelles a permis de localiser 1 953 virements suspects envoyés du 29 avril 2015 au 1er juin 2015 et totalisant 184 millions 537 432,38 dollars américains, soit 92 milliards 268 millions 716 190 FCFA. Justement, un virement bancaire au bénéfice de Petroci Holding figure parmi ceux considérés comme suspects par la Bank of New York Mellon.
Dans le « SAR 31000073382970 » soumis par cet établissement financier au Trésor américain le 5 mai 2015, Petrowest SA a envoyé via son compte auprès de la Banque de Commerce et de Placements SA située à Genève, compte de correspondants de la BNYM, la somme de 6 millions 292 072,60 de dollars américains, soit 3 milliards 146 millions 036 300 FCFA sur le compte numéro CI 034-01001-011310150376-79 logé à la Banque Atlantique Côte d’Ivoire au profit de Petroci Holding. La raison de ce virement électronique ? « Factures d’achat 2015/003 et 2015/002 » et « accord de paiement 15-012 », selon ledit document. Qu’est-ce qui peut justifier l’implication de Petroci, une entreprise étatique dans une telle opération financière ?
L’entreprise pétrolière publique coutumière de l’opacité financière
C’est en 2011 que la société Ovlas SA a changé de nom, pour devenir Petrowest SA, ainsi que de juridiction, pour s’établir aux Seychelles et à Lagos. Selon nos informations, MRS Oil & Gas CO Ltd, société nigériane est le propriétaire effectif de Petrowest. Il ressort également des rapports d’activités suspectes soumis par la banque au Trésor américain que le 21 mai 2015, Petrowest Services SA switzerland aurait, à travers son compte de recouvrement logé à Charte Standard à Londres, envoyé un virement d’un montant de 4 millions de dollars américains au profit de Petrowest SA à la Banque de Commerce et de Placements SA en Suisse, compte de correspondants de la banque new yorkaise.
« Les informations reçues de la Banque de Commerce et de Placements SA (Suisse) concernant Petrowest SA indiquent que Petrowest SA entretient une relation avec la banque depuis juillet 2009 et est impliquée dans le commerce de produits pétroliers, principalement du gasoil, de l’essence et du carburant pour avions à destination ou en provenance de l’Afrique de l’ouest », lit-on dans ce document. Est-il donc possible que ce soit dans le cadre d’un achat de produits pétroliers que Petrowest SA a transféré la somme de 3 milliards 146 millions 036 300 FCFA sur le compte de l’entreprise pétrolière étatique ? Tout porte à le croire.
En effet, la lecture du SAR, révèle que « Petroci International SA est une société commerciale et une filiale de Petroci Holding enregistrée à Genève, en Suisse, avec 40 % des actions. (…) Petroci International SA fonctionne comme une station de vrac de pétrole ». Cette entreprise a été fondée le 18 novembre 2009 et s’appelait initialement Petroci International Ltd. Elle figure effectivement au Registre du commerce de Genève avec un « Capital-actions : CHF 100 000, entièrement libéré, divisé en 100 actions de 1 000, au porteur. » Mais en 2013, elle a connu un changement. Il y a eu la « conversion des 100 actions de 1 000, jusqu’ici au porteur, en actions nominatives ».
S’agissant de son objet, on note qu’elle intervient dans le « négoce de tous produits pétroliers, gaziers et leurs dérivés; transport, raffinage, distribution, stockage et recherche de nouvelles sources d’énergies fossiles; transactions à terme sur des matières premières et utilisation de tous autres instruments financiers à l’exception des opérations liées à une activité de négociant en valeurs mobilières pour lesquelles une autorisation est requise; octroi de cautionnements et de garanties en faveur de tiers; fourniture de tous services à la Société Nationale d’Opérations Pétrolières de la Côte d’Ivoire ».
Les « Factures d’achat 2015/003 et 2015/002 », l’« accord de paiement 15-012 » et le virement qu’aurait opéré Petrowest SA d’un peu plus de 3 milliards 146 millions FCFA via une banque suisse au profit de Petroci expliquent que le deal pétrolier entre la société d’Etat ivoirienne et l’entreprise nigériane basée aux Seychelles est dénudée de toute transparence.
A ce sujet, voilà ce que le document de la BNYM dit de Petrowest SA. « Des recherches indiquent que Petrowest et MRS Group ont été impliqués dans un système dans lequel ils ont créé des sociétés pétrolières/énergétiques offshore (appelées « sociétés boîtes aux lettres », qui sont analogues à des sociétés écrans), ont effectué des transferts de navire à navire pour créer des documents intraçables, ont versé des subventions à des importateurs fantômes et inexistants, et se sont associés à des politiciens pour frauder les recettes fiscales du Nigeria entre 2009 et 2011. Dans ce schéma, le NNPC alloue du pétrole aux raffineries nigérianes, qui fonctionnent à 40 % de leur capacité, comme si elles fonctionnaient à 100 % de leur capacité. Les allocations excédentaires sont ensuite vendues aux sociétés de boîtes aux lettres suisses à des prix bien inférieurs au prix du marché en vigueur. Compte tenu des avantages fiscaux des sociétés offshore, on estime que le Nigeria a perdu environ 6,8 milliards de dollars », peut-on lire.
Interrogé sur le transfert de fonds effectué par Petrowest SA au profit de Petroci Holding, Constantin Kra, directeur des Opérations de Social Justice, une Ong qui travaille avec plusieurs réseaux qui luttent pour la gestion transparente des ressources publiques et naturelles et contre la corruption, par ailleurs le point contact de Transparency International en Côte d’Ivoire, s’est montré pétrifié.
« Nous sommes surpris par cet état de fait qui s’il finit par s’avérer risquerait de ternir l’image de la Petroci qui est aujourd’hui cité en exemple du fait de son statut et de son fonctionnement ingénieux », s’est-il prononcé. Poursuivant son propos, le directeur des Opérations de Social Justice ajoute : « La Petroci devrait normalement prendre des mesures de diligence pour s’assurer que dans toutes ses transactions avec ses clients, tout risque de blanchiment ou de financement du terrorisme est écarté avant d’engager une quelconque transaction. Cette obligation de vigilance doit être d’autant plus renforcée quand le partenaire réside dans un pays à risque élevé comme les paradis fiscaux. D’où la nécessité de mettre en place la politique de Propriété réelle avec les mesures de diligence raisonnables adaptées. Au titre de l’article 5 de la loi relative au blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Petroci fait normalement partie des types de personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. A cette fin, elle a l’obligation au titre de l’article 11 de la même loi d’identifier et d’évaluer les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en tenant compte par exemple du client, du pays, de la zone géographique, des transactions ou les canaux de distribution. Ce qui voudrait dire que Petroci devrait normalement disposer d’une politique d’indentification et d’évaluation des risques de blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en son sein qu’elle applique à toutes ses partenaires. »
Une opacité financière depuis de longues années
A la création de Petroci International SA en novembre 2009, plusieurs dirigeants de l’entreprise pétrolière publique de Côte d’Ivoire siégeaient concomitamment au conseil d’administration de celle-ci. Ainsi, Gnangni Daniel, l’actuel président du Conseil d’Administration de Petroci Holding a-t-il été le président du conseil d’administration de Petroci International SA de 2011 à 2018. Diaby Ibrahima, directeur général de la société étatique, toujours en fonction, lui a succédé depuis 2018 à la tête de l’entreprise suisse.
C’est également le cas pour Laurent Jean-Joel Beugré Ligué. Il est en même temps membre du conseil d’administration de la société helvétique et chef du département Trading des bruts et produits pétroliers à Petroci-Holding depuis 2008. Comme on peut le constater, la forte présence des dirigeants de Petroci Holding au conseil d’administration de Petroci International SA facilite, sans aucun doute, les relations d’affaires entre ces deux sociétés. De même, les plus hauts dirigeants de Petroci Holding seraient impliqués dans plusieurs deals.
En effet, une enquête pour corruption réalisée par l’ONG Suisse, Public Eye, confirme les pratiques peu recommandables de ceux-ci. C’est le cas d’un deal pétrolier avec Gunvor Group, une entreprise basée en Suisse en 2014. « Le vendredi 10 janvier 2014 à 17 heures 44, un courriel parvient dans la boîte de Stéphane C., trader basé à Dubaï. En copie se trouvent Bertrand G., Benoît T. et José Orti, le responsable du département pétrole brut. Par cette correspondance, la compagnie pétrolière étatique de Côte d’Ivoire, la Petroci, annonce au négociant genevois qu’il est « adjudicataire du cargo Espoir en objet selon votre dernière offre ci-dessous ». Le contrat commercial sera finalisé « dans les jours à venir », précise Laurent Ligué, chef du département Trading. Partiellement préfinancés, les 650 000 barils de pétrole brut du champ Espoir sont à enlever entre le 9 et le 11 mars 2014 », lit-on dans le document de Public Eye.
Il ressort aussi de l’acte d’accusation du Ministère public de la Confédération helvétique, que les dirigeants de la maison de négoce auraient obtenu en 2009 et 2010, plusieurs cargaisons de pétrole brut auprès de la société Petroci pour un préfinancement de 90 millions de dollars. Des pots-de-vin auraient été versés par Gunvor à Kassoum Fadika, l’ex-directeur général de Petroci au moment des faits, Laurent Ottro, président du conseil d’administration de la Société ivoirienne de raffinage et Aubert Zohoré, ancien conseiller économique de Laurent Gbagbo.
Effectivement, des échanges de courriers électroniques confidentiels entre des agents de Clearwater Advisors, consultés que nous avons pu consulter semblent confirmer ce deal. « Veuillez effectuer la recherche de conflit suivante : Nous avons reçu des instructions de Calyon concernant une facilité de financement à recours limité de 90 millions de dollars pour Gunvor International BV, une société néerlandaise (l’Emprunteur), qui doit être utilisée pour effectuer des paiements anticipés pour les livraisons de pétrole de la Société Nationale Pétrolière de la Côte d’Ivoire. Les obligations de l’Emprunteur seront garanties par la société mère de l’Emprunteur, Clearwater Advisors Corp (une société des îles Vierges britanniques) » lit-on dans un mail en date du 23 septembre 2009 envoyé par un agent.
Pour ces actes de corruption en Côte d’Ivoire et au Congo Brazzaville, Gunvor a été condamné par le Ministère public de la Confédération Suisse à une amende de 4 millions de francs suisses et à une compensation de 90 millions de la même monnaie correspondant à la totalité des profits réalisés par Gunvor sur les affaires en cause menées dans ces deux pays.
Petroci Holding se défend, tout est légal
Nous avons contacté les responsables de Petroci Holding pour avoir leur version des faits sur le virement bancaire effectué par Petrowest SA au profit de l’entreprise. Pour notre interlocuteur, tout a été fait dans les règles. Il explique « effectivement, il y a eu des échanges mais dans le sens le plus légal possible. Petroci Holding, dans la période concernée n’a jamais été saisie par une banque américaine pour poser un quelconque problème sur un virement. Petroci Holding, dans le cadre de ses activités, fait de l’achat et de la vente de produits pétroliers à l’international…Comme c’est à l’international, Petroci Holding fait intervenir sa filiale internationale pour l’achat et la livraison de produits pétroliers en s’assurant qu’après avoir payé les impôts et les charges, il y a une marge de bénéfices… ».
A la question de savoir pourquoi les dirigeant du groupe ivoirien siègent-ils par ailleurs au conseil d’administration de la filiale Suisse, la réponse est tout aussi directe ; « Petroci Internationale SA est une filiale de Petroci. Elle est basée en Suisse et s’occupe du trading au niveau international. Pourquoi les dirigeants de Petroci Holding font-ils partie du conseil d’administration de Petroci Internationale SA ? Cela va de soi. La société est une filiale de Petroci. Elle est de ce fait, administrée par ses agents. Actuellement, le président du conseil d’administration de Petroci Internationale SA, c’est le Docteur Diaby Ibrahima, le Directeur général de Petroci Holding. Notre Filiale Petroci International, bien qu’étant en Suisse a, parmi ses administrateurs, des agents et représentants de Petroci Holding. Ce qui est tout à fait normal ».
Et concernant la transaction douteuse signalée par une banque new yorkaise, la même réponse, tout est légal ; en effet, dit notre interlocuteur, « Petroci International SA, filiale à 100% de Petroci Holding effectue des transactions de commerce international de produits pétroliers raffinés et/ou de pétrole brut sur le marché international. C’est sa vocation ». Il détaille la transaction signalée par la banque américaine et à encore, prend-il soin de rappeler que tout légal.
« C’est dans ce cadre que des transactions d’achats et ventes de gasoil se sont effectuées en 2015 entre Petroci Holding et la compagnie Petrowest selon les procédures internes et selon les règles de commerce international. Il y a eu des échanges entre Petroci Holding et la compagnie Petrowest mais dans la stricte légalité. Petroci Internationale SA était le vendeur, et l’acheteur était Petrowest. Le produit était du gasoil et le bon de livraison a été fait le 26 mars 2015. Et la facture 2015/003 d’un montant de 2 747 120 dollars américains et la facture 2015/002 d’un montant de 3 544 870 dollars américains ont émis. Quand on associe les deux factures d’achat, on se retrouve à environ 6 millions de dollars américains. Les montants de ces factures ont été payés par Petrowest sur instruction de Petroci Internationale le 23 avril 2015. Le caractère de ces échanges n’est pas illicite, il n’est pas fictif. Si tu crées une filiale internationale, c’est pour faire du trading à l’international. Elles ont eu des échanges mais c’est dans l’ordre normal des choses. Il y a des échanges à l’international cautionnés par Petroci Holding à travers sa filiale Petroci International. Tout ce qui a été fait, c’est selon les lois du commerce international », a conclu ce responsable de l’entreprise pétrolière étatique.
BNY Mellon, la banque new yorkaise d’où tout est parti
Egalement contactée par le Consortium international des journalistes d’investigation, la Bank of New York Mellon s’est montré peu bavarde sur ses rapports d’activité suspects déposés auprès du Réseau de lutte contre les infractions financières (FinCEN) du Trésor américain. « BNY Mellon prend au sérieux son rôle de protection de l’intégrité du système financier mondial, notamment en déposant des rapports d’activité suspects (SAR). En tant que membre de confiance de la communauté bancaire internationale, nous nous conformons pleinement à toutes les lois et réglementations applicables et aidons les autorités dans leur important travail. En vertu de la loi, nous ne pouvons pas commenter les rapports d’activité suspects que nous avons déposés ou qui ont été illégalement divulgués par des tiers aux médias », a réagi Madelyn McHugh, vice-président, Communications externes de ladite banque.
Suy Kahofi & Anderson Diedri (Eburnie Today), NOËL KONAN (L’Eléphant Déchainé)
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